Avocette élégante, et son rendez-vous catastrophique.

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Anne était une avocette élégante rebelle. Elle avait toujours été différente de sa race et des traditions de son espèce. Faire l'inverse de ce qui lui était dicté était sa passion. Refusant d'être assimilée à un groupe, chaque occasion pour faire parler d'elle semblait parfaite pour la faire briller.

Âgée de vingt années, cette avocette qui commençait à se faire vieille, se préparait pour un énième rendez-vous avec un oiseau qui ne lui était pas destiné. Son ex, Damien, n'en pouvait plus de voir son âme soeur refuser de vieillir, fonder une famille et être en paix avec lui, elle s'entêtait à sortir avec n'importe quel oiseau qui pouvait la faire s'évader.

— Aidez-moi au lieu de me regarder comme des abrutis !

Ses quelques amies encore présentes à ses côtés s'activèrent autour d'elle pour l'aider à embellir son plumage.

— Tu es parfaite Anne, arrête de te stresser !

La concernée trempa dans l'eau son long bec retroussé, avant de se le frotter contre la poitrine pour astiquer ses plumes blanches tandis que ses amies s'occupaient de ses ailes noires.

— J'espère que celui-ci saura me satisfaire, j'en ai assez de tomber sur des nuls !

La plus jeune des avocettes élégantes tourna la tête à l'opposé de Anne, pour pouvoir grimacer de dégoût, elle n'avait jamais compris pourquoi la plus âgée du groupe d'amies refusait d'assumer le temps qui passait de la même façon pour tout le monde.

— Pourquoi ne fais-tu pas simplement ta vie avec Damien ? C'est ton âme soeur, et c'est aussi ta plus belle histoire d'amour !

— Tais-toi et occupe-toi de vérifier mes pattes !

La petite se tut et obéit aux ordres de Anne, non sans avoir envie de la fuir, comme beaucoup d'autres oiseaux l'avaient déjà fait auparavant.

Après un examen rapide de ses longues pattes bleues puis de ses palmes, Anne s'énerva de ne pas se trouver jolie, puis partit en insultant ses congénères femelles.

— Si c'est pour m'enlaidir un peu plus à chaque rendez-vous, retournez avec les autres, je ne pourrai m'en porter que mieux !

Elle marcha rapidement jusqu'au lieu de rendez-vous, mais toujours avec son charme naturel. Il était hors de question de paraître nonchalante et de dégoûter un mâle qui pourrait la regarder secrètement. Elle fit attention à éviter tous les amas de vase susceptibles de la salir.

Au bout d'une dizaine de minutes de marche dans l'eau peu profonde de son habitat, elle aperçut près d'un énorme tas de vase, un oiseau qui semblait attendre quelque chose.

Petit à petit, elle commençait à vraiment se demander si c'était là son rendez-vous ou si c'était un vieux qui perdait la tête.

— Hugues ?

Ce dernier tourna la tête vers elle, et ouvrit en grand son bec, en signe de joie et de salut, qui renforça l'envie de Anne à s'en aller.

— Salut, belle Anne ! Content d'te voir.

Anne voulut repartir aussi vite qu'elle était arrivée. Le fameux Hugues, même oiseau de son espèce semblait terriblement différent des fois où ils s'étaient fait du charme discrètement.

Il avait le bec abîmé, les petites plumes sur le haut de son crâne étaient toutes en l'air, comme un oiseau fou, son regard paraissait malsain, tout comme la voix calme, lente et l'accent repoussant qu'il possédait. Son ventre était bien plus rond que dans le passé et ses pattes pleines de blessures sales.

— J'espère que t'as faim, doit y avoir un paquet de p'tites bêtes à bouffer dans ce tas de verdure dégueulasse ! T'aimes la verdure ? Je préfère quand elle est noire !

Visiblement son allure était aussi grossière que son langage et Anne ressentait déjà un énorme dégoût envers cet oiseau.

Elle s'approcha à contrecoeur de Hugues, qui s'excita en pensant qu'elle acceptait de le charmer. Il plongea violemment son bec dans le tas de vase, le remua comme un forcené, en éclaboussant tout autour de lui sans même y prêter attention.

Anne poussa un cri d'écoeurement lorsque des morceaux de vase rencontrèrent son plumage tout propre.

— Hugues !

Le mâle, toujours concentré dans sa recherche de nourriture, ne l'entendit pas l'appeler à de nombreuses reprises. Il sortit son bec de la verdure, avec un air triomphant sur le visage.

— Attrape !

Il voulut lancer le ver en direction de Anne, mais très maladroit et bien trop impulsif, il se le lança sur le haut de la tête. L'invertébré roula sur lui-même, décoiffant encore plus Hugues.

