63 - Kiss the Rain

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 Je marche si vite sur le chemin qui mène à l'Académia que je peine à respirer. A moins que ça ne soit l'effet Claire, qui m'étouffe jusqu'à tant que je suffoque. Je la hais ! Je la déteste ! Qu'est-ce que ça lui fait ce que je fais de ma vie ? Dix ans qu'elle ne se préoccupe pas de mon sort, et elle se pointe en bon Saint-Maritain ? Pour le bien de Will ?

 L'amertume me donne envie de hurler de rage. A court de souffle, je m'arrête deux secondes pour tenter de me calmer. Pourquoi est-ce qu'il n'est pas resté de l'autre côté de l'Atlantique ? Pourquoi faut-il toujours qu'il vienne pourrir ma vie ? Et maintenant je fais quoi ? Même si je devais réussir, Claire serait capable de se pointer pour me rappeler que c'est grâce à elle et que je lui dois la reconnaissance éternelle.

 J'ai envie de vomir. Qu'importe au final ce que je fais de ma vie, je n'existe pas. Je ne serai jamais son fils, jamais celui qui saura voler de ses propres ailes.

 Pense à Corentin...

 Ma conscience me rattrape. Je me sens presque fautif de ne pas aller le retrouver. J'ai l'impression de l'abandonner. J'ai juste besoin d'être seul pour avoir les idées claires, mais mon cerveau semble bien décidé à ne pas m'écouter. Un nuage de colère m'embrouille l'esprit. J'ai juste envie de tout envoyer valser. De partir là où personne ne me retrouvera jamais.

Et avec quel argent ?

 C'est ce que je déteste le plus : devoir reconnaître que Claire a raison. Que je ne suis pas foutu de me débrouiller seul et que je n'ai pas le choix. Je suis bien obligé de me plier à ses règles si je veux avoir la chance de prouver ce que je vaux.

 En même temps, pourquoi aurais-je quoique ce soit à prouver ?

 Je reprends le chemin de l'Academia passablement agacé, mon sac sur l'épaule. Elle doit bien être en train de rire : en partant sur un coup de tête, je lui donne juste raison. Les adultes ne règlent pas leurs différends ainsi. Ils discutent, tournent autour du pot, argumentent, le tout dans le calme, jusqu'à trouver un compromis.

 Mais quel consensus puis-je trouver avec une personne comme elle ? Rien que de base, nos opinions divergent. A ses yeux, je n'ai jamais existé. Ou alors dans le seul but de soutenir le frère chéri. Et moi ?

 Et moi !

 Je trouve une salle au troisième étage et passe à l'accueil récupérer les clés. Dans les couloirs, les élèves m'évitent, parfois en me lançant un regard en coin avant de le détourner, l'air de rien. Je n'ai pas l'air commode. Oui, je suis furax, et alors ? On a même plus le droit de ne pas être d'humeur ? Il faudrait de surcroît que j'affiche un sourire avenant ? Que je m'excuse de croiser leur chemin ?

 Je claque la porte derrière moi. La seconde. Balance mon sac contre le mur et ouvre le clavier.  Un peu trop brusquement.

 Un bruit sourd retentit lorsque celui-ci claque contre le bois. Je me pince le nez en tentant de me calmer, m'installe au tabouret que je ne prends même pas le peine de régler. Qu'est-ce qu'on joue quand on ne se contrôle plus, déjà ?

 Fantasy impromptue de Chopin.

 C'est Stein qui serait contente de me voir perdre les pédales, m’emmêler les doigts et massacrer mes gammes. Les notes filent, glissent, se mélangent dans un maëlstrom confus. Je n’ai pas les idées claires, je n’ai pas envie de m’appliquer. Le mélange est hideux mais il résonne, et les sons se noient les uns aux autres comme mes pensées qui tourbillonnent.

 Dissonance.

 Je frappe tout ce que je peux, martèle plus vite que le sang qui me monte à la tête. L'amertume laisse un goût de tristesse dans ma gorge. Je veux juste oublier, effacer l'heure qui vient de s'écouler. Dans un dernier accord, je m’écroule, coudes et tête sur le clavier. Des larmes roulent sur mes joues. Je renifle, pathétique de pleurer pour si peu. Pathétique d'échouer là où tout semble être facile.

 La famille n'est rien, c'est ce que j'essaie de me répéter. Je vaux mieux que leur peu de considération. Oui, Maxime, tu as le droit d'exister.

 A cette pensée, la voix de Corentin me remonte en mémoire. Ses bras réconfortants, son souffle chaud dans mon cou. Son jeu chaleureux, sa bienveillance au travers des mots. Il me dirait probablement ce que je veux entendre, et je le charrierais, mais ça me ferait du bien. Il me ferait du bien. Laisserais-je Claire s'emparer des quelques notes de couleur de ma vie ?

 Le front plaqué contre les notes, je respire profondément. Est-ce que je n'ai pas été idiot de partir ? J'aurais dû lui tenir tête. Oui, Max, tu aurais dû lui tenir tête. C'est ce que font les adultes qui ont des convictions. Ils ne s'enfuient pas comme des ados, ils assument. Est-ce qu'on cesse d'avoir des problèmes avec sa mère quand on devient adulte ?

 Je me redresse avec lourdeur, un peu perdu, et jette un œil à mon sac près du mur. Est-ce que je rentre ? Est-ce que j'ai envie de lui donner raison ? Est-ce que je pourrai compter sur Will ?

 Non Max, Will trouvera toujours le moyen d'éviter les conflits avec Claire. Il sait que de toute façon il pourra compter sur son soutien quoi qu'il arrive.

 Je me frotte les yeux et passe les mains sur mes joues humides. Est-ce que je devrais parler de ça à Corentin ?

 Pris d'un soupir, mes doigts enfoncent les touches avec hésitation. Je laisse venir les notes, puis esquisse timidement le début de Kiss the Rain de Yiruma. Au moins cette musique m'apaise.

 Mes yeux se ferment quelques secondes et je me laisse porter. J'oublie pour une minute mes soucis et profite.

 On dirait que c'est le moment Max. Le moment tant redouté où tu vas réellement devoir faire un choix pour ta vie.

 Est-ce que ce n'était pas tout ce que je cherchais à éviter jusqu'à maintenant ? Est-ce que ce n'est pas pour ça que j'ai raté ma dernière audition ? La peur de réussir ? Tout ce que ça entrainerait ?

 La mélodie cesse. Le sentiment est étrange. Je me sens soudain délesté d'un poids invisible. Comme si j'vais passé toutes ces années les mains liées. Et si je réussissais ? Qu'adviendrait-il de Will ? Qu'adviendrait-il de moi ?

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