Arno

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Il avait vécu la mort de son père comme la quasi totalité des instants de sa vie d'enfant : de très loin, comme si cette vie ne l'intéressait pas, ne le concernait pas, ne lui appartenait pas. Il se sentait souvent complètement étranger à sa propre existence.

Il avait écouté sans une once de curiosité les gens parler de son père qui s'était suicidé, se demandant tous pourquoi il avait fait ça, comment il avait pu abandonner sa femme et son enfant de huit ans, qui avaient tant besoin de lui.

Il était depuis toujours très solitaire et préférait la lecture à la compagnie des humains, pour qui il ne ressentait que très peu d'intérêt. Il n'y avait guère que sa mère qui parvenait à susciter en lui de vives émotions : la joie, le manque, l'amour.

C'est pourquoi il commençait tout de même à sentir poindre en lui une étincelle de colère contre son père qui, par son geste, la rendait triste et faisait couler ses larmes qui roulaient lentement sur ses joues quand elle croyait que son fils ne la regardait pas.

Son intelligence et son caractère solitaire lui valaient de la part de ses camarades de classe au mieux, une indifférence qui lui plaisait tout particulièrement, et dans les mauvais jours, des moqueries, des taquineries et des mauvais coups.

Et, en raison de l'ignorance et de la méchanceté de certains enfants, le suicide de son père provoqua une catastrophe dans la cour de récréation et un cataclysme qui bouleversa sa vie.

L'un de ses camarades de classe, plus âgé, plus jaloux et plus bagarreur que les autres, lui lança, quelques jours après le drame : 

- Tu sais pourquoi ton père il s'est tué ? Moi je sais, c'est parce qu'il ne supportait plus de te voir.

L'histoire aurait pu en rester là, Arno décidant comme à son habitude d'ignorer cette pique et de passer son chemin. Mais cette attitude ne fit qu'attiser la colère de l'autre, qui lui agrippa fortement les deux bras.

Arno posa ses mains sur celles du garçon avec l'intention de les retirer doucement et de s'en aller. Mais au moment même où sa peau rencontra celle de son assaillant, il ressentit une douleur fulgurante à l'épaule gauche et un flot de sentiments et de sensations divers qu'il ne savait pas tous déchiffrer le submergea : la colère, la jalousie, la solitude, le manque de confiance en soi, l'envie de plaire.

Le coup porté à son espace vital fut si violent qu'Arno, sans réfléchir, repoussa quasi instantanément le garçon avec une force qu'il ne se connaissait pas. 

Il mit quelques instants à se remettre et à constater ce qu'il avait fait. Regardant ses mains, puis l'autre garçon au sol, il réalisa que les sentiments qui avaient bien failli le noyer ne provenaient pas de lui-même mais de cet autre.

Et il comprit qu'il ne voulait plus jamais revivre une telle expérience, trop douloureuse pour son âme si peu habituée à de telles émotions. S'il devait éprouver des sentiments forts, ce qui pour lui était en soi déjà assez exceptionnel, il voulait au moins que ce soient les siens, et non ceux de quelqu'un d'autre. Il ne voulait plus jamais se sentir ainsi pris au piège. 

Le soir venu, lorsqu'il rentra à la maison le teint pâle et la mine déconfite, sa mère le serra dans ses bras en lui caressant les cheveux. Il sentit alors déferler en lui une puissante vague de chaleur et d'amour ainsi qu'un léger picotement au niveau de son épaule.



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