Seule à nouveau?

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Six mois après notre arrivée à la forteresse magique, je fugue. Ça devient une habitude chez moi. L'enchantement d'odeur doit être renouvelé toutes les semaines, Inès me l'a fait hier, j'ai donc cinq jours de tranquillité pour m'éloigner le plus possible. Je profite donc d'un convoi de ravitaillement pour me cacher sous l'un des camions et rejoindre le monde des humains en douce. Je n'ai pris que le strict minimum, quelques habits, une arme et beaucoup d'argent. J'écris une lettre d'adieux à ma meilleure amie sous le prétexte de ma pseudo-dépression.

Je ne veux pas que mes amis et surtout Léa tente de me suivre. Je prétexte vouloir reprendre ma vie normale d'humaine. Un beau baratin plaisant pour les magiciens qui s'amuseraient à lire. Un message caché interdisant à Léa de sortir de la forteresse. Elle ignore que je sais stopper notre lien mental à ma guise, alors qu'elle ne parvient pas à me cacher grand chose. C'est plutôt moi qui coupe le lien quand elle joue avec son chéri avant de vomir. Je respecte son intimité et ma santé mentale.

Durant cinq jours, je prends le train, fais du stop et utilise même l'avion pour mettre le plus de distance possible entre moi et la forteresse. Plus je m'éloigne, plus je me sens respirer. Quelque chose m'oppressait bien là-bas. Je reste persuadée qu'un magicien ou plus précisément une magicienne ancestrale, m'a attaqué et cherchait à me nuire. Je ne comprends pas trop les raisons qui pourraient pousser Lisbeth à faire cela. Un sorcier déguisé en magicien, cela pourrait être plausible si on suppose qu'il veut m'utiliser pour toucher Léa.

Au fond de moi, je suis persuadée que c'est Lisbeth qui m'envoyait ses songes horribles et ces douleurs mentales. Léa n'était pas la cible, mais bel et bien moi. Pourquoi, c'est un mystère. La haine des humains ne justifie pas un tel acharnement. J'ai beau retourner la question dans tous les sens, je ne parviens pas à déchiffrer le comportement de Lisbeth. Elle ne m'en est que plus antipathique.

Je me cache parmi les autres humains. Mon odeur est masquée par la foule. À l'aide de mon katana, si besoin, je laisse derrière moi les quelques corps de jeunes sorciers que je croise, afin qu'ils ne transmettent pas ma position aux autres sorciers. J'ai appris à la forteresse que quelques humains continuaient la chasse aux sorcières et tuaient parfois les jeunes sorciers imprudents. Les rares sorciers contre lesquels je me défends passent pour des victimes de ces chasseurs. Mon secret est protégé.

Surveillant tout de même le bonheur de mon amie, je vois un message de Léa sur son Facebook public un soir. Elle raconte un dîner aux chandelles organisé par son chéri. Je ne lui réponds pas, mais je suis heureuse de voir qu'elle va bien et que Gaëtan la comble de joie. Elle me piste, me disant par mots cachés où elle pense que je suis, mais elle ignore que je suis devenue une meurtrière. Elle sait que je la lis. De toute manière, je suis la seule abonnée de son compte. Les magiciens et sorciers ne pouvant pas utiliser l'informatique et les humains risquant de la prendre pour une folle s'ils lisaient ses publications, notre lien qui perdure reste inconnu. Mes quelques passages et likes la rassurent sur le fait que je suis encore en vie.

Plusieurs fois, Erwan se rapproche de moi, mais jamais il ne me retrouve. Les magiciens et les sorciers méprisent tellement les humains qu'ils en oublient leurs avancées technologiques et sont restés à l'ère médiévale. Erwan passa plusieurs fois juste à côté de moi sans me voir, me filant des sueurs froides, cherchant une fillette blonde, ne pensant pas une seconde qu'elle avait pu se maquiller et s'habiller en vieillard à l'aide de perruques et de masques de cinéma volés, trompant son odorat avec un parfum capiteux à base de poivre et d'autres trucs qui piquent le nez de n'importe quel chien flaireur. Heureusement que la peur n'a pas d'odeur et que je contrôle bien ma vessie, je suis passé à un cheveu de la capture à chaque fois.

