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« Tu ne l’ignores pas, ce sont les Chasseurs qui ont détruit nos vies. Mais avant de te raconter ce qui est arrivé, je voudrais rappeler à ta mémoire les années de notre enfance. Nous vivions dans la capitale de l’Empire, Kalleos, et nos parents n’avaient pas d’autres enfants que nous deux. Notre père, Évariste, était général dans l’armée. Malgré ses longues absences pendant les campagnes de l’Empereur, il nous donnait toute son attention et jouait souvent avec nous. Tu prenais plaisir à l’écouter raconter les batailles qu’il avait menées, revenant à chaque fois victorieux et auréolé de gloire, et je rejoignais souvent notre mère dans son atelier. Sara était conceptrice d’automates. Elle en créait de toutes sortes, mais ses œuvres de prédilection étaient les chevaux. C’est à elle que nous devons les Ipsa, ces chevaux-automates qui nous permettent de nous déplacer rapidement ou d’accomplir certaines tâches. Elle en avait créé différents modèles, au nombre de neuf. Si elle aimait tant en imaginer, c’était parce qu’elle était originaire du royaume des Ihrims, qui possèdent de nombreux chevaux, et qu’en suivant notre père ici, elle s’est étonnée de la totale absence de ces animaux dans l’Empire. Ses chers compagnons lui manquaient, elle leur a trouvé un substitut. Mais jamais elle n’a préféré ses automates à ses enfants. Elle était une mère aimante et nous prodiguait toute sa tendresse. Nous avons eu une enfance heureuse, dans la meilleure des familles… »

Elle marqua une pause.

« Qu’est-il arrivé ? demanda-t-il.

- Accusé d’un crime qu’il n’avait pas commis, notre père fut destitué de sa charge. Malgré lui, l’Empereur fut contraint de signer l’arrêt de mort de son meilleur ami. Et les Chasseurs sont venus. »

Elle s’arrêta de nouveau.

« Je ne me rappelle plus précisément cette journée-là. reprit-elle. Je sais que… quelque chose d’imprévu a dû se produire, car un combat a commencé. Nos parents nous ont défendu le plus longtemps possible, mais même si leurs ennemis n’étaient pas tous présents ils n’ont pas résisté bien longtemps. Je me souviens que notre père avait son épée, et notre mère, qui ne possédait aucune forme d’incantations, utilisait sa dague et des automates de combat qu’elle avait conçus pour aider notre père. Ils nous ont dit de fuir, mais… les Chasseurs les ont éliminés. »

Une larme roula sur sa joue. Elle avait du mal à continuer, et il la comprenait. Il gardait le silence, retrouvant la mémoire au rythme du récit ; il ne pouvait recouvrer ses souvenirs qu’en même temps qu’elle prononçait ses mots. Elle poursuivit leur histoire :

« Nous n’avions pas eu le temps de quitter la maison, et ils nous ont facilement rattrapés. Ils ont failli me tuer. Mais tu t’es interposé. Tu t’es pris l’incantation de plein fouet, et tu es tombé. J’ai cru que tu étais mort, j’ai crié, mais tu n’as pas réagi. Le Lieutenant a dit qu’il fallait te soigner au plus vite, et m’a écartée pendant qu’il tentait de te ranimer. Nous avons été séparés. Les jumeaux m’ont emmenée, pendant que les autres partaient avec toi. Et j’ai remarqué que le Lieutenant avait pris…

- L’épée de votre père ? » demanda une voix.

Le frère et la sœur se tournèrent. Face à eux se tenaient les Cinq Chasseurs. Tous deux se mirent en garde. Le Lieutenant sourit d’un air hautain.

« Akihito et Sakura Otsuka enfin réunis. Cela n’aurait jamais dû arriver. Vous avez réussi à me cacher que vous vous voyiez pendant des mois, je suis assez admiratif. Cela dit, j’ai failli deviner après le premier Examen. Qu’allez-vous faire, à présent ? »

Il parlait posément, tel un prédateur dont la proie n’a aucune échappatoire.

« Rester ici, bien sûr ! ironisa Tōru.

- Et où iriez-vous ? questionna le Lieutenant.

- Qui sait ? À un endroit où ni vous, ni l’Empereur, ni le Général ne pourrez nous rejoindre.

