61 - Interlude

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 Je sors du cours préoccupé. Griffin n'a pas refusé, mais elle n'a pas approuvé non plus. De toute façon, peu importe ce qu'elle en pense. Je participerai à ce concours, qu'elle approuve ou non.

 Corentin finit par me répondre sur le chemin du retour, pendant que je pense au cours de compo qui m'attend le lendemain. La tête enfoncé dans mon écharpe, je déverrouille l'écran avec appréhension. Et s'il me dit qu'il s'en va, je réponds quoi ?


10h17

De : Corentin

à : moi

Tu es en cours ?


De : moi

à : Corentin

Je viens de finir. Je suis sur le chemin du retour.


 Le portable vibre à nouveau.


De : Corentin

à : moi

On peut se voir ?


 Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais atterri chez lui aux premières lueurs de l'aube. Mais ça ne se fait pas, et Claire a des yeux dans le dos. Sans compter mon traitre de frère.


De : moi

à : Corentin

Je peux passer maintenant ?


 Il me répond d'un petit smiley qui sourit. C'est bête, mais ça me rassure : l'irruption de ma mère n'a rien changé à notre relation, Corentin est toujours le même. Je me dépêche. Je crois que j'ai juste envie de le voir.

 Je passe en trombe devant la porte du studio de peur qu'on ne remarque ma présence, et sonne en trépignant sur place. Je n'attends qu'une seconde à peine ; la porte s'ouvre et je m'engouffre dans l'appart. Nos regards se croisent, Corentin m'attrape par la taille, mes mains s'élèvent à son cou. Nos lèvres s'aimantent et rattrapent ce baiser du nouvel an volé par l'arrivée du radar.

 – Tu as vu Griffin ? demande-t-il en déposant sa bouche dans le creux de mon cou.

 – Mmm.

 – Et c'est tout ?

 Il se redresse soudain et scrute mon visage. Je détourne la tête. Je n'ai pas envie qu'il sache pour le concours. Dans mon cas, c'est carrément osé. Et la situation est déjà suffisamment compliquée entre nous ; je ne veux pas que mon choix induise le sien, ni qu'il se prive pour moi. Je veux qu'il vole, qu'il brille sous le feu des projecteurs. Qu'il marche sur le chemin qui est le sien sans se sentir obligé de regarder en arrière.

 Ses doigts relèvent mon menton.

 – Qu'est-ce que tu ne me dis pas ?

 – Il va falloir qu'on se voit pour le duo, rétorqué-je, en le fixant droit dans les yeux.

 Et plutôt rapidement si je veux avoir une chance de valider mon année tout en préparant ce foutu concours. Je le serre dans mes bras et pendant quelques secondes, nous restons enlacés en silence. La présence de Claire me rappelle que tant qu'elle sera là, il sera compliqué de le voir.

 – En parlant de ça, Maxime...

 Le ton de sa voix est doux. Il murmure presque à mon oreille, et je devine un peu malgré moi que ce qu'il va m'annoncer risque de résonner douloureusement en moi.

 – Tu as pris ta décision ? deviné-je.

 Il acquiesce.

 – Tu vois, j'aime beaucoup l'Academia et j'aime beaucoup le piano, je sais que je réussirai. Mais avec le violon... Je...

 Ses mots peines à franchir ses lèvres mais parviennent tout de même à m'atteindre.

 – Tu aimes le violon, chuchoté-je.

 Un timide sourire se glisse sur nos deux visages. Un peu parce que nous nous comprenons, un peu aussi parce que nous pesons tout ce qu'induit son choix.

 – Mais ce ne sera que pour une saison, précise-t-il. Pour un remplacement.

 Un remplacement, qui ouvrira la porte à d'autres et qui lui permettront de s'envoler. On ne grimpe pas une marche pour la redescendre. On la grimpe pour atteindre une scène ; cette scène qui nous vaut d'être vu, de partager notre art aux yeux de tous. Cette scène qui en nous connectant au monde, nous déconnecte de nos proches.

 – Tu n'as pas pas besoin de te justifier, murmuré-je. De toute façon, je n'aurais pas accepté que tu te sacrifies pour moi.

 Corentin m'attrape par les épaules et me repousse, blessé.

 – Tu crois que je n'en aurais pas été capable ?

 – Ce n'est pas ce que j'ai dit. Au contraire, je pense que tu en serais tout à fait capable mais je sais ce qu'il en est, je sais ce que ça te coûterait, et je sais aussi ce que ça me coûterait. Et je souhaite encore pouvoir me regarder dans un miroir, c'est pourquoi je ne te demanderais jamais une telle chose, maugréé-je.

 Il a presque l'air déçu.

 – Tu aurais préféré que je te supplie de refuser ? raillé-je, sarcastique.

 Il laisse échapper un petit rire tandis que ses bras se referment autour de moi et parle tout près de mon oreille :

 – Peut-être... Tu ne m'en veux pas ?

