Ardente enquête

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Découverte 

 Il faisait beau et l’air était bon. Il n’en avait pas fallu beaucoup plus pour qu’Alya, appareil photo en main, sorte de chez elle. Entre âme d’artiste et esprit aventurier, elle privilégiait ces moments où la Nature reprenait des couleurs pour s’adonner à sa passion. Depuis son arrivée à Malestroit quelques mois auparavant, les abords du canal étaient son terrain de prédilection. Elle y photographiait tout ce qui pouvait s’y trouver : badauds, fleurs, insectes, effets d’eau et de lumière... Tout pouvait y devenir une source d’inspiration.

 Cet après-midi de mars était une parfaite occasion pour capturer dans la boite quelques clichés colorés et empreints de gaîté. C’est ainsi qu’elle passa plusieurs heures à flâner le long du cours d’eau, son appareil dans la main droite et le bijou suspendu à son cou dans la main gauche. Il faut dire que ce collier, dont la pièce maîtresse était un magnifique joyau de jade torsadé et étincelant, l’obsédait complètement. Il lui avait été offert la veille pour ses vingt ans par sa grand-mère. Sa grand-mère maternelle. Celle-là même qu’elle n’avait jamais rencontrée depuis sa naissance. Elle ne la connaissait que par son père qui lui avait par moments parlé de leurs rares entrevues. Le fait que sa mère soit morte en la mettant au monde n’aidait pas à entretenir un quelconque contact. Elle avait d’ailleurs reçu ce collier par la poste, sa parente n’ayant évidemment pas fait le déplacement, elle qui habitait au fin fond de la campagne alsacienne. Mais ce qui l’obnubilait encore davantage dans ce bijou, c’était cette sorte d’énergie qui s’en dégageait. Elle ne saurait dire si celle-ci était malsaine ou non, mais ce qui émanait de cette pierre n’était définitivement pas anodin.

 Lorsque les ténèbres de la nuit commencèrent à repousser les dernières lueurs du jour, Alya se décida à rentrer. Sautant la case repas, elle fila directement dans sa chambre afin de trier ses prises de la journée. Avoir à sélectionner les photos après chaque sortie lui procurait un plaisir coupable qui à la fois flattait son égo et l’amusait grandement. C’était tout comme se projeter à la place d’un artiste accompli qui savait dissocier une œuvre réussie d’une autre ratée. Après vingt bonnes minutes passées à évaluer, comparer et hésiter, elle arrivait enfin au bout du lot. Elle s’attarda néanmoins sur cette P160686. Un détail l’intriguait. Il y avait ce petit quelque chose sur l’autre berge, qu’on discernait vaguement dans ce flou d’arrière plan. Un petit quelque chose qui reflétait la lumière naturelle et scintillait de mille feux. Cela semblait être enfoui dans l’herbe, non loin de l’écluse. Fatiguée, elle finit par fermer son ordinateur et se jeter dans son lit. Mais sa curiosité avait été piquée et son regard scintillait à son tour : elle y retournerait sans faute, et avec un plaisir non dissimulé.

Investigation

 Le lendemain elle revint donc au même endroit que celui d’où avait été prise la photo. Elle superposa la photocopie qu’elle en avait faite au décor qu’elle avait devant elle. C’était bien là. Mais plus de scintillement, plus d’éclat, rien ne brillait en face. Elle aurait dû s’y attendre. N’étant pas venu à la même heure, le soleil n’avait évidemment pas la même position que la veille. La lumière n’était pas réfléchie dans la même direction. Toujours dans l’espoir de déterrer quelque trésor, elle traversa le canal par le pont situé un peu plus loin et se retrouva finalement au point en question. Elle trouva rapidement l’origine de toute cette intrigue dans un petit angle métallique. Ces quelques millimètres dépassant du sol permirent à Alya et ses ongles de creuser la terre alentour. Elle en retira finalement, après plusieurs tentatives, une sorte de coffret. De taille moyenne et muni d’un vieux cadenas à code, il était complètement cabossé et en partie rouillé. Satisfaite de cette découverte pour le moins surprenante, elle n’aurait su toutefois en rester là. Ces inscriptions, taillées elle ne savait comment dans le métal, n’avaient fait qu’attiser un peu plus sa curiosité maladive. « Jules D. 9-47-56 ». Au comble de l’excitation, elle décida de revenir en vitesse chez elle pour en apprendre plus sur cette mystérieuse boîte.