Mis à part Erwan qui est plus difficile à berner, je me débrouille assez bien pour échapper aux sorciers ou magiciens que je croise. Je ne veux pas rentrer chez ma tante, où on m'attend sûrement. Je me jetterais dans la gueule du loup et mettrais ma tante en danger. Je me questionne d'ailleurs sur les raisons qui ont empêché Erwan de me tuer quand j'étais là-bas. Peut-être que j'étais surveillée ou alors sans lien avec Léa, je ne suis pas intéressante.

Je fugue, comme je l'ai déjà fait à de nombreuses reprises, seulement cette fois, je ne cherche pas à rejoindre Léa, mais à mettre le plus de distance possible entre elle et moi. Depuis que j'ai quitté la forteresse, je fais moins de cauchemars. Cela m'arrive encore, toutefois, ils sont moins étranges et je me réveille en sueur haletante, mais pas en panique et hurlante. Maintenant, au lieu de voir la vie du sorcier que j'ai tué ou celle de magiciens véreux hypothétiques, je revis les meurtres des jeunes sorciers ou bien, je cours dans des ruelles sombres.

D'autres fois, je me prends pour un ninja et je rêve d'un combat digne des films d'action asiatiques de haut vol. Ces rêves-là m'amusent un peu. Les scènes sont surréalistes, je me vois presque volant dans les airs, katana à la main. Je me réveille quand je tombe du lit, à force de me battre contre mes oreillers. Je suis couverte de bleus aux fesses, aux bras et au front à force de me cogner sur les différents sols.

Les rêves que je préfère, c'est quand je me retrouve dans le corps de l'un de mes amis, revivant une scène que Léa m'a décrite sur son Facebook. J'ignore si je rêve totalement ou si j'utilise mon lien mental avec Léa pour vivre leurs souvenirs. Les voir heureux et en bonne santé me redonne des forces. Ils me manquent tous, y compris Mushu et surtout ma Léa. Je suis condamnée à rester solitaire pour leur sécurité.

Quand je pense qu'avant, mis à part Léa, je ne supportais pas la moindre présence. J'aimais être seule et rechercher cette tranquillité à grands cris ou rébellion de parfaite peste. J'incitais les gens à me fuir et à me laisser tranquille. Maintenant, voilà que je regrette le petit groupe de magiciens avec qui j'ai partagé des moments intenses de joie, de complicité, de peur et de solidarité. Ces imbéciles m'ont rendue sociable et maintenant, je souffre.

Quand la souffrance est trop forte, je m'en prends à ceux que je croise et ils font les frais de ma mauvaise humeur. Prostitués et leurs clients, dealers, je pourris leurs commerces à ma manière. Soit en prenant les clients en photos et en leur rackettant du fric s'ils ne veulent pas que j'envoie la photo à leurs femmes que je ne connais pas soit dit en passant. Soit en appelant la police pour dénoncer les planques et les deals en cours. Je passe mes nerfs sur les rebuts de la société, vendeurs de drogues ou clients de prostitués.

Un jour, j'ai un gros problème de conscience. Alors que je me promène tranquillement dans une ruelle commerçante, j'aperçois une silhouette et une aura familière, coincée entre deux sales types aux auras d'un noir intense. Un de mes amis est clairement prisonnier de deux sorciers. Si je l'aide, je révèle ma position et risque de faire accourir Erwan. Si je ne l'aide pas, je m'en voudrais toute ma vie. Je les suis donc et écoute leurs discussions. Les deux sorciers ne réalisent pas qui ils tiennent sous leur joug. Ils pensent avoir trouvé un jeune magicien, bon à être perverti. Ils ont l'intention de l'amener dans un de leurs centres d'éducation de sorciers.

En attendant, ils veulent s'offrir du bon temps avec l'argent qu'ils lui ont volé. Ses deux andouilles se dirigent vers une boîte de strip-tease crasseuse. S'ils vont vers ce genre d'endroit, c'est qu'ils ont encore la faculté de désir charnel. Parfait, je sais comment sortir de là Mushu sans me faire repérer. Il me suffit de m'approcher suffisamment en attisant leurs entrejambes pour qu'ils ne se méfient pas.

