Chapitre 60 : Lynn

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- Ils sont à bloc.

Lynn tourna lentement la tête vers Gordon : le manager n'avait pas vraiment besoin de le dire. Même au calme, dans les loges, ils pouvaient entendre la rumeur qui montait. Ils étaient à Berlin, dans une des meilleurs salles de concert de la capitale allemande. Et le public semblait vraiment chaud, chaud, chaud. Dans moins d'un quart d'heure, une dizaine de minutes peut-être, ce serait à lui d'affronter cette foule. Seul d'abord, avant que les quatre autres ne le rejoignent sur scène.

Son regard fit le tour de la loge. C'était la plus grande et ils s'y étaient tous retrouvés une fois déposées leurs affaires et après s'être changés pour le show. Il aimait ces moments juste avant un concert, quand ils se retrouvaient tous ensemble, qu'ils se soudaient pour produire le meilleur de ce qu'ils pouvaient donner. Ils l'avaient toujours fait, même du temps de Ruggy et des pubs. Il avait besoin de ces moments et, il le savait, les autres aussi. Treddy avait tout de suite embrayé sur cette façon de procéder et son calme olympien déteignait sur eux tous. Quant au guitariste qui les accompagnait pour cette tournée, Frank Manderson, il s'était assez bien intégré à leur groupe. Gordon avait encore fait des merveilles pour arrondir les angles et trouver la personne adéquate. La maison de disques n'avait pas rechigné non plus : c'était un excellent guitariste, qui avait tourné avec de nombreux groupes de métal, assurant en studio mais plus encore sur scène. Il avait de l'expérience, y compris pour de grands shows, et bien plus qu'eux-mêmes. C'était un petit plus de l'avoir, même si sa présence n'avait pas été gagnée d'avance, surtout de leur côté. Mais à force d'échanges, de persuasion, ils avaient accepté. Ils avaient aussi reconnu que le deuxième album, avec l'ajout d'une guitare rythmique pour tous les morceaux, avait un son bien différent du premier. Cela contribuait sans doute aussi à son succès : plus de maturité, des textes plus variés et une "couleur" différente. Noir, avec une pointe de vert et un éclat de lumière.

A la gauche de Lynn, en pantalon de cuir et avec son éternel t-shirt d'Iron Maiden, les cheveux attachés nonchalamment sur la nuque, Stair enquillait des réussites. Les cartes commençaient à avoir les coins usés, à force de servir. Face à lui, assis dos au mur, les yeux fermés, on aurait pu croire que Treddy dormait. Lynn savait bien que ce n'était pas du tout le cas : il était en train de méditer, de se concentrer à sa façon sur le show à venir. Pour ce soir, il s'était habillé tout aussi simplement que Stair : jeans noirs et t-shirt blanc, avec un drapeau écossais en tout petit, au côté gauche. Et un grand "Yes" bleu dans le dos. Le message pour le prochain référendum.

L'autre guitariste, Frank, était allongé sur un des canapés, les yeux fermés. Il était habillé en vrai "métaleux" : t-shirt noir avec des signes cabalistiques que Lynn avait renoncé à traduire et pantalon de cuir, ceinture cloutée. Et des bracelets assez larges, cloutés également, mais qui, outre d'ajouter une dernière touche à son look, lui évitait aussi d'avoir trop de sueur à couler sur les mains quand il jouait. Il parlait peu avant le show, ce qui les arrangeait bien tous. Souvent, à quelques minutes d'entrer sur scène, quand il sentait la tension monter, il racontait une blague de potaches. Ca avait le don de les faire rire, de les détendre. Et une fois les rires calmés, Lynn était le premier à quitter la loge, à s'enfoncer dans le couloir et à rejoindre sa batterie.

Enfin, à sa droite, à demi vautré dans un fauteuil, les jambes allongées, Snoog regardait le plafond. Lynn était certain que son ami ferait encore des ravages parmi les groupies ce soir. Sa crinière de lion brillait doucement sous les lampes de la loge, ses yeux paraissaient d'un bleu plus délavé. Il portait un t-shirt sans manche où une magnifique walkyrie quasi-nue affrontait un dragon aux écailles rouges et luisantes. Sans doute en ferait-il cadeau à la fille qui dormirait avec lui cette nuit. Et que cette dernière ne pourrait jamais se résoudre à le laver... Il sourit à cette idée. Lui-même, enfin, portait un t-shirt de Motörhead, mais il ne le garderait pas longtemps : en général, dès la troisième ou à la quatrième chanson - selon la puissance des projecteurs -, il l'enlevait. Et il ne pouvait jamais s'empêcher de songer à Jenna quand il le faisait.

