67 - In the Shadow of Love

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 La réalité s'abat sur moi comme une chape de plomb au réveil. La douleur, qui succombe au plaisir. Mon dos qui me hante, et la situation qui ne me lâche pas d'une semelle. A travers la fenêtre, la neige tombe sur les arbres, sur la ville. Silence de velours qui arrête le monde le temps de quelques heures.

 Je me passe une main sur la nuque et observe Corentin qui dort encore entre les draps. Son visage délicat, vierge de toutes préoccupations. Il semble si proche et si lointain à la fois. Mon pouce caresse sa joue sur laquelle je me penche pour y déposer un baiser. Il a la peau aussi douce qu'un bébé. Et à cet instant, je jurerais qu'il en est un. Il semble tellement innocent les yeux fermés.

 Je ferme les yeux le temps d'aligner mes pensées, conscient que je ne pourrai pas fuir toute ma vie. Et si Claire agit comme elle a promis de faire, qu'adviendra-t-il de moi ? A un moment donné il faudra bien que je l'affronte, et William avec elle. Il a quand même bien calculé son coup : reporter la faute sur le petit frère pour ne surtout pas avoir à se justifier de la situation... Peut-on se montrer plus fourbe ?

 William 1, Max 0...

 Je me frotte les yeux en quittant le lit. Je ne veux pas planter Corentin de la sorte, mais je dois bosser. Griffin a raison, je n'ai peut-être pas le niveau, mais ce n'est pas comme si j'avais le choix. Le concours reste ma seule porte de sortie, je ne peux pas me permettre de le louper. Une vidéo. Je dois absolument enregistrer la vidéo et l'envoyer avant la date limite. En même temps hors de question de filmer ça avec mon portable, et je ne peux pas retourner à l'appart chercher le matériel.

 Je jette un coup d'œil à Corentin qui n'a pas bougé d'un iota.

Tu m'excuseras, pensé-je sincèrement.

 Je passe en revue ses étagères à la recherche de son matériel d'enregistrement. Je sais qu'il a ce qu'il me faut, je l'ai déjà vu s'en servir une fois pour une prise de son. Je tombe sur son ordinateur portable, cherche dans les tiroirs du bureau. En fouillant entre les livres, je remarque soudain des photos glissées entre les pages. Curieux, je m'en empare : une fille qui sourit en tenant timidement un violon à la main. Un dessin maladroit que je devine être le sien, et je comprends à ses airs qu'elle est probablement la sœur de l'homme que j'aime. Ils se ressemblent. Peut-être un peu trop, songé-je, en ressentant un pincement au cœur. Comment me sentirais-je si mon frère mettait fin à ses jours ?

 Une pointe de culpabilité me fait secouer la tête et je sens derrière moi Corentin qui glisse ses bras autour de ma taille pour récupérer subtilement son bien. Il ne lâche pas un mot, s'appuie sur mon épaule, dépose un baiser silencieux dans mon cou et rerange les photos dans le livre.

 – Je suis désolé, marmonné-je en ayant la sensation d'avoir franchi une ligne invisible.

 Corentin ne répond pas. Je me sens tout à coup très mal à l'aise.

 – Je ne voulais pas... Je cherchais ton matériel d'enregistrement pour... Enfin je ne comptais pas te l'emprunter sans te le demander. Enfin si, mais parce que tu dormais, je ne voulais pas te réveiller. Je suis désolé, insisté-je.

 Corentin tourne la tête vers la fenêtre et observe la neige qui tombe, puis finit par soupirer.

 – C'est pas grave. C'est pas comme si je pouvais éviter le sujet éternellement, de toute façon.

 Il s'assoit sur le bord du lit. Je vais pour m'assoir à côté de lui, lui passe les mains dans les cheveux tandis qu'il se laisse faire, et nous entraine dans les couvertures.

 – Tu voulais partir en douce, avoue, dit-il pensif.

 J'ai du mal à savoir s'il plaisante ou non.

 – Jamais de la vie !

 – Tu as passé une nuit à peine chez ton copain et tu en as déjà marre, tu as trop hâte de retrouver ta mère et ton frère, si chers à ton cœur...

 Cette fois-ci je comprends qu'il plaisante et pouffe de rire.

 – Tellement que je me demande comment j'ai fait pour vivre tout ce temps sans eux... Regarde, je suis à l'article de la mort, lancé-je en laissant pendre ma langue.

 – Si tu veux, je peux te ressusciter, rétorque-t-il en se redressant.

 J'éclate franchement de rire et pose une main sur sa poitrine pour freiner ses ardeurs.

 – Le mort a du boulot et un enregistrement à faire s'il ne veut pas se retrouver à la rue quand la méchante mère sera brusquement passée à l'attaque. Si encore il s'agissait de la méchante belle-mère, je pense que j'aurais amplement apprécié d'être réssuscité. Mais là je peux difficilement la renier car malheureusement elle fait partie de ma famille. Je dois préparer mes morceaux.

 – Tu as un endroit où t'entrainer ?

 Ce serait mentir que d'avancer que le problème ne m'a pas effleurée. Corentin sait très bien que le nombre de salles à l'Académia est limité et que je ne peux pas m'en contenter. Encore moins si Claire décide de fourrer le nez dans mes études.

 – Tu peux rester ici, propose-t-il.

 – Et toi ?

 Il fait mine de jouer du violon. Je comprends ce qu'il a dans l'idée, même si ça me dérange de m'imposer.

 – Merci, j'apprécie. Sincèrement, insisté-je devant son regard interrogateur, mais tant que Claire est encore ici, et tant qu'elle n'a pas pris les rennes en mains, je préfère aller bosser à l'Academia.

 Je ne tiens surtout pas à lui avouer que je ne veux pas qu'il m'entende. J'ai toujours en mémoire ses versions de Chopin. La douce mélodie qui s'échappe du mur. Il a beau être celui qui fait battre mon cœur, il n'en reste pas moins le voisin dont les doigts survolent le clavier et je veux me détacher de son interprétation. Je dois trouver la mienne. Le Chopin que j'ai toujours rêvé de jouer.

 Le Chopin de Maxime.

 Ca me fait bizarre de penser ainsi. Il y a deux mois, je n'y aurais jamais réfléchi. J'aurais été tellement sûr de moi que la question ne se serait pas posée. Aujourd'hui, je me demande si quatre mois seront suffisant pour me préparer au concours.

 Quatre mois, c'est ce qu'il me reste avant mon salut. Quatre mois de doutes, quatre mois d'intense concentration. Quatre mois de travail.

 Quatre mois, avant que je ne me retrouve véritablement à la rue.

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