 La voilà donc devant ce bout de métal, décontenancée et énervée. Voilà bien une demi-heure qu’elle cherchait ce fameux code à cinq chiffres. Elle avait eu beau tenter toutes les combinaisons possibles à partir des inscriptions présentes sur la boîte, rien n’y avait fait. Elle ne voulait pas en arriver là, mais après avoir fouillé dans le garage de son père, elle revint armée de tout un attirail. Pince, marteau, tournevis, clé-à-molette. Elle ne s’était jamais servie de rien mais tout y était. Elle en vint rapidement au marteau et fracassa finalement le contenant métallique, son contenu se répandant sur le bureau. C’était un joyeux et joli bazar. Quelques billes œil-de-chat, un bout de tissu sur lequel était brodé Jules en lettres dorées, plusieurs galets émoussés de couleurs et tailles différentes, deux berlingots poussiéreux, trois photos et un petit bout de papier suranné qui disait : « Cofre secré de Jules ! ». Elle avait devant les yeux un vrai trésor d’enfant. Mais ce qui attira tout de suite l’attention d’Alya, ce furent ces photos. Sur la première on pouvait voir une famille au grand complet, avec en son centre un petit garçon. D'après le nombre de bougies présentes sur le gâteau placé devant lui, il devait fêter ses neuf ans. Ce même chiffre présent également sur la boîte ne devait donc pas être là par hasard. Il s’agissait bel et bien de Jules. La seconde montrait un homme en tenue d’officier avec une date au dos. 1938. Cet homme, elle eu beau chercher, Alya ne le trouva pas sur la première photo. Elle en déduisit que ce probable père de Jules était mort pendant la guerre. Sans n’avoir, par la même occasion, jamais connu son fils. Ce 47 devait donc faire référence à l’année où Jules avait reçu son précieux coffret cadenassé. Et en y réfléchissant, le Morbihan était l’explication la plus vraisemblable pour le dernier nombre. Toutefois, ce n’était pas comprendre ces codes qui l’aiderait à saisir qui était ce petit bout d’homme. Elle se décida à regarder la dernière photo. On pouvait y voir Jules en compagnie d’une autre enfant et d’une femme devant une Volkswagen fraîchement sortie d’usine. Celles qui semblaient être sa sœur et sa mère n’avaient dans un premier temps pas attiré son attention. Mais malgré la grain de la photo, malgré la distance qui séparait l’objectif des sujets et malgré l’apparente banalité de ce cliché, elle le vit et elle en fut immédiatement certaine. Cette femme portait à son cou exactement le même bijou que sa grand-mère lui avait offert il y a deux jours de cela.

Déplacement

 Alya profita du temps qu’elle avait devant elle pour se perdre dans les paysages gris qui l’entouraient. Elle avait pris le train tôt ce matin, pour une arrivée espérée aux alentours de midi à Mulhouse. À peine vingt-quatre heures étaient passées depuis cette révélation mais son enquête allait déjà trouver réponses. Elle avait immédiatement su, après ces découvertes inattendues, sorties tout droit de quelque récit policier, qu’elle allait devoir rencontrer cette femme. Après avoir insisté auprès de son père, elle avait réussi à obtenir une adresse. Sa grand-mère habitait non loin de Ungersheim, au nord de Mulhouse. Elle peinait encore à croire ce qu’elle était entrain de faire. Mais ce besoin de savoir et d’avoir l’esprit léger prédominait. Bientôt sept jours qu’elle n’avait pas fait une seule nuit complète. Ce collier qui déjà l’obsédait considérablement, était devenu une sorte de psychose. Si ce bijou était bel et bien le même que celui présent sur la photo, il y avait des chances pour que son aïeule connaisse l’histoire de cette boîte et de ce petit Jules. Elle n’avait même pas osé enlever le pendentif depuis qu’elle l’avait accroché autour de son cou, le jour de ses vingt printemps.