— Bah alors ! T'es vraiment mauvaise pour rattraper les proies ! Va falloir t'améliorer, je ne veux pas d'une volatile qui est incapable de chasser ! Chacun sa bouffe, je ne le ferai pas toujours pour toi, c'est la seule fois !

La dégaine du mâle était pathétique et l'avocette élégante regrettait de s'être encore une fois trompée sur son rendez-vous.

Encore de l'énergie perdue, encore du temps perdu et encore un entourage qui s'amoindrissait. Elle commençait à comprendre, qu'en se montrant rebelle, elle gagnait de moins en moins l'admiration et l'attention qu'elle avait toujours recherché. Son attitude hautaine, fortement désagréable et irrespectueuse envers son entourage aimant, lui faisait se rendre compte que rien ne servait de vouloir se montrer supérieure aux autres, et qu'enchaîner les rendez-vous avec des oiseaux qu'elle ne traiterait pas correctement, faisait d'elle une avocette malheureuse. Sans même évoquer le fait que ses fréquentations étaient toujours médiocres.

— Hé, t'es encore avec moi là ou tu penses encore aux centaines d'oiseaux que tu t'es tapés avant moi ?

Anne resta silencieuse. Jamais, elle ne s'était sentie aussi mal en présence d'un mâle.

— Ou alors tu penses à ceux que tu vas te faire après moi ? Si tu survis jusqu'à là.

Cette fois-ci, l'avocette élégante laissait de côté le dégoût du physique dégradant de son rendez-vous, le danger qui émanait de lui devenait plus important. Et elle aurait aimé avoir de quoi se défendre en cas de problème.

Hugues s'avança vers elle, d'une façon menaçante mais tout de même maladroite.

— Bin, tu dis plus rien ? T'as pas aimé que je veuille te donner à manger ? J'aime plutôt bien les femelles soumises, mais il y a du travail à faire pour toi.

Il lui tourna autour en jetant de la vase à plusieurs reprises, il se plaça ensuite à côté d'elle, fit semblant de boire et s'activa à imiter des révérences d'accouplement.

— Allez, qu'est-ce que t'attends. Fais le rituel avec moi !

Anne ne bougea pas, ce qui ne plut pas à Hugues, qui la bouscula.

Elle émit un cri d'alarme très fort, en espérant qu'un oiseau de son entourage puisse entendre le danger de la situation.

— Oh ! Arrête de crier pour rien, je veux juste que tu m'aimes ! C'est pas difficile, c'est ce que tu demandes depuis si longtemps ! Et t'avais l'air de bien aimer quand on se charmait dans le dos de Damien !

Anne réitéra le cri, encore plus fort. Elle commençait à réellement paniquer.

Alors qu'elle pensait être emprisonnée, à jamais, elle entendit la voix de Damien qui l'appelait. Puis l'eau derrière elle se mit à faire de plus grosses vagues et Hugues se déplaça brutalement, loin de Anne.

— Laisse Anne tranquille, papi ! Tu n'as pas honte de vouloir posséder une avocette plus jeune que toi ? Il ne te reste qu'une année à vivre, vas donc vers les vilaines de ton âge !

Damien ouvrit ses ailes, pour impressionner Hugues et lui montrer qui allait perdre si un combat avait lieu.

— Elle est venue jusqu'à moi, c'est de sa faute, pas la mienne ! Elle me draguait quand vous étiez ensemble !

Anne se cacha derrière les ailes, toujours ouvertes, de son ex.

— Tu vois bien qu'elle veut juste partir, sans toi ! Ou alors tu as besoin de mon aide pour t'en rendre compte.

Damien se rapprocha du vieillard, le menaçant, malgré les cris de Anne.

— C'est bon, je me casse. De toute façon, elle ne savait même pas être une bonne chasseuse cette incapable !

Hugues commença à s'éloigner avant même d'avoir terminé sa phrase, car il savait que si Damien le coursait pour l'attaquer, il n'aurait pas eu beaucoup de temps pour s'enfuir et survivre.

Anne supplia son ex de rentrer, sans plus reparler de cet épisode catastrophique.

— J'ai pris conscience du mal que je faisais en voulant me sentir importante. Je n'ai plus besoin de faire n'importe quoi, j'ai compris que je suis suffisamment importante, aimée et respectée dans notre coin d'eau. Désolée, de t'avoir fait souffrir alors que je savais très bien que ma destinée était avec toi. Je me range.

Damien ne répondit rien, se contentant d'avancer. Mais il se sentit enfin reconnu et heureux. Peut-être avait-il enfin une chance de s'accoupler et former une famille avec son âme soeur.

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