- Dois-je comprendre que vous comptez nous éliminer au passage ? Bon courage. Quel dommage d’être résolu à tuer si jeune. »

Venant de celui qui l’avait formé au combat, la remarque avait de quoi révolter le garçon. Il maîtrisa sa colère et répliqua :

« Au moins avons-nous l’avantage que vous ne chercherez pas à nous ôter la vie.

- Toi, non. Mais ta sœur, peut-être. Si nous l’avons finalement épargnée, c’était parce que nous avions remarqué son grand potentiel. Presque égal au tien.

- N’y pensez même pas.

- Auriez-vous oublié qui m’a enseigné ? intervint Sakura.

- Je le garde en mémoire, s’amusa l’homme, mais jamais tu n’atteindras un quart du niveau de ton maître. Quant à ce que nous lui dirons si tu meurs, si c’est ce qui te préoccupe, ne t’en soucie pas. Il a bien voué ton père à la mort, et ce sans aucun remords.

- Vous mentez.

- Trêve de bavardage. »

Et il lança une violente attaque dans leur direction. Elle l’avait vu venir et avait matérialisé un bouclier juste à temps. Tōru répliqua, mais leur adversaire esquiva. Les paumes de Gavriil s’illuminèrent de bleu glacé, mais son chef, d’un signe de la main, indiqua à ses hommes de se retirer du combat. Ceux-ci s’écartèrent. Sakura sortit son arbalète.

« Il t’a aussi offert cela. constata le Lieutenant.

- Sakura, demanda Tōru, ton maître était l’Empereur ? »

Elle acquiesça.

« Pourquoi ? Son amitié avec notre père ?

- Oui. répondit le Lieutenant à la place de la jeune fille. Ce qui est bien dommage. »

Un éclat s’alluma dans les yeux de la sœur de Tōru et elle décocha un carreau dans la direction de l’homme. Celui-ci le détruisit d’un simple geste de la main. Puis il envoya une attaque assommante. Tōru para, mais le choc le fit reculer. Un nouveau carreau fusa. Le Lieutenant l’arrêta.

« Est-ce là tout ce dont vous êtes capables ? »

Et une incantation l’atteignit dans le dos, d’une force qui manqua de le faire tomber. Tous se tournèrent dans la direction d’où elle provenait.

« Sei ! » s’exclama Tōru.

Mais les autres Chasseurs s’interposèrent. Sakura profita de ce bref instant de confusion pour attaquer le Lieutenant. Pendant ce temps, Tōru rejoignait Sei et engageait le combat avec les quatre autres Chasseurs. Il para une attaque combinée, sauvant son ami. Il répliqua avec force, faisant exploser les boucliers de leurs adversaires. Deux possibilités s’offraient à présent à eux : faire front commun et affronter les Cinq Chasseurs en même temps ou défaire d’abord les quatre puis le Lieutenant. Cependant cette deuxième option mettait Sakura en danger car elle affrontait leur chef seule.

« Sei, rejoins ma sœur.

- Ta sœur ?!

- Vas-y. Ce n’est pas le moment de poser des questions. »

À ce moment, la jeune fille fut projetée en arrière et tomba au sol. Un cri de douleur lui échappa. Le Lieutenant dégaina son épée.

« Sakura ! » s’écria son frère.

Elle réussit à esquisser un sourire, une lueur de triomphe dans le regard en voyant la lame.

« Erreur. » commenta-t-elle.

L’épée s’illumina d’un halo indigo. Le Lieutenant eu l’air surpris.

« Vous aviez oublié cette faille dans votre stratégie. dit-elle en se relevant. L’épée retourne à son possesseur.

- Impossible. rétorqua le Lieutenant, sentant qu’une part de la situation lui échappait. J’ai tué votre père.

- Mais son héritier demeure. »

La scène s’était figée et tous suivaient avec attention ce qui allait arriver. Le Lieutenant tourna son regard de glace vers Tōru. Celui-ci comprenait que l’épée allait lui revenir, puisqu’il en était le détenteur légitime. Le chef des Chasseurs se dirigea vers lui. Sei tenta de s’interposer mais il se prit un coup d’épée dans le côté.

« Sei ! » cria Tōru.

Sakura tenta de rejoindre son frère mais le Lieutenant, sans même se retourner, lui lança une onde d’énergie qui la heurta de plein fouet. À l’instar de Sei elle tomba au sol, inanimée.

« Non ! s’exclama le garçon.

