Destins de bulles

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Elle.


Aujourd’hui est une belle journée pour faire une ode à la bulle.
A quoi penses-tu, petite bulle ? À des escadrilles de peccadilles en espadrilles qui partent en vrille ?
Du Paic citron se frotte au fond d’une tasse pour espérer buller en paix. Tu voudrais toi aussi buller de concert avec le scotch Brite, fusionner dans l’éponge et couler une douce vie dans le siphon, glisser contre ses parois, t’aventurer dans les mystères des égouts, surfer sur les immondices et jeter ta ronde brillance dans l’immensité de la mer.
Mais ton destin ne te laisse pas le choix, tu te fais secouer dans tous les sens, tu peines à retrouver ton souffle dans le chaos de l’évier, tu surnages difficilement et dès que tu tentes de remonter à la surface, tu te prends un coup de brosse à vaisselle qui te décoiffe sérieusement.
A quoi penses-tu alors, à ton brush printanier qui éclate rageusement ? Au frétillement de tes idées iridescentes ? Au goût des anchois grillées sur une pissaladière ? On te crève impunément et tu repars sur le devant de la scène de plus belle, te gonflant de gloire incertaine et de rebelle inconscience.
Puis soudain, dans un éclair de lucidité, tu te rappelles que « La floraison des cerisiers ne dure pas. L’essentiel on l’attrape en une seconde. Le reste est « inutile », ces quelques mots en provenance de la sagesse poétique de C. Bobin que tu représentes si bien.
Quelle importance donne-t-on à une bulle de savon ? Certaines se réincarnent dans un tube en plastique qu’un enfant secoue avant de souffler sur l’extrémité d’une tige libératrice. Des dizaines de bulles s’en échappent, tournoient au dessus de têtes réjouies avant de mourir entre deux mains assassines, ou éclatées au sol. D’autres se matérialisent à la surface d’un étang, en provenance d’une bouche de carpe bavarde et mollassonne. Encore d’autres ont une vie de laboratoire et s’exhibent sous les regards interrogateurs de chimistes. Certaines se forment aux bouches tendres de bébés gazouilleurs et meurent dans des effluves de lait maternel, quand leurs sœurs de cœur, comprimées dans de lourdes bouteilles, somnolent dans leur nectar doré et attendent que l’on fasse sauter le bouchon pour fêter une occasion. Elles finissent dans une flûte, les plus vaillantes dans le gosier, et n’ont rien à envier à celles qui font les malignes sous la cascade d’un robinet de baignoire. Elles n’ont pas le temps de s’attacher aux lieux ou aux êtres, ni le temps de s’inquiéter du temps qui passe. Ça en fait du temps qui ne compte pas ! La bulle dont la vie est plus brève qu’un éphémère, n’est vraiment pas considérée à sa juste valeur.
Une minute de silence ne serait pas du luxe pour toutes les bulles qui sont mortes sans avoir suscité de recueillement, et qui portaient en elles tous les espoirs du monde.

Lui

Cette bulle là, née bulleuse cherchait désespérément à porter tous les espoirs du monde. Trop lourd. Petite bulle, enfant Pow-blop-Wizz d’un cercle et d’une membrane de savon savait que sa vie était aussi courte que sa vue. Comment faire ?

Elle réfléchit, réfléchit, réfléchit.

– Mais me direz-vous une bulle de savon ne réfléchit pas et d’abord comment ferait-elle.

Je réponds illico, sans l’ombre d’une hésitation :

Vous n’avez jamais observé sur sa transparence quelques éclats d’une brillance irisée. Un rai de lumière égaré venu se poser sur sa surface. Alors vous voyez une bulle réfléchit. Réfléchit ce qu’elle peut, j’en conviens, mais les faits sont là (sans mauvais jeu de mots !). Et Pow-Blop-Wizz ne s’en privait pas. Le soleil du matin, car c’était le matin j’ai oublié de le préciser, la caressait d’une jolie petite inspiration et notre enfant s’en réjouit par un éclat plus joyeux que les autres.

– Je sais dit-elle, je sais !

Et vous, savez-vous ? Savez-vous comment s’exprime une bulle ? Une bulle ça ne parle pas, une bulle a besoin d’un interprète pour communiquer. J’ai bien dit interprèTE et non interprêTRE. Nous ne sommes pas au même niveau de langage. Eh bien, je suis celui-là même capable de comprendre les Wizz, les splach, blop et les transformer en mots intelligibles pour la multitude de nos lecteurs. Interprète en bulle, je suis interprète en bulles.

Si nous revenions au cœur du problème. Je vous rappelle que Pow-Blop-Wizz était, et est porteuse de tous les espoirs des hommes, surtout des nouvelles générations. Une si lourde responsabilité qu’elle se disait :

– Si je pouvais la partager.

Soudain elle blopa :

EUREKA !!

Elle profita d’un courant d’air pour s’envoler péniblement. Elle déambula ainsi quelques temps à travers les vestibulles mais le petit souffle s’essoufflait.

– C’est dur me confia-t-il, elle a trop de responsabilités. Il lui faut déléguer. Je suis trop court pour l’emmener plus avant.

Pow-Blop-Wizz descendait dangereusement vers le sol, bulletinait entre les herbes au risque de s’éclater. Une salsepareille à l’ongle épineux tendait son pouce vers elle avec un rictus de plaisir sadique au coin de la feuille. Pow s’approchait impuissante, Pow s’approchait d’une fin certaine…

La foule des lecteurs se rongeait les ongles jusqu’à la seconde phalange :

– Alors, alors alors ?!

Quand Soufflet (le courant d’air) dans un dernier souffle la poussa dans le ciel au-dessus de la meurtrière. Son frère plus agé, Second souffle, l’emporta. Il sentait bon le sable chaud. Évidemment il venait du Sahara. Pow se blottit contre lui et se mit à buller confortablement.

Dans son rêve, maman Savon lui apparut et lui murmura à l’oreille. Pas à l’oreille. Une bulle n’a pas d’oreille, mais nous sommes dans un rêve de bulle, ne l’oublions pas, tout est possible.

— Retiens ta respiration, longtemps, longtemps, tu verras.

Pow-Blop-Wizz sursauta, ouvrit tous ses chakras.

— Shebam !

Traduction : eureka ! Ce que maman a dit, je le fais !

Elle retint sa respiration, se laissa pénétrer du souffle qui la portait et gonfla, gonfla et…

BLOP

devint maman à son tour d’une multitude de bébés bulles bondissant et rebondissant sur le dos de papa courant d’air. Et devinez quoi ? Rappelez vous. Pow-Blop-Wizz avait une mission qui lui pesait.

Chaque bullette avait en son intérieur de bulle un petit cœur où palpitait une minuscule pincée d’espoir. Il y avait dans l’air des milliers de jeunes bullettes et donc des milliers de pincées d’espoir.

Elles se mirent à grossir et grandir, à s’alourdir et se rapprocher dangereusement du sol près de la nouvelle génération de salsepareille, retinrent leur respiration et éclatèrent en un nuage de minuscule petites, toutes petites bulles d’espoir. Une troisième génération de cœurs remplis d’espérance. Des milliards de bulles qu’un vent solaire enleva et conduisit très haut dans le ciel. Aujourd’hui les savants appellent ce nuage, une nébuleuse d’espoir que chacun peut admirer la nuit.

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