8.1 : Lestaque

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— Madame Goncalves est arrivée, mais pas Fabio, annonça Luc.

Il était dix heures et demie à l’hôtel de police de Metz. Fabio Goncalves aurait dû s’y trouver depuis une demi-heure. Ils avaient quant à eux une bonne heure de retard sur leur programme en raison d’un ralentissement du TGV, et l’agent envoyé pour les accueillir n’avait pas manqué de se plaindre copieusement de son attente dans la bise glaciale. Pierre sentit la contrariété l’envahir. Une fois les présentations faites entre les deux commandants, ils s’attardèrent dans le bureau de Luc, coincés entre la table de travail surchargée et les classeurs de rangement, jusqu’à ce que sa patience se tarisse :

— Bon, on doit voir chacun des deux, de toute façon ? On s’y met. Cul, tu préfères toujours t’abstenir ?

— Ben…

— Pas de problème. Elle est dans le bureau de Goncalves ?

Objet d’une surveillance hostile, il traversa le couloir avec son adjointe. Il reconnut le local, salua sèchement la dame assise à la place de son fils, et s’installa face à elle. Faute d’espace, Audrey demeura appuyée au chambranle.

— Bonjour, Madame Goncalves, savez-vous pourquoi Fabio n’est pas là ? Il ne répond pas au téléphone.

— Je peux essayer si vous voulez.

Elle tapa rapidement un SMS et fit pivoter son écran pour le lui montrer : « On t’attend. » Elle expliqua :

— C’est ainsi que nous communiquons. Un message est moins… délicat qu’un coup de téléphone.

Lestaque interpréta que ses appels ne devaient pas toujours être bien endurés. L’appareil émit trois notes. Elle le lui tendit : « Je viens pas. » Nouveau signal un instant après : « Je veux pas me taper la honte devant tout le monde. » Et enfin, un troisième message dans la foulée : « Tu vois ce qui se passe quand on fait à ta façon ? ». La formulation titilla le commissaire :

— Que veut-il dire par « quand on fait à ta façon ? »

— Rien, il n’aime pas trop qu’on se mêle de sa vie privée.

— Ah, bon ? Il n’aime pas ? Dans ce cas on va lui montrer qu’il n’a pas le choix !

Il se retourna et dicta ses ordres à Audrey, comme il l’aurait fait chez eux :

— Sirène, menottes, garde à vue…

La dame réagit instantanément, à demi levée :

— Non ! Il va se suicider ! Je vous en supplie, il n’attend que ça pour se tirer une balle. C’est pas lui. Il était avec moi. Je vous le jure ! Sur la tête de mon petit-fils ! Et d’ailleurs, vous pouvez demander à Felipe !

— Qui est Felipe ?

— Mon… mon ami. Nous avons chacun notre vie, mais souvent il passe en fin de soirée et il reste dormir. Mercredi, il avait oublié que Fabio serait là pour le match. Il a juste bu une bière et il est reparti. Demandez-lui.

— Voilà que vous nous sortez un témoin de votre chapeau ? Ça vous est revenu, comme ça, ou bien il a fallu convaincre votre « ami » de mentir pour vous couvrir ? Et nous, on est censés vous croire sur parole ? Vous nous prenez pour des imbéciles ?

Audrey, dans son dos, se manifesta :

— PL, calme-toi…

— Ils nous enfument, tous les deux ! Regarde-la, tu ne vois pas qu’elle nous joue la grande scène du XII ?

— Pierre !

Ainsi rappelé à l’ordre, il quitta les lieux, furieux. Ses deux collègues le découvrirent dans la salle de repos, campé devant la cafetière, les poings serrés, empêtré dans sa frustration.

— Et si j’y allais ? proposa Luc, elle me parlera peut-être plus facilement ?

— Je ne pense pas, ils savent qu’on n’a rien. Le seul moyen, c’est que tu fasses amener ton gars menotté ! Une arrestation en fanfare, devant tous ses collègues. Il faut le faire craquer, Luc !

— OK, tu te calmes. On cherche une solution. Si c’est eux, on les aura.

— Bien sûr que c’est eux !

Luc ne tenta pas de discuter davantage, il s’éloigna rapidement. Audrey ouvrit son ordinateur portable et continua à travailler sur un coin de table, accoutumée à ignorer l’orage. Elle préférait quand il gardait la tête froide, et elle avait raison : l’énervement n’amenait jamais rien de bon. Cette affaire l’affectait particulièrement. Ils étaient tous à cran, d’ailleurs… Deux femmes tuées selon un mode opératoire primitif, et une farandole de suspects tous plus déconcertants les uns que les autres.

— PL, viens voir. Les premiers résultats du labo.

L’adjointe pointait un mail de Clara. Elle activa leur messagerie sécurisée, identifia le compte-rendu en question, ouvrit le fichier attaché et sauta directement aux conclusions.

Derrière elle, il commenta :

— Je l’aurais parié. Rien de bizarre chez Patricia Demécourt : les empreintes de Léa, de Maud, quelques traces d’illustres inconnus mais rien qui corresponde aux Goncalves. Sinon quoi ?