Mais ce soir, comme de nombreux soirs depuis plusieurs semaines, ni Jenna, ni Ally ne seraient dans la salle pour les voir, ni en coulisses pour les retrouver après le concert. Elle lui manquait beaucoup et il savait qu'Ally aussi manquait à Stair. Mais tant qu'elles suivraient leurs études, il en serait toujours ainsi : elles ne pourraient venir avec eux. Il espérait qu'un jour, elles et eux-mêmes pourraient vivre ensemble toute une tournée. Une vraie et pas une comme ils l'avaient fait à leurs débuts, même s'il en gardait des souvenirs agréables. A cette époque, ils ramaient tous et chaque date était la bienvenue. Et ils étaient encore d'illustres inconnus. Aujourd'hui, on commençait à les reconnaître dans les aéroports, il y avait toujours des groupies à les guetter à la porte de leurs hôtels, en grappes plus ou moins serrées. Le temps de l'anonymat complet était derrière eux. Mais c'était aussi ce qu'ils avaient voulu et Lynn n'avait pas de regrets : ils pouvaient maintenant partager leurs chansons, leur musique, avec le plus grand nombre. Du moins, avec un nombre grandissant de fans de hard-rock. La tournée européenne, qui n'en était encore qu'à ses premières semaines, le prouvait bien. Après la Belgique, la France, le Portugal et l'Espagne, ils se trouvaient maintenant en Allemagne. Ils joueraient ensuite dans tous les pays de l'ex-Europe de l'Est, avant de terminer par la Grèce et l'Italie. Puis ce serait la tournée "à la maison", en Grande-Bretagne et en Irlande. Ces dates auraient lieu principalement à la fin de l'été et il espérait bien qu'Ally et Jenna pourraient être avec eux, du moins une partie du temps, avant pour Jenna d'entamer sa dernière année. Mais il admirait aussi leurs deux compagnes : malgré leur succès, elles voulaient garder leur propre cap et terminer leurs études. Dans quelques mois, si tout allait bien, Ally serait diplômée. Il faudrait encore toute une année à Jenna avant d'en avoir fini. D'ici là, beaucoup de choses pouvaient se passer.

- Vous connaissez l'oiseau qui s'appelle Oulala oulala oulala ? En fait c'est un oiseau qui a de toutes petites pattes et de très très grosses couilles et du coup, chaque fois qu'il doit atterrir il fait : Oulala oulala oulala !

- T'es con ! lâcha Snoog en se redressant et en se tournant vers Frank.

La main de Stair resta un instant en suspens au-dessus de la table. Treddy rouvrit les yeux, étira longuement ses bras avant de se relever souplement. Lynn, lui, avait déjà quitté son siège et se dirigeait vers la porte.

L'heure avait sonné.

Dès la porte ouverte, ce qui lui avait paru n'être qu'un grondement lointain devint vague roulant jusqu'à eux. Une fois de plus, Gordon avait dit juste : le public était chaud. Quelques pas, assurés, puis l'escalier menant à la scène. Les projecteurs qui balayaient le public. Un dernier mot de Gordon à son oreille, qu'il ne comprit pas - comme toujours -, puis une tape sur l'épaule de la part de celui-ci et il monta d'un pas souple les quelques marches, se glissa le long du mur, passa derrière la guitare de Ruggy qui trônait, non loin de la batterie : selon les scènes, elle était plus ou moins placée proche de lui ou même accrochée contre le mur du fond.

Il prit place sur son siège, ignorant encore les cris de la foule, les appels. Une légère caresse sur ses toms, comme une prière, la vérification de routine pour s'assurer qu'il disposait de plusieurs baguettes de secours, puis il ferma brièvement les yeux et commença à jouer. Premier frémissement des cymbales qui lui remonta tout le long de la colonne vertébrale, premier coup sur un tom, dernière pensée pour Jenna, et il attaqua vraiment.

Sans avoir besoin de regarder la scène, il sut que Stair était déjà là et prenait place, vite rejoint par les deux guitaristes. Stair démarra sur le début martelé de Lies !, puis Frank et Treddy lancèrent leurs guitares. Ils firent durer l'introduction, pour faire monter la pression dans le public. Et, soudain, les projecteurs s'allumèrent, accompagnant le bond de Snoog qui, le poing dressé, lançait au public :

- Bonsoir Berliiiiiiiiiiiinnnnnnnnnnnnn !!!!!!!

Vagues et rugissements n'étaient pas suffisants pour décrire la réponse du public et les cris se firent entendre encore par-dessus les premières paroles de Lies, more lies ! . Dès la fin de la première chanson, Lynn commença à avoir chaud. Il était lancé et sans laisser le temps au public de souffler, il enchaîna avec Dark City. Ce fut, ce soir-là, après la troisième chanson qu'il tomba le t-shirt : si la future partenaire de Snoog partirait avec le cadeau de la walkyrie, lui ne savait jamais qui récupérait le sien. Peut-être un fan parmi les roadies. Il l'oubliait toujours en quittant la scène. Et Gordon passait son temps à lui refaire des provisions de t-shirts de Motörhead.

Puis ce furent deux autres titres du premier album, avant que Snoog ne chante No man's land. Une fois encore, Lynn put constater que la chanson avait beaucoup de succès et que cela plairait certainement à Jenna. Il devait bien reconnaître que Stair avait créé une telle ligne de basse pour cette chanson que cela lui donnait un rythme et une touche de folie. Ils firent durer les solos et Stair termina, seul, par quelques notes. Les applaudissements furent difficiles à calmer. Et d'autant plus car ce fut le moment que Snoog choisit pour retirer son t-shirt et finir le show torse nu.

- Merci, merci !!! Alors... Alors... Comme nous jouons en Allemagne ce soir... Nous avons voulu rendre un hommage. Non seulement à vous tous ! Mais aussi...

Et Snoog se saisit d'un harmonica et lança quelques notes. Un instant, le public se figea avant de laisser échapper de grands cris : c'étaient les premières notes de The wind of change, de Scorpions. De petites lumières jaillirent parmi le public, une vague se forma et Snoog n'eut aucun mal à trouver de l'accompagnement pour le refrain. A la fin, il s'inclina longuement pour remercier les spectateurs.

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