Tana - Princesse de Grymnoria

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Le sol à quelques mètres, enveloppé dans un halo de lumière,

je sens la violence, la haine, le désespoir et le chagrin m’assaillir.

Je veux que cela s’arrête mais je ne peux rien y faire,

seulement subir l’assaut de ces lames maudites, pour en finir.

Le soleil commençait à percer au dessus des montagnes qui bordaient les murailles nord de la neuvième archi-cité de ce monde : Grymnoria.

Dans une des hautes tours de la cité, au milieu de la froideur de sa chambre et de son lit, Tana était déjà éveillée. Cette nuit fut agitée et le réveil, en sursaut, à nouveau.

Le songe qui l'avait tiré hors de son sommeil était récurrent, elle y passait l'épreuve des sens. Et comme à chaque fois, elle échouait, dans la douleur et la souffrance. Comme tous les enfants de primarques, Tana la passerait durant sa quinzième année. Celle-ci déterminerait son futur et sa place dans l'archi-cité.

Ce jour était arrivé : l'épreuve des sens aurait lieu aujourd'hui. Le jour où elle s'était déjà vu mourrir des dizaines de fois.

Trois coups sourds sur la porte de sa chambre lui indiquèrent la nécessité de commencer à se préparer.

- Je suis déjà réveillée Bashu, lance-t-elle.

Bashu était sa lame ombre. Comme toute princesse de Grymnoria, une lame ombre lui avait été assignée à sa naissance. Ni homme, ni femme, ne sachant pas s'exprimer dans la langue des hommes, les lames ombres n'en étaient pas moins de redoutables guerrières dotées de pouvoirs magiques.

Tana considérait Bashu comme son ami, même si celui-ci ne lui répondait jamais. Il se contentait de la suivre partout, toujours prêt à la protéger. Elle s'habilla prestement afin de pouvoir rejoindre les cuisines et grignoter, même si l'envie n'y était pas.

En ouvrant la porte de sa chambre, Tana remarqua le regard de Bashu. Les lames ombres, avec leur yeux pleins, d'un noir impénétrable, ne se permettaient que rarement de fixer leur maître. Le contrat à mort qui les liait, forçait Bashu à cette marque de respect. Tana fut donc surprise lorsque celui-ci se permit cet acte pour le moins anodin . Cela acheva de nouer son estomac, elle ne pourrait rien avaler.

- Bien dormi ? adressa-t-elle tout de même à Bashu qui regardait à nouveau comme à son habitude droit devant, vers un horizon que lui seul et les siens semblaient pouvoir entrevoir.

- Bien évidemment Princesse, se répondit-elle avec la voix la plus grave possible.

Elle aimait mettre en scène ces questions-réponses, imaginant à elle seule leurs conversations entières. Mais aujourd'hui, cela ne la fit même pas sourire.

Elle prit le long couloir, puis les escaliers afin de rejoindre les cuisines. Elle passa devant la chambre de sa mère, Zaa, primarque de Grymnoria. Celle-ci serait présente lors de l'épreuve, elle l'avait vue. Ce serait certainement la première fois qu'elle et sa mère se retrouveraient aussi longtemps dans la même pièce. Cette dernière ne l'avait jamais réellement considérée, jugeant que la fille cadette d'une grande famille n'aurait jamais pu prétendre à une place distinguée dans la vie de l'archi-cité.

Pour Tana, son véritable et presque unique parent, était Donbar, son oncle. Elle avait passé la majeure partie de son enfance à ses côtés. Professeur et explorateur de renom, il avait enseigné à Tana tout ce qu'il avait pu de son savoir et avait essayé de la préparer pour ce jour du mieux possible.

- Cette épreuve, c'est elle qui fera de toi ce que tu es, ne la prends pas à la légère, lui disait-il.

- Je n'y arriverais pas, je vais mourir ! Se voyait-elle encore lui répondre.

- Non, avait-il répliqué fermement, Bashu et moi y veilleront.

Son rêve l'angoissait d'autant plus que Tana ne voyait jamais Donbar, ni Bashu d'ailleurs. Elle n'avait jamais parlé à qui que ce soit de ses rêves, estimant que des faits aussi surprenants, même s'ils avaient pu maintes fois la préparer aux événements de la vie, ne seraient pas bien vu par son entourage. Seul Bashu était au courant mais il n'en avait jamais dit un mot à quiconque.

- Nous y sommes, dit-elle en arrivant devant la grande porte des cuisines.

La porte en bois d'ébène massif était scupltée dans les moindres détails pour former une véritable ode à la cuisine et son art. Tana s'était souvent demandée qui avait bien pu travailler sur une telle oeuvre et comment des mains pouvaient être aussi habiles. Aujourd'hui, elle constata surtout que beaucoup de ses interrogations sur sa vie et ce qui l'entourait, ne trouveraient certainement jamais de réponse.

En entrant dans les cuisines, elle pu s'apercevoir que celles-ci étaient désertes, les cuisiniers étaient priés d'évacuer les lieux lors des célébrations, notamment celle de l'épreuve des sens. D'autres forces étaient alors à l'oeuvre.

