Troisième tentative Préparation

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Je suis déjà venue dans cette pièce. Je la connais et je trouve l'emplacement de mes vêtements sans hésitation. Même l'horrible pyjama me semble habituel. J'ai besoin de me rafraîchir le visage. J'ai horriblement chaud. La salle de bains est la troisième porte à droite. Comment je sais cela, je l'ignore, en tout cas, c'est la bonne réponse.

L'eau fraîche me fait un bien fou et élimine un peu cette sensation de flottement quand je marche. Je saisis un savon à l'odeur pas trop désagréable et me débarbouille sommairement. J'ai besoin de me nettoyer à l'eau froide, j'ai la désagréable sensation d'avoir passé ma nuit à coté d'un feu brûlant.

Quelqu'un toque à la porte. Aline. Je ne la vois pas, c'est ma tante. Elle m'a recueillie à la mort de mes parents. L'information m'arrive au cerveau d'un coup et me fait reculer d'un pas. Wow c'est quoi ça? Mes parents sont morts? Et depuis quand? La brutalité de cette donnée me fait rater un battement de cœur. Je me sens opprimée et j'étouffe.

Je me ressaisis et secoue la tête avant d'ouvrir la porte. La vieille femme en face de moi ne m'est pas inconnue et cependant étrangère, comme ces voisins que l'on croise sans jamais leur parler. Son visage est doux et maternel. Je lui rends son sourire pour la rassurer. Sa présence calme mes tremblements. Je me sens en sécurité avec elle.

Elle m'informe que mon petit-déjeuner m'attend dans la cuisine en bas et me questionne pour savoir si tout va bien. Je calme ses craintes en lui assurant être juste mal réveillée. Elle me regarde avec crainte, comme si j'étais souffrante. Elle s'inquiète pour moi et je ne perçois que de la bienveillance d'une vieille femme envers celle qu'elle considère comme une enfant.

Sa sollicitude est adorable. Je me sens touchée par sa gentillesse et je me montre gentille et polie, une enfant bien élevée. J'ai envie d'être sage avec elle, de ne pas l'effrayer ou la blesser par mon attitude et mes paroles sarcastiques habituels. Je me demande comment je sais que la vielle femme est sensible et peu habitué au cynisme et à l'ironie. J'ignore également pourquoi je fais des efforts sur mon caractère avec elle. Je ne la connais pas. Pourquoi l'épargnerais-je ? 

Nous descendons et prenons notre repas matinal dans un silence perturbé par un petit oiseau qui a décidé de chanter à la fenêtre. Il est vraiment beau cet oiseau. J'ai l'impression qu'il me regarde fixement. J'émiette ma tartine à destination du volatile qui ne s'effarouche pas et se rapproche de ma main sans aucune crainte. Pourquoi donc j'ai envie que cet oiseau soit une femelle et quelle est la raison qui me fait l'appeler Isabelle ?

J'ai pleins de pensées et de questions totalement loufoques dans mon esprit. L'oiseau a relevé la tête et s'est tue quelques secondes quand j'ai murmuré le prénom. Je jurerais avoir vu de la surprise dans ses yeux. Un piaf ne peut pas comprendre le langage humain et encore moins éprouvé d'émotions de ce genre. Je dois avoir halluciner, c'est l'explication la plus logique. Oui, je dois être folle. 

Ma tante m'interroge sans que je ne puisse trouver de meilleure réponse que la couleur du plumage et un joli prénom. Même moi, je ne suis pas convaincue par mes propos. Je dois être perturbée. Je questionne ma tante, j'ai quelques trous de mémoire. J'ai l'impression d'être arrivée hier et pourtant la maison entière m'est familière et je sais qu'Aline prend deux sucres dans son thé, le café lui donnant des brûlures d'estomac.

Avec tendresse, elle me relate la mort de mes parents il y a sept mois. Mon état de choc suite à cela et mon placement sous sa tutelle. Ma fuite trois semaines plus tard, et ma disparition durant deux mois. Mon retour très étrange et ma nouvelle fugue une semaine plus tard. Cette fois, j'ai été absente pendant quatre mois.

De nouveau, je suis réapparue dans un commissariat, désorientée et avec son adresse dans la poche. Je tenais des propos incohérents sur une drôle de bestiole sauvage aux yeux oranges et une autre, un mignon petit chat gourmand couleur miel qui aime manger du chocolat. Les policiers voulaient m'envoyer en hôpital psychiatrique cependant Aline s'y est opposé. Elle est ma tutrice désormais.

