Un petit bisou au-dessus de la Chine

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 Toute petite fille, j'ai collaboré aux relations diplomatiques franco-chinoises et embrassé mon premier garçon. Adulte j'ai continué à embrasser les garçons et renoncé à la carrière de diplomate.  Il n'y a pas d'âge pour assumer ses choix.

Le sexuel forfait fut commis dans nos uniformes bleu marine au-dessus de la Chine. Nous avions sept printemps.

Nous connaissions l'interdit, mais sans savoir pourquoi. Nous n'avions même pas l'excuse d'être des enfants puisque nous avions l'âge de raison. 

J'ai oublié d'où nous était venue cette idée saugrenue. Ce qui est sûr, c'est que dans l'autocar qui nous avait conduits jusqu'à cet établissement de mise au vert pour les enfants des villes, nous nous étions tout de suite remarqués. Il n'est pas besoin d'attendre les premiers poils disgracieux pour tomber amoureux. Je suis même sûre que ça doit arriver aux nouveaux-nés dans les maternités. Qui sait ? Quand ils pleurent ce n'est peut-être pas uniquement pour réclamer le sein ou les câlins.

Qui de nous deux avait commencé ? Je ne le sais plus, je crois même que le jour même je ne le savais déjà plus. Le courage qu'il nous avait fallu pour accomplir cet acte avait été suivi de honte. Le séjour terminé, chacun était reparti chez soi, chacun dans sa vie. Je ne l'ai jamais revu, mais presque soixante ans après, je m'en souviens encore. Il s'appelait Hervé.

Il me plait de penser avoir été l'initiatrice de ce monstrueux, et délicieux, forfait, que dis je, de cet abject acte sexuel. A l'époque, si vous étiez surpris, un simple baiser pouvait vous envoyer au mariage devant le curé, ou en tout cas, à des fiançailles arrangées. Accrochez vous ensuite pour vous défaire d'un homme qui ne vous intéresse plus. Un  baiser, c'est tout, et c'était l'enfer assuré.

Je me souviens l'avoir trouvé beau, brun et grand. Il avait un sourire ravageur qui ne voulait pas en être un. Tout m'avait plu. Bien entendu, je n'en avais rien révélé. Dans les années soixante, les enfants filles ne montraient rien. Nous étions tous les deux de haute taille pour notre âge. De la taille qui vous impose de rester debout derrière tout le monde pour les photos de classe. 

Et puis, plus tard, j'ai parfois fait comprendre aux garçons que j'avais envie d'autre chose que d'une simple conversation.

Mais revenons à mes sept ans. J'ai toujours été tantôt timide, réservée et sauvage, tantôt expansive, drôle, démonstrative, voire provocante, surtout quand j'étais plus jeune. Pour résumer, disons que j'étais plutôt garçon manqué avec les atours d'une petite fille jugée charmante. Alors, peut-être l'avais-je provoqué, ou bien le contraire, je ne le saurais jamais et ce n'est pas important. En classe, chacun dans la sienne puisque la mixité n'existait pas, on ne se côtoyait pas. Par contre, on se rencontrait à la cantine, dans la cour de récréation et pendant les promenades.

Durant nos conversations brèves, mais suffisantes pour développer un attrait réciproque, nous avions constaté que nous partagions la même passion pour l'exploration et la diplomatie. Or à cette époque, une rumeur chez les petits français prétendait qu'il suffisait de creuser le sol assez profond pour apercevoir les toits des villages chinois. Nous allions donc découvrir la Chine en creusant notre tunnel avec des fourchettes et des cuillères, dérobées à la cantine.

Pour établir nos relations diplomatiques, il fallait le faire en secret, loin des regards de tous, petits et grands. Mais le secret que nous portions n'était pas que scientifique ou politique. Le plaisir ressenti lors de nos rencontres nous dépassait. Confusément, nous sentions que nous bravions un interdit tout en en ignorant, bien sûr, les raisons. Il fallait se cacher. Prudents, donc, nous avions choisi le terrain le plus éloigné de la propriété, sur la frontière avec le champ voisin, hors de vue des bâtiments qui abritaient tout à la fois la cantine, les dortoirs et les salles de classe. Une prairie en friche, abandonnée. Ce serait notre terrain de jeu.

Ce fût par un bel après-midi ensoleillé, après la sieste. Tandis que les autres jouaient et s'époumonaient dans la cour, nous nous étions peu à peu éloignés. Arrivés sur l'herbe, pour entamer nos fouilles, nous avions trouvé l'endroit le plus facile. Il était nu : aucune ronce, aucune racine, aucun cailloux. Nous nous mis à gratter frénétiquement avec nos couverts, en nous aidant de nos mains pour ôter la terre au fur et à mesure de l'avancée du tunnel. Nous transpirions, un peu. Et puis, le moment fatidique arriva où nos doigts se frôlèrent. Le contact de nos peaux douces, rendues chaudes par l'effort, recouvertes de terre humide et collante nous propulsa dans des sphères habituellement réservées aux grands. Ce contact avait tout de la sensualité. Alors, enfants que nous étions, nous avons laissé notre naturel faire les choses. Nos doigts se croisèrent, nos visages se rapprochèrent et nos lèvres se trouvèrent. Bien sûr, ce fût "sans la langue", un simple petit bisou d'amoureux de sept ans. N'empêche, mes lèvres s'en souviennent encore.



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