 Après un trajet des plus longs et abrutissants qui s’acheva en stop, elle finit par se faire déposer à l’adresse indiquée. Devant elle se dressait non pas une jolie petite maison de campagne comme elle aurait pu s’y attendre, mais une sorte de vieille demeure lugubre. La résidence était relativement grande et perchée sur une large butte. Les volets étaient pour la plupart cassés et des craquelures sur les murs indiquaient clairement que le bâtiment n’était pas dans son meilleur état. Ajoutez à cela un ciel gris et lourd et l’ambiance était vraiment sinistre. Alya se surprit à ricaner, d’un de ces rires nerveux lorsque l’on sent son pouls s’accélérer. Elle était en plein cliché de film d’horreur. Elle allait à coup sûr rentrer et tomber sur une mamie momifiée ! Décidant d’arborer un sourire davantage serein, elle entama la montée des marches de pierre qui menaient à la porte d’entrée. Comment devra-t-elle l’appeler une fois qu’elle sera devant elle ? « Mamie » ? Cela sonnait bien trop familier pour quelqu’un qu’elle n’avait jamais vu. Cessant ces réflexions inutiles, elle toqua. Après quelques secondes, elle entendit une vieille voix rocailleuse lui dire d’entrer.

Verdict

 L’intérieur la rassura quelque peu. La maison en elle-même était en fin de compte tout à fait ordinaire voire même chaleureuse. Elle pénétra dans ce qui semblait être le salon et se retrouva nez-à-nez avec cette femme, de deux générations son aînée. Elle était confortablement assise dans une chaise à bascule en osier.

 — Bonjour… Enfin enchantée ! C’est Alya, votre petite-fille. Enfin normalement, si je suis bien à la bonne adresse !

 — Oh Alya ! Eh bien je ne m'attendais pas à une telle surprise. Il fallait que tu me préviennes ! J’aurais su t’accueillir comme il se doit ! Tu as mangé au moins ?

 — Non, non, mais ne vous en faites pas. Ça va aller pour moi. En fait, j’avais enfin l’opportunité de vous rencontrer donc me voilà ! Mais je ne reste que quelques heures. Je dois retourner en cours dès demain.

 Autour d’un thé et quelques biscuits, elle lui raconta l’enquête qui l’avait menée jusqu’ici et lui parla de cette étrange boîte trouvée par hasard. Elle finit par lui montrer les photos qu’elle avait pris soin d’apporter dans son sac. Si le premier contact avec sa grand-mère s’était passé adorablement, celle-ci se trouvant être très avenante et gentille, l’atmosphère changea radicalement lorsqu’elle déposa le regard sur les différents clichés. Sourire perdu, yeux exorbités, elle finit par bégayer :

 — Où ? Où as-tu trouvé ça ? Tu… Tu n’aurais pas dû…

 Alya n’osa dire mot. Son appréhension revint à grand pas et son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine. Cette vieille femme ne rigolait plus du tout et avait le regard durement et sombrement posé sur sa descendante.