Il lut pendant qu’Audrey faisait défiler la page et résuma, excédé :

— La salive de Sylvie Moret et de Maud sur un même mégot prélevé dans la ruelle ? Autant dire qu’on n’a rien de plus, elles fumaient ensemble tous les soirs.

Il se redressa, concentré sur son désir de confondre la famille Machiavel.

Luc revint se servir un café et les informa :

— J’ai laissé Madame Goncalves dans le bureau. Elle m’a passé son téléphone pour que je puisse parler à Fabio. Il se met en arrêt maladie. Il dit qu’il sera chez lui, mais qu’il faudra le déloger de son canapé si on le veut. J’ai aussi eu le fameux Felipe : il confirme qu’il est venu très brièvement, parce qu’il est mal à l’aise quand le fils de sa « copine » est là. Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

La résignation s’abattit sur PL, mais il la chassa résolument. Comme autrefois au basket, il sut décrypter les signaux de ses partenaires. La réprobation silencieuse d’Audrey, l’agacement mal contenu de Luc. Un bon capitaine ne part pas seul et aveuglément au panier. Il élabore une stratégie.

— On rentre à Paris. On réfléchit. Tu as raison, il y a une faille quelque part et on va la trouver. Je vais dire à Goncalves qu’elle peut s’en aller. Et, Audrey, cesse tes facéties, je ne suis pas d’humeur, là. Tu crois que je ne vois pas vos grimaces ?

— On ne déjeune pas ensemble ? regretta Luc, soulagé du changement d’atmosphère.

— Non, nous on y va.

Les échanges non verbaux s’intensifièrent entre les deux commandants. Son copain s’en fit le porte-parole :

— Toi, Chemise, tu nous prépares encore un coup dont tu as le secret.

— N’importe quoi, mon cher Watson !

Comme ils avaient l’air dubitatifs, il concéda :

— En réalité, j’aurais bien un plan tordu, mais je ne sais pas s’il est jouable.

— Ah, là je te reconnais, ma Chemise !

— Si tu nous remuais les services sociaux, par chez toi ? Assistance sociale, aide juridique, psy et tout le tintouin ? Un beau dossier pour confier Léa à sa grand-mère. Histoire de mettre un bon coup de pied dans la fourmilière. Il semble bien que les Goncalves soient les plus proches parents de Léa, de toute façon.

— Tu serais prêt à envoyer la gosse dans la gueule du loup ?

— On peut toujours le faire croire. De toute façon, ça n’aboutira pas avant une éternité. Il faudrait déjà commencer par prouver le lien de parenté. Pauvre petite. Elle cumule.

— Je vais passer un temps fou à actionner tous ces leviers ! Tu nous devras un beau week-end à Paris, mon pote ! Promets-moi seulement que si on a le moindre doute, on bloque tout.

— Pas de problème. Allons libérer madame Goncalves.

— Je peux le faire, si tu veux.

— Non, non, je m’en charge. Par contre, si tu pouvais de nous ramener à la gare, je préférerais. Ton homme de tout à l’heure était singulièrement hostile.

— Je t’avais prévenu : l’esprit de corps… Vous n’êtes clairement pas les bienvenus, les parisiens. Je vais prendre ma voiture, on t’attend dehors avec Audrey.

Mais à son retour dans le bureau du suspect, la mère avait soudainement beaucoup de choses à lui dire :

— Monsieur Lestaque, je vous comprends. Fabio a vraiment l’air d’un suspect. C’est vrai, il était amoureux de Marie-Odile. Je ne sais pas ce qui s’est passé, je les ai peu vus ensemble à l’époque mais quand elle est partie sans rien lui dire, il n’a pas décoléré pendant des mois. Je pensais que leur relation avait pris fin, c’est tout. Et puis il est sorti avec Lila et ça a été merveilleux. J’ai commencé à avoir des doutes quand ils se sont installés ensemble. Une distance s’est creusée entre ma belle-fille et moi, il y a eu des chutes, des accidents, des excuses. Une certaine atmosphère entre eux… Une mère sent ces choses, je vous assure. Un jour, Fabio a voulu attraper quelque chose en haut d’un de mes placards et Lila a levé les bras pour se protéger. J’ai vécu ça avec son père. Un mari violent, un fils violent. J’ai tout de suite réagi pour les protéger tous les deux. Tous les trois. Le petit avait huit mois. J’ai emmené moi-même ma belle-fille porter plainte. Je l’ai défendue de mon propre fils. Il respecte l’injonction maintenant. Je ne sais pas comment il se comportait avec Marie…

— Pas bien apparemment. Elle a fui, par peur de ce qu’il leur ferait. Elle a caché le bébé.

— C’est ce que le commandant Talbot m’a dit. Vous êtes sûr que c’est la fille de Fabio ? Mon Dieu, une petite fille, j’aurais été tellement heureuse de la connaître.

Monsieur, mon fils ne se domine pas, c’est certain, il est impulsif, mais il n’est pas mauvais. Il n’a pas pu tuer Marie, pas des années après. Et mercredi, il était avec moi. Croyez-moi ou non. Vous perdez votre temps et votre assassin en profite.

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