Des examens médicaux plus poussés ont été effectués, suite à mes plaintes de douleur thoraciques, sans découvrir quoique ce soit. Je sens ma tante émotive. Elle se met à pleurer, se demande pourquoi je fugue, si c'est de sa faute, si je ne me plaît pas chez elle. Je suis incapable de lui fournir un indice, je ne me rappelle rien d'autre que cette sensation de pyjama qui gratte. Je lui prends la main, pour la rassurer et m'excuser, compatissante sans comprendre vraiment.

Deux jours se déroulent sans gros problèmes. J'ai l'impression d'habiter un corps qui n'est pas le mien. J'ai trouvé mon journal intime dans mes habits, le récit de mon enfance ne m'évoque aucun souvenir, ne réveille pas ma mémoire. Je parle de mes parents, de mon demi-frère, et de ma meilleure amie et aucun des noms ne me parait familier sauf le surnom de mon amie. Coccola. Ce mot qui me revient en tête par moment avec un visage.

Un médecin vient pour me parler. Un psychiatre qui apparemment me suit pour choc post-traumatique. Il semblerait que ma dernière fugue m'ait fait régresser. Je vois le drôle d'oiseau par la fenêtre et sans raison, je ferme celle-ci pour qu'il n'entende pas la discussion. Je dissimule ma bizarrerie aux yeux du docteur en prétextant que le chant du piaf est trop bruyant et m'empêche de me concentrer. Depuis quand je me préoccupe d'un oiseau espion et surtout d'où je tiens cette idée invraisemblable?

L'homme essaye de secouer mes neurones pour que les souvenirs reviennent. Je lui parle de ce que j'ai lu dans mon journal intime. Ce cahier, qui me semble, écrit par une étrangère. Tout va bien quand j'évoque mes parents, mon demi-frère, mon ancienne école. Mes bêtises de gamines sont troubles et très étranges. Au moment où ma meilleure amie entre dans la discussion, je me mets à délirer puis à grelotter et à haleter comme frigorifiée.

J'adopte une position fœtale et me secoue d'avant en arrière, prise d'une terreur inexplicable. Ma respiration se saccade et je serre si fort les poings que mes doigts deviennent bleus, privés de sang. Le médecin évoque une crise d'angoisse à ma tante. Ce n'est pas cela. C'est de la colère et de la frustration. Je n'arrive pas à ouvrir la bouche dès que cela concerne Coccola.

Ma tante et le médecin superposent les couvertures sans arriver à me réchauffer, je réclame du chocolat chaud dans un élan de mélancolie enfantine. Je pleure toutes les larmes de mon corps et inonde mon pull. Je gémis, mon cœur bat à tout rompre, j'ai l'impression qu'il s'emballe et je crie de douleur.

Le docteur prend mon pouls qui est effectivement trop rapide. Ma température corporelle a chuté sans qu'il ne sache comment. Ce n'est pas une réaction normale de crise d'angoisse. Devant mon agitation, il me fait une piqûre de tranquillisant pour que je cesse de bouger. Je fais une panique d'une rare violence et totalement anormale.

Je me mets à engueuler le pauvre piaf en l'accusant de mon mal-être, à la surprise des deux adultes qui me pense en pleine crise de délire. Je suis persuadée que ce volatile est responsable de ce froid en moi. Il m'a jeté un sort avec ses petits yeux vicieux. Je l'ai vu piailler dès que j'ouvrais la bouche pour évoquer Coccola. Le tranquillisant finit par agir et je deviens une larve incapable de parler et de réfléchir.

La séance est terminée et l'homme repart. J'aide Aline dans ses tâches quotidiennes, mécaniquement, telle un robot. La femme est adorable, je me demande ce que je peux bien avoir à lui reprocher pour être partie ainsi deux fois de suite. Seul son côté vieille fille est un peu chiant, mais rien de grave au point de fuguer. Mes réactions m'apparaissent comme anormales, illogiques, venant d'un cerveau mentalement instable. La sensation d'être dans le mauvais corps ne me quitte pas.

Je fais des cauchemars toutes les nuits et me réveille en hurlant sans pouvoir décrire ou me rappeler ce qui m'a effrayé autant. À chaque fois, je suis pétrifiée de peur et de froid. J'hurle contre un dragon à moustache dans le placard qui crache son feu. On me prescrit des somnifères qui m'abrutissent. Je me mets à dormir dans le salon, à côté de la cheminée que je bourre de bûches tous les soirs. Je crève de chaud et pourtant, au petit matin, les bûches n'ont quasiment pas brûlées.