 — Tu ne me laisses pas le choix. J’aurais voulu t’épargner la connaissance de ta mort prochaine mais puisque tu as fait le déplacement spécialement pour moi…

 Elle aurait voulu croire à une blague, ou au moins se réveiller chez elle, là maintenant, et reprendre le cours de sa vie. Mais le sourire mauvais qui s’était dessiné sur le visage de son vis-à-vis lui glaça définitivement le sang. En état de choc, elle parvint toutefois à entendre et intégrer ce long monologue :

 — Vois-tu, cette petite fille présente à côté de Jules, c’est moi. Mon frère et ma mère, décédés depuis, étaient tout ce que j’avais. Ce bijou qu’elle porte autour du cou est effectivement le même que celui que je t’ai envoyé. Ma mère l’a reçu pas voie postale, un jour comme les autres, et de façon anonyme. Il était accompagné d’un petit mot qui l’invitait à porter le collier et qui lui annonçait également qu’un présent l’attendait devant chez elle. Des étoiles dans les yeux, elle a accouru sur le pas de la porte pour constater qu’en effet, une auto toute neuve se trouvait devant le portail. Depuis la mort de notre père, elle s’était renfermée sur elle-même, adressant à peine la parole à ses enfants. Mais la revoir souriante et pleine de vie, ça nous avait comblé de joie mon frère et moi. Ma mère est morte trois jours plus tard, étranglée dans son sommeil par ce même collier que tu portes aujourd’hui. Lorsqu’on avait tenté le jour d’avant de le lui enlever, rien n’y avait fait. Comme s’il s’était resserré. Sans nous inquiéter plus que ça, nous comptions le lendemain aller voir un bijoutier pour qu’il le retire du cou de maman. Après sa mort, j’ai compris tout de suite que cette parure était maudite. Ma mère n’aurait évidemment jamais dû coucher avec ces sales boches... Une main invisible est donc venue la punir. J’ai pris soin de lui retirer le collier sur son lit de mort, celui-ci étant redevenu tout à fait normal, comme s’il avait voulu cacher sa terrifiante responsabilité. Je me suis alors juré que plus personne ne subirait ce sort atroce et décidai de le cacher quelque part où personne n’irait le chercher. Jusqu’à ta naissance.

 Elle s’arrêta un temps, comme submergée par l’émotion, les yeux humides. Puis reprit :

 — Ma fille, ma pauvre petite fille… Je n’avais plus qu’elle. Son bonheur et sa survie étaient tout ce qui importait à mes yeux. Il fallait absolument qu’elle parte après moi, qu’elle vive. Mais tu t’en es mêlée et elle est morte ! Alors j’ai attendu. Et le jour qui entama ta vingt-et-unième année, je te l’ai adressé. Je ne veux plus souffrir tu comprends ? Je ne veux plus de famille. Je veux être seule, jusqu’à ma mort. Je ne voulais pas être témoin de la tienne, mais tu as fait en sorte que je le sois, trois jours après avoir porté cette pierre à ton cou. Donc je peux te le dire en face. Je n’ai aucun regret.

 Alya, à moitié inconsciente, avait senti tout au long de ces révélations l’étreinte du collier qui s’était attaqué à sa gorge. Elle avait vu ce joyau vert remonter le long de sa poitrine, laissant cette large et terrible trace rouge sur son passage. Elle savait maintenant que lutter serait vain et que le sort ou le destin, elle ne savait plus, en avait décidé ainsi. Résignée, elle parvint à articuler :

 — Quelle idée de toujours vouloir tout savoir. J'aurais pu mourir sans comprendre, ce qui n’aurait pas été plus mal. Mais au fond, je n’ai jamais pu me pardonner. Savoir que je suis celle qui lui a oté la vie... J’aurais tellement voulu la connaître, rien qu’un peu. Je te demande par-… pard-...

 Elle ne put finir sa phrase et s’effondra, asphyxiée et strangulée. Sur la chaise en osier se trouvait un jeune homme. Son sourire goguenard et les deux petites cornes qui voyaient le jour au sommet de son crâne complétaient un portrait monstrueux. Cet être profondément vil, après avoir adressé une tendre caresse au visage figée d’Alya, exhiba ses larges ailes rouge sombre et s’envola par la fenêtre. Celle-là même qui se trouvait entre lui et sa prochaine proie.

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