Un Neptunien rentre dans un bar...

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Ce bar est miteux. La façade doit être repeinte, