Hôtes

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"Juste un instant messieurs. Ils sont capricieux avec le courant."

La femme agite l'interrupteur plusieurs fois. On voit l'ampoule de la chambre clignoter faiblement, puis après cinq ou six essais, elle éclaire le lieu et ses occupants. Derrière l'hôte, deux hommes regardent la scène d'un air amusé.

Depuis qu'ils étaient arrivés dans ce manoir pour célébrer leur lune de miel, cette femme leur avait présenté le lieu en faisant mention de sa réputation de "maison hantée". Dans les faits, ils étaient simplement tombés sous le charme de ce vieux bâtiment imprégné d'histoire depuis le XVIème siècle. En se renseignant, ils n'étaient pas non plus tombés sur de quelconques anecdotes horrifiques. Ce n'était qu'au moment où ils avaient frappé à la grande porte double que Madame Rose avait joué ce petit rôle. Elle ne parlait pas de fantômes ou de personne décédée dans le grenier, mais elle mentionnait simplement des personnes qui semblaient avoir un pouvoir sur la maison. "Ils".

"Excusez-moi Madame Rose, mais pourquoi y a-t-il deux lits dans cette chambre ?

- Eh bien, deux messieurs comme vous ?

- Nous sommes époux."

Elle était âgée, venait d'une époque où les mœurs étaient différentes. Mais fort heureusement, elle savait vivre avec son temps.

"Oh ! Je suis confuse ! Nous avons si peu de couples à venir leur rendre visite ! Je m'étais figuré que vous étiez deux bons amis. Suivez-moi, je vais vous mener à une autre chambre."

Elle éteignit la lumière sans avoir à maltraiter l'interrupteur. Ensemble, ils gravirent de longues marches et rejoignirent une autre chambre bien plus charmante et lumineuse. L'électricité, aussi, fonctionnait à merveille et la mise en scène du rez-de-chaussée n'eut pas lieu d'être ici.

Ils déposèrent leurs valises et firent un dernier tour des lieux. Ils rencontrèrent notamment le cuisinier qui allait se charger des repas de leur séjour ainsi que l'agent d'entretien. En somme, il n'y avait que cinq personnes présentes dans ce manoir. Madame Rose, qui était la gestionnaire des lieux, le chef cuisinier Babineau, monsieur Myers qui cumulait les rôles d'électricien, de jardinier, d'homme de ménage et d'à peu près tous les rôles manuels requis, et enfin, William et Leland.

Une fois ces rencontres faites et la nuit étant tombée, ils profitèrent rapidement du repas dont ils jouirent en tête à tête. Malgré l'attirance ostensible de Madame Rose pour les histoires d'horreur, tout était charmant ici. Le goût de la nourriture était divin, tout sentait le propre et la décoration centenaire de cette chambre satisfaisait tous leurs critères de goûts pour l'art. Ils célébrèrent leur première nuit de noces comme il se devait pour un couple heureux. Depuis des années, ils en avaient eu envie, et leur pays ne le leur avait permis une telle union que depuis quelques mois. Dès que la loi fut passée, ils n'eurent pas une seconde d'hésitation.

La soirée fut merveilleuse pour Leland. Un petit peu moins pour William. Quand ils eurent consommé la célébration de leur union, il lui avait semblé entendre des bruits de pas. Leur chambre donnait sur un long couloir où il y avait cinq autres salles. Une autre chambre, une salle d'exposition d'arts, une salle de musique et deux autres restreintes au public. Leur propre chambre était située juste à côté de l'une des salles fermées. Une personne avait marché jusqu'à celle-ci, mais il n'avait jamais entendu la porte être claquée. Quand ils eurent tous deux terminé, les pas s'étaient éloignés.

Quelqu'un s'était posté devant leur chambre et les avait écoutés faire l'amour.

"Madame Rose doit beaucoup nous aimer, voilà tout ! avait plaisanté William. Je ne pas que c'est bien, mais je ne serais pas étonné qu'on ait attisé sa curiosité. De la manière dont elle avait réagi, je crois qu'elle est plus intriguée qu'elle ne désapprouve. J'ai vu des personnes moins âgées qu'elles être plus conservatrices. Si ça se trouve, elle a voulu vérifier, voir si "c'est vrai"."

Cette possibilité aurait pu expliquer de tels agissements, mais cela ne les justifiait pas pour Leland. Contrairement à son conjoint, il a été confronté à beaucoup de difficultés concernant son homosexualité. Il ne s'habituait pas à être traité comme une bête curieuse. Il se fit la promesse que s'il y avait une prochaine fois, il réagirait vivement et confronterait l'hôte en question.

Trois autres nuits passèrent sans que rien de notable ne se déroule sur le seuil de leur chambre. Mais la quatrième, une autre chose se passa. Leland s'était réveillé en sursaut. Quelque chose l'observait. Il en avait la certitude. William dormait toujours d'un sommeil extrêmement lourd, alors il se décidé à enquêter par lui-même. D'ordinaire, il ne se fiait pas à de telles intuitions, mais il sentit ces regards comme on des mains qui l'agrippaient.

Dans la nuit, il ouvrit la porte du couloir et se mit à déambuler, pieds nus. La lumière, toujours aussi capricieuse, ne s'alluma pas et cela était tant mieux. Il se fit la réflexion qu'il était plus en sécurité dissimulé dans l'ombre. Il lui fallut un long moment avant que ses yeux ne s'habituent vraiment à l'obscurité.

Il n'y avait personne ici, mais juste à côté, cette porte close vers la chambre "interdite" l'appelait. Il sentait que quelque chose venait de là, que c'était derrière cette fragile cloison qu'il y avait ces yeux qui le scrutaient.

Leland hésita longtemps. Il n'avait pas le droit d'y entrer, mais il n'y avait presque rien entre lui et la vérité. Car tout ceci existait. Il en avait la certitude.

Il regarda par la serrure, mais la nuit l'enveloppait. Il tourna la poignée, mais elle était évidemment verrouillée. Il cogna, mais personne ne répondit. Il tambourina, et enfin, seulement à cet instant, il entendit quelque chose tressaillir.

"Ouvrez ! Ouvrez immédiatement !" hurla-t-il.

Mais bien entendu, on n'en fit rien. Alors plutôt que tambouriner, il se jeter sur la porte, épaule en avant. Il avait un buste massif, celui d'un homme jeune, qui savait s'entretenir. Au deuxième coup, la cloison céda et le verrou emporta une large pointe de bois. L'un des gonds se déchaussa et Leland fut emporté dans son propre élan pour faire trois grandes enjambées dans le noir.

Dehors, la pleine lune brillait suffisamment pour éclairer la salle. De grandes et maigres silhouettes s'éloignèrent comme un banc de poissons. Sur la droite, des dizaines de petites lumières brillaient sur le mur. Leland comprit avec effroi que ces lumières venaient de la lampe de chevet de sa chambre qui perçait à travers ces innombrables judas. Depuis leur première nuit, on les observait lui et William.

Il se tourna vers ces personnes et enfin, il vit un peu mieux la lumière lunaire sur leurs visages. Elles étaient nues, lubriques et arboraient toutes le même sourire malsain. Leur surprise se transforma en envie alors que leur respiration commune se faisait de plus en plus forte, excitée. Les voyeurs ahanaient de désir alors que Leland commençait à regretter amèrement son geste. Derrière lui, les points lumineux formaient de longs fils dorés transperçant la nuit et venant se mêler parmi les hôtes.

Il poussa un cri de terreur quand les lueurs s'évanouirent.

William n'était plus seul dans la chambre désormais.

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