Je passe parfois des heures le soir à regarder le feu, fascinée, comme si il allait me parler. Cela inquiète beaucoup Aline et le médecin. Cette obsession alors que mon ancien domicile a brulé leur fait se poser des questions. J'ai surpris Aline à demander au médecin si j'aurais pu mettre le feu à ma demeure dans la douleur de mon deuil. Il l'ignore et s'interroge lui aussi. Mon comportement est très difficile à cerner. Il consulte des confrères sur mon cas.

Ma colocation avec Aline se déroule à merveille. Elle est très attentionnée et m'aide à me perfectionner en cuisine, activité que j'adore. Durant deux mois, j'apprends de nouvelles recettes et des trucs pour rattraper une sauce qui a brûlée ou une crème anglaise qui fait des grumeaux. J'essaye d'oublier ma vie d'avant. Je veux redevenir normale. Les séances avec le médecin se terminent en crise d'effroi systématiquement. Neuf mois au total que je suis auprès d'Aline et aucun progrès ou souvenirs.

L'étrange oiseau me suit obstinément. Je décide d'apprendre à me servir d'un lance-pierre pour le viser et le faire partir. Je ne veux pas le blesser, je veux qu'il disparaisse. Sa présence me file la chair de poule. Je me sens observée et espionnée par ce volatile. Je deviens paranoïaque à propos de cet être volant et chantant et me met à le détester à la surprise de ma tante et du médecin. Je fais une fixette sur le piaf.

Lorsque le psy utilise les termes de détournement de la colère, et de phases de deuil, je me marre. Je ne suis pas en deuil. Cet oiseau n'est pas net. Je le canarde de cailloux et il revient sans cesse. De jour comme de nuit. Depuis quand un moineau n'a pas d'horaires et sait aussi bien voler à midi comme à minuit? En plus, il refuse les vers de terre bien gras que je déniche au profit de morceaux de Snickers bien collant. Il n'est pas net et j'en mettrais ma main au feu. Je découvrirais le secret de cet espion à plumes et je le démasquerais. Ou plutôt cette espionne, c'est une femelle. Mon intuition était bonne. J'ai vérifiée dans des bouquins d'ornithologie.

Je me crétinise devant la télévision le soir pour m'endormir de fatigue. Cette nuit, je zappe et tombe sur un dessin animé qui me captive à propos d'enfants contrôlant les éléments. Deux des héros me fascinent, celui de l'air et celui du feu. Je suis la bouche ouverte, mon paquet de bonbons entre mes jambes croisées, la main en suspens, statufiée. Pourtant, rien de bien palpitant si on réfléchit bien. Je reste une bonne heure sans bouger puis m'écroule de sommeil.

Le cauchemar qui m'assaille est du plus étrange et pour une fois, je m'en rappelle. Je me promène dans une petite ville du sud de l'Espagne et je suis en train d'écrire sur mon téléphone. Je raconte ma journée sur une espèce de livre informatique en mangeant des churros sur une plage déserte. Quelqu'un vient s'asseoir à mes côtés et me vole une sucrerie. Coccola. Elle me gronde et m'accuse de l'avoir oubliée.

Je me réveille en sursaut sans avoir crié, mais frigorifiée tout de même. Je ravive le feu et me précipite sur mon téléphone. J'ai effectivement un journal intime sur une de mes applications. Comment ai je pu l'oublier? Je passe ma nuit à lire l'ensemble de ma prose, les raisons de mes fugues et ce que j'ai fait lors de la dernière.

Je ré-éprouve cette sensation d'avoir presque retrouvé Coccola et un cœur battant normalement à la dernière page, celle où je décris un immense champ de blé à perte de vue et deux hommes qui sortent de nulle part avec des bicyclettes. La veille de mon retour au commissariat.

Toute la journée, je cogite. Du soir, je reprends ma narration et raconte mes six mois chez ma tante et cette étrange bestiole qui m'irrite. Je décide de fuguer de nouveau dans deux jours, le temps de préparer mes affaires.

Cette fois, je prends soin de laisser une lettre à Aline pour lui dire de ne pas se culpabiliser, elle est parfaite et j'ai adoré chaque moment auprès d'elle. J'ai juste besoin de retrouver mes souvenirs par moi-même. Je fais mon sac et m'achète une place de bus pour l'Espagne sans parler un seul mot de la langue.

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