Je rentre et observe quelques instants le trio. Mushu est nerveux et tente de s'enfuir, mais les deux le tiennent fermement. Vu la bosse qu'il a sur sa tête, ils ont dû l'attaquer par surprise. Mushu porte une entrave à chaque poignet. J'en ai vu à la forteresse. Cela inhibe les pouvoirs.

Les deux geôliers matent et sifflent sans vergogne chaque danseuse qui passe devant eux. Ce sont des porcs libidineux. Ils enchaînent les pintes de bière et sont passablement éméchés. L'argent leur brûle les doigts. Ils ne sont clairement pas très malins. Je ne devrais pas avoir beaucoup de mal à détourner leur attention.

Je me dirige vers les coulisses discrètement et je vole une perruque de cheveux noirs qui me fait un carré arrivant aux oreilles. Je me maquille à outrance et m'asperge de parfum bon marché. Je vole aussi une jupe courte et un chemisier en dentelle rouge. Un parfait déguisement de danseuse exotique. J'entre sur la scène devant les deux sales types. Le patron est tellement occupé à compter ses billets qu'il ne réalise même pas que je ne suis pas une de ses employées. Les filles ne disent rien, trop heureuses d'avoir une pause gratuite. Je leur ai promis de leur donner tous les billets que je récolte en échange de leur aide.

J'effectue de mon mieux une danse lascive sur la scène, sous les sifflets des mâles présents. Me voilà, me trémoussant autour d'une barre de métal, m'accroupissant et me relevant en arrondissant mon derrière, prenant des poses suggestives écœurantes. Les quelques cours et chorégraphies que j'ai appris plus jeune me sont très utiles. Si ma pauvre prof me voyait en ce moment, elle s'étoufferait ou ferait une crise cardiaque. Elle était si guindée. Je me rappelle encore sa tête le jour où je lui ai sorti que les danseuses du Crazy-horse ou du Lido avaient un meilleur niveau qu'elle en danse classique.

Ma jeunesse et ma nouvelle tête me font récolter un bon nombre de billets, jetés à terre sous mes escarpins ou glissés dans mes mains avec un peu plus d'élégance. Je fais mine d'être captivé par les deux connards et leur murmure que je peux leur offrir une danse privée pour quelques billets. Ils tombent dans le panneau et se dirigent vers une alcôve. Les voilà isolés et à ma merci. Je récupère discrètement mon katana et quelques pilules euphorisantes grâce à une des filles à qui je glisse une partie du fric récolté et je planque mon arme dans mon dos.

Je rentre dans l'alcôve et tire le rideau. J'effectue une jolie danse entièrement de face. Les deux sorciers salivent. Je sais qu'ils ont en tête de s'offrir du bon temps avec moi. La serveuse a fait fondre mes petites pilules dans leurs verres. Je n'ai qu'à attendre un peu en dansant. La patience n'est pas mon fort cependant, je dois attendre pour qu'ils n'utilisent pas leurs pouvoirs.

Mushu regarde toujours le sol et cela m'arrange. Il ne m'a pas encore regardé une seule seconde, perdu dans ses pensées. La drogue fait enfin son effet et les deux lourdauds perdent conscience. Sans attendre, je leur tranche la gorge. Leurs râles fait enfin relever la tête de mon ami.

Mushu les regarde stupéfait et incrédule. Je récupère la clé au cou du premier abruti et ouvre les entraves de Mushu sans tarder. Puis, essuyant mon sabre sur la nappe et le rangeant dans son fourreau dans mon dos, je jette le portefeuille rempli de billets à mon ami et je pars en courant avant qu'il ne me reconnaisse.

Je me planque dans la ruelle et m'assure que Mushu ressort vite. Je le vois s'enfuir et appeler Gontran pour être téléporté. Au moment où mon second ami s'apprête à le ramener au bercail, Mushu se retourne et regarde dans la direction de ma ruelle, cherchant sa sauveuse du regard. Je me cache derrière ma poubelle, espérant qu'il se ne décide pas à venir vers moi. Il part, à la demande de Gontran qui ne veut pas s'attarder. Il est enfin en sécurité et je rentre prendre une longue douche chaude avec trois tonnes de gel douche et un passage au gant de crin pour enlever cette sensation de saleté et de puanteur.

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