Elle s'assit à une petite table prêt d'un âtre où mijotait une soupe. Bashu vint se poster derrière sa chaise, à distance respectable, comme à son habitude.

Tana rompit une miche de pain qui traînait sur la table, elle en mit un morceau dans sa bouche avant de le recracher immédiatement. Le simple fait de macher lui donnait la nausée. C'est à ce moment là qu'elle constata le tremblement de ses mains. Elle n'avait pas froid mais elle tremblait. Elle n'avait pas particulièrement peur, elle s'était résignée depuis longtemps à mourir lors de l'épreuve.

- Tu devrais manger, ne serait-ce qu'un petit peu, la journée est importante, annonca Donbar en entrant dans la pièce.

- Mon oncle, le salua-t-elle d'une voix monotone. Pourquoi êtes-vous chargé de la sorte ? Demanda-t-elle après avoir levé les yeux vers lui.

- Car je pars, ma chère, votre douce mère m'envoie en mission pour les mois à venir.

- Aujourd'hui ? le coupa-t-elle. Vous partez aujourd'hui ? Non, vous devez rester, au moins un jour de plus, je vous en supplie.

Tana s'était levée et les larmes commencaient à ruisseler le long de ses joues. Donbar était un grand homme roux avec une grande cicatrice qui lui barrait le visage de la tempe droite jusqu'au coin de la bouche. Il avait accrochée sa fidèle épée à l'arrière de son dos et portait sa tunique d'expédition. Il n'était plus parti depuis une vingtaine d'années et lui aussi n'était visiblement pas emballer à l'idée de partir précisément aujourd'hui.

- Je n'ai pas eu le choix, tu t'en doutes. J'ai été prévenu cette nuit, je pars avec mes hommes, mais ne t'en fais pas pour moi. Tu dois rester concentrée. Je sais que tu as ton ombre avec toi, il ne t'arrivera rien, conclut-il en adressant un sourire moqueur à Bashu qui n'avait pas bougé d'un millimètre.

Il alla auprès d'elle et déposa un baiser des plus paternels sur son front.

- A bientôt princesse. Nous nous retrouverons vite, dit-il en quittant la pièce.

Tana ne répondit pas, gardant ses souhaits et son envie de le serrer dans ses bras pour elle. Pour elle qui n'avait jamais connu son père et quasiment jamais côtoyé sa mère, Donbar était sa vraie famille. Elle resta encore quelques instants dans les cuisines et sauta d'un bond vers la porte menant à la cour : il lui fallait prendre l'air. Bashu était déjà à la sortie avant même qu'elle ne l'atteigne.

- Lis-tu dans mon esprit ? lui demanda-t-elle en arrivant à sa hauteur.

- Je ne me permettrais pas Princesse, vous le savez, répondit-elle pour lui. Elle souria, pour la première fois de la journée, et fila dans la cour.

La cour familiale, qui constituait un véritable promontoire, offrait une vue vertigineuse sur l'archi-cité. La tour dépassait aisément la ville d'une centaine de mètres, la surplombant par sa hauteur. Elle était entièrement recouverte de pierres de taille violettes et roses et scintillait du matin au soir. Les grandes familles de Grymnoria possèdaient toutes une tour au coeur de la cité, chacune étalant la richesse et la puissance de sa famille par de nombreux ornements, certains d'un goût douteux. Les tours des primarques, voici le nom que ces tours avaient pris avec le temps dans les rues de la cité. Les primarques régissaient d'une main de fer la ville et s'assuraient, par tous les moyens nécessaires d'en connaitre les moindres recoins et secrets. La toute puissante Grymnoria jouissait de ce statut grâce à une politique autoritaire et sans merci, n'hésitant pas à éliminer le moindre élément perturbateur au sein et même au délà de la cité.

Zaa, mère de Tana était primarque depuis plusieurs décennies déjà, et son influence n'avait cessé de croître au cours des dernières années.

Tana aimait contempler la cité : elle l'étudiait comme assise devant une fourmillière, attribuant un rôle à chacun sans n'avoir jamais pu rencontrer quelqu'un du Bas. Elle aimait croire qu'un jour, elle pourrait rencontrer et échanger avec ces gens, partager leurs expériences, les aider. Elle resta dans la cour plusieurs heures et lorsque le soleil fut au zénith, elle sut qu'il était l'heure. L'épreuve n'allait plus tarder à débuter.

Elle quitta la cour et prit la coursive en direction de la sortie de la tour. Elle put alors rejoindre le grand forum, majestueux hall trônant au centre des hauts de la cité. Il s'agissait du centre historique de la cité, là où tout avait commencé et là où toutes les décisions étaient prises, encore aujourd'hui. Les grandes familles avaient rapidement pris conscience de l'importance de la pierre angulaire de la cité. Le forum était désormais cerné de six gigantesques tours.

Tana se trouvait sur les dernières marches devant le somptueux porche, anxieuse : elle n'arrivait plus à bouger. Quelques pas la séparaient de son destin. Bashu se tenait à ses côtés, comme toujours. Il était sa seule compagnie.

Elle acheva l'ascension des marches et passa le pas de la porte.

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