- Je te propose un duel pour régler ceci. »

Tōru ne répondit rien. Il ferma les yeux et une puissante lumière blanche l’environna puis envahit tout l’espace autour, éblouissant ses adversaires. Elle demeura quelques instants avant de diminuer progressivement. Lorsque les dernier rayons s’estompèrent, Sei et Sakura se relevèrent, totalement guéris. Tōru voulut les rejoindre mais il tomba à genoux, épuisé.

« Attention ! » l’avertit sa sœur.

Mais il était trop tard. Quelqu’un força le jeune garçon à se relever et lui plaça un poignard sous la gorge. Il se figea.

« Remettons les choses en ordre. reprit le Lieutenant. Premièrement vous allez cesser toute résistance, puis nous allons arranger cette situation. »

Sakura esquissa un geste. Immédiatement, le poignard fit pression sur la gorge de Tōru. Une unique goutte de sang coula. La jeune fille jeta un regard noir au Chasseur qui maintenait Tōru.

« Fais attention, Desya. dit le Lieutenant. Ne le blesse pas irréversiblement. »

Desya était le plus discret des Cinq Chasseurs. Il méritait amplement son surnom de Chasseur Fantôme, et pour cause : il était muet.

Tōru baissa les yeux, évitant les regards désemparés que lui lançaient sa sœur et son ami. À ce moment, l’épée que le Lieutenant avait encore en main recommença à s’illuminer. Il rengaina. Mais la lame et le fourreau disparurent soudainement. Ils réapparurent au côté de Tōru. Le halo s’intensifia et une silhouette féminine se matérialisa près du garçon. Elle était de la même couleur que la lumière indigo et on ne pouvait rien distinguer de ses traits. Sans le moindre bruit, elle saisit le bras de Desya et l’écarta, permettant au garçon de partir. Celui-ci s’éloigna vivement. Une fois qu’elle l’eut libéré, elle s’inclina devant Tōru et se fondit dans l’épée qui cessa de luire. Un court silence plana.

« Comment… ? commença le Lieutenant.

- Je vous l’avait dit, répondit Sakura, l’épée est retournée à son possesseur.

- Cependant, déclara son frère, rien n’est terminé. »

Un éclat déterminé dans le regard, il dégaina et affermit sa prise sur l’épée. Il pouvait sentir la puissance de l’arme entre ses mains. Sakura échangea un regard avec Sei puis encocha un carreau. Le Lieutenant eut un sourire méprisant. Les Chasseurs se mirent en garde. Lorsque Sei activa son pouvoir, un objet se matérialisa autour du poignet de Tōru. C’était un lien auquel était accrochée une clé. Il jeta un regard surpris à son ami.

« Pourquoi crois-tu que je fasse cela ? expliqua Sei. Quand j’ai entendu que les Chasseurs étaient là, j’ai su que cette nuit serait ta dernière ici.

- Mais…

- Sei et moi allons les retenir ensemble, ajouta Sakura, nous te rejoindrons grâce à l’arbalète.

- N’allez pas trop vite. intervint le Lieutenant.

- Un Ipsa t’attend de l’autre côté de la forêt. » l’informa rapidement Sei.

À cet instant, une onde de choc arriva à grande vitesse vers eux. Sakura l’arrêta d’un bouclier. Tōru hésita, échangea un regard avec Sei et Sakura, puis rengaina sa lame et partit. Il ne pouvait se résoudre à les abandonner, mais n’avait pas non plus le droit de réduire leurs efforts à néant. Sans savoir s’il avait pris la bonne décision, il courut pour atteindre l’orée de la forêt. Après un temps infini, il y parvint et repéra immédiatement le cheva-automate qui l’attendait. C’était un modèle ‘‘Feu’’, particulièrement rapide. Il s’en approcha, inséra la clé dans la serrure située au niveau du poitrail, et tourna d’un quart vers la droite. L’automate prit vie. Le garçon se mit en selle et fit partir l’Ipsa au galop. Bientôt, il filait dans une plaine sous les étoiles, ne pouvant détacher ses pensées de ceux qui lui avaient offert la liberté. Il se sentait terriblement coupable de les avoir laissés, dans une situation qu’il savait sans espoir. Mais ils avaient agi ainsi pour lui, il devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour se mettre en sécurité, et qu’ainsi leurs efforts ne soient pas vains. Qu’allait-il leur arriver ? Et lui, que ferait-il ? Où irait-il ?

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