72 - The way to you

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 J'attrape un taxi sitôt les portes de l'aéroport passées. Louise me suit sur ses échasses, accompagnée de sa fidèle valise rose. Ses talons claquent sur le bitume comme dans mon cerveau. En fidèle futur peut-être ex beau-frère bien éduqué, je m'avance pour caser ses affaires dans le coffre de la voiture. C'est sans compter le chauffeur, baraqué comme une armoire à glace, qui s'en empare au vole et les fourre à l'arrière. Puis je rejoins Louise sur le siège passager tout en communiquant notre destination.

Essaie de voir les choses positivement : au moins elle a l'air... gentille.

 Je louche dans sa direction, partagé entre compassion et affliction. Elle n'a pas choisi de tomber sur un mec pareil. C'est vrai, William sait se vendre, ça on ne peut pas le lui reprocher. Mais ils auraient au moins pu se protéger ! A moins que ça n'était prévu ? Un coup de frayeur me fait oublier de respirer. J'essaie d'imaginer la tête que pourrait avoir un mini William, effaré, puis soupire d'exaspération : un, c'est déjà bien assez !

Au moins tu n'auras pas ce problème avec Corentin.

 Je retiens un petit rire. Il y a quand même quelques avantages à avoir un et non une petite amie. Pas de demi-humain à l'aventure qui se perdent. Pas de divine conception.

 Je sors mon portable et contact Will pour la suite des opérations :


16h45

De : moi

A : Will

Colis réceptionné. Et maintenant, je fais quoi ?


 La réponse ne tarde pas.


De : Will

A : moi

Dépose-la à la maison.


 Quoi ? Je suis censé la larguer avec Claire dans les parages après ce qui s'est passé ?

 Je sens la colère monter en moi. Il se fout de ma gueule !


De : moi

A : Will

T'es sérieux là ?


De : Will

A : moi

???


De : moi

A : Will

Tu me demandes de me confronter à Claire pour les yeux doux d'une dulcinée que t'as trompée ?


De : Will

A : moi

T'inquiète, je suis à peu près sûr qu'avec Louise à la maison, maman t'aura pardonné.


 Sa réponse me laisse un goût amer. Peut-être parce qu'au fond de moi, je sais qu'il a raison. Et c'est encore pire, parce que ça veut dire que même dans les conflits je n'existe pas.

Réjouis-toi, Max. N'est-ce pas là la solution miracle que tu attendais ?

 Comme si le conflit allait se régler aussi simplement. Alors quoi, on oublie tout, on fait comme s'il ne s'était jamais rien passé et je la laisse cracher sur Corentin et dénigrer tout ce que je suis ?

 Un sentiment d'oppression tient mon cœur en otage. Je n'ai jamais été aussi libre et pourtant j'ai la sensation de manquer d'air. Claire a coupé mes ailes et William m'asphyxie aussi sûrement qu'il balance ses phrases d'apparence innocentes, assassines.

– You are okay ?

 Je tourne la tête vers Louise qui me dévisage avec de grands yeux, l'air inquiète. Je bafouille :

– I okay, okay...

– Do you feel bad ?

 J'esquisse un sourire faiblard, pas certain de comprendre ce qu'elle essaie de me dire, et rentre la tête dans les épaules. J'ai l'air d'une pâle réplique de moi-même. Depuis quand manqué-je autant d'assurance ? Ca, c'est l'effet Will, j'en suis certain.

 Je ferme les yeux un instant et me concentre sur Corentin pour faire redescendre la pression. Lui saurait me rassurer. Lui trouverait les mots, je le sais. De toute façon, pas question que je dorme à l'appartement ce soir. Avec Claire d'un côté et Louise et Will de l'autre, je risque de me retrouver à devoir tenir la conversation toute la soirée et je suis absolument certain de ne pas avoir envie de jouer le rôle de la chandelle. Notamment parce que c'est toujours elle qui finit par mettre le feu et que c'est toujours à ce moment-là qu'on se souvient de son existence ; Claire risque d'essayer de me soutirer des informations sur Louise que je serai bien en mal de lui fournir et Will voudra que je fasse le tampon entre lui et sa génitrice bien-aimée, histoire de profiter de sa soirée.

 Non. Pour une fois j'ai bien envie de rester fidèle à moi-même et de fuir.

 Louise a posé sa main sur mon avant-bras histoire de me réconforter et continue la conversation dans un anglais qui me donne le tournis. Elle s'imagine peut-être que je vais lui répondre. Je pensais avoir été assez explicite. J'acquiesce en mode automatique afin de donner l'illusion mais je suis à des lieux de comprendre ce qu'elle me raconte. Et je ne suis pas certain de le vouloir. Mais comme je suis gentil, je fais semblant.

 Entre deux de ses interventions, je m'autorise un coup d'œil à mon portable. Je réalise que contrairement à Louise, je n'ai aucune photo de lui, mon amoureux. Et que contrairement à elle, il ne porte ni le nom de darling ni aucun autre surnom personnalisé dans mon répertoire. Griffin me trouverait d'un ennui sans nom. Je pianote quelques secondes sur les touches et rajoute un cœur derrière son prénom. Ca me fait bizarre, mais je crois que ça me rend heureux.


17h02

De : moi

A : Corentin <3


 Je souris en voyant l'intitulé du message. C'est comme s'il existait un lien beaucoup plus intime qui nous liait l'un à l'autre.


17h02

De : moi

A : Corentin <3

Tu es chez toi ?


 Mon portable vibre presque instantanément.


De : Corentin <3

A : moi

Oui, tu as fini ?


De : moi

A : Corentin <3

Pas encore, on est en chemin. Et je crois que je viens de prendre un an de cours d'anglais en accéléré. haha


De : Corentin <3

A : moi

Si tu veux, je peux t'apprendre ce soir.


 Son message m'arrache un sourire. Pas dit que je n'apprécie pas l'anglais, finalement. Peut-être même que je devrais soutirer quelques tips à Louise.

 Je réalise soudain qu'il me manque et qu'il aurait pu être à sa place dans la voiture. Que ça aurait pu être lui à l'aéroport. Qu'on serait rentré ensemble d'un de ses concerts ; qu'il m'aurait raconté son dernier cachet en chemin ou autour d'un repas une fois rentrés. En voyant Louise, insouciante avec ses bagages à la main, une partie de moi l'envie, une autre jalouse Will. Je crois que moi aussi j'ai envie de découvrir autre chose de lui. Le Corentin qui n'est ni violoniste ni pianiste.


De : moi

A : Corentin <3

Ca te dirait de sortir ce week-end ?


 C'est la première fois que je propose. Mon cœur bat plus fort que de coutume dans ma poitrine. Peut-être parce que j'appréhende sa réponse. Peut-être parce que j'ai peur qu'il me délaisse, lui aussi. Peut-être parce que pour une fois, je mets tellement d'espoirs dans notre relation que j'ai la sensation de me retrouver au pied d'un gouffre.

Il ne te délaissera pas, tu le sais.

 Et si je m'accroche ? Si je crois en notre futur et que ça ne fonctionne pas, qu'adviendra-t-il de moi ?


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