 – Bien sûr que si ! Quel petit-ami digne de ce nom abandonnerait son bien aimé aux mains des tortionnaires de l'Academia...

Et quel petit ami laisserait partir celui qu'il aime au nom de la musique ?

 – Je crois que j'ai trouvé ton nouveau surnom. DraMaxime.

 Cette fois je mets fin au câlin et le lorgne d'un œil sceptique.

 – Tu me rappelleras de ne plus jamais partir en masterclass avec le frérot. Il commence à sérieusement déteindre sur toi.

 Corentin m'ébouriffe les cheveux en m'entrainant vers la cuisine.

 – Tu as mangé ?

 – Vite fait en partant. Mais la présence du Saint Seigneur aussi tôt dans la journée suffit en général à me couper l'appétit.

 Sans plus de ménagement, il prépare deux cafés.

 – Tu pars quand ? demandé-je en le regardant s'affairer.

 – Dans quatre mois, quelque chose comme ça. La date n'est pas encore définie. Disons que ce n'était pas prévu donc Graham programme des arrangements de dernière minute.

 Ce qui nous laisse quatre mois pour faire tout ce que font les couples normaux.

Si tant est qu'on puisse se considérer comme un couple normal... soupiré-je en me passant une main dans les cheveux.

 – Je suppose qu'il va te falloir un nouveau costume ? avancé-je dans l'espoir de partager un peu de ce temps avec lui.

 – Une tenue, une nouvelle coupe, un hôtel, et même un nouvel archet !

 – Un hôtel ? Ils ne te payent pas les frais ?

 Corentin s'esclaffe et me sert un sourire qui suffirait à mettre plus d'une fille à ses pieds. Heureusement qu'il n'est pas de ce bord-là.

 – Malheureusement non. Mais l'avantage, c'est que je pourrai choisir celui qui me convient. D'ailleurs il faut aussi que je réserve l'avion.

 Il s'assoit en me tendant ma tasse. Les événements semblent soudain se précipiter et prendre une tournure bien réelle. Dans quelques mois, Corentin s'envolera pour l'étranger. Je bois longuement mon café, laisse le goût se distiller sur mon palais, envahir mes sens, avant d'avaler ma gorgée, comme si m'imprégner de l'instant suffisait à arrêter le temps.

 – Et tu vas rendre ton appart ? demandé-je, soucieux de le voir disparaitre pour de bon.

 – Je ne sais pas encore. Mais Max...

 Mon portable vibre sur la table. Corentin s'interrompt et fixe l'écran qui affiche en gros le nom du frérot. Dans un soupir agacé, je m'en empare et décroche.

 – Qu'est-ce qu'il y a ?

 Blasée, la voix de Will résonne dans le combiné.

 – Tu es encore avec lui ?

 – Ca ne te regarde pas. Tu veux quoi ?

 – Maman te cherche.

 – Dis-lui que je suis occupé.

 – Elle a récupéré ton emploi du temps, ne me demande pas comment. Tu ferais mieux de rappliquer.

 Je ferme les yeux et tente de garder mon calme. Face à moi, Corentin finit son café et tente de m'accorder le peu d'intimité que me demande cet échange. Peut-être que je ferais mieux de l'embarquer avec moi et de le présenter à Claire.

Mauvaise idée. Si la situation n'est pas confortable, elle peut être bien pire encore.

 Je raccroche en me levant, énervé de devoir une fois de plus écourter le temps que je passe avec Corentin.

Comme s'il nous restait toute la vie devant nous...

 J'en veux déjà à radar. J'en veux à Will. Je m'en veux à moi, aussi, d'être un lâche. Si j'avais plus de couilles, je leur aurais déjà fait face. De quoi ai-je peur au juste ?

De le perdre. Je ne peux pas le perdre.

 – Maxime ?

 Corentin se lève. Je l'observe, m'imprègne de son essence, prêt à affronter la tempête qui se prépare de l'autre côté du mur. Après tout, il est peut-être temps que je commence à faire des choix pour moi.

 – Corentin, tu crois en moi ?

 Il parait surpris mais un sourire confiant étire ses lèvres quand il acquiesce. Il attrape mes mains et dépose un baiser sur ma joue.

 – Tu penses que je suis le meilleur ?

 – Tu es le meilleur.

 – Tu penses que je peux le faire ?

 Il rigole :

 – Je ne suis pas sûr de comprendre, mais j'ai confiance en toi.

 – Bien. Je suis désolé, il faut que j'y aille. Et dernière chose : je serai enchanté d'aller chercher ta tenue, ton archet, et toutes ces choses qu'il te faut pour que tu sois le plus beau lors de ta première.

 Sans lui laisser le temps de réagir, j'agrémente ces derniers mots d'un bisou et file vers la porte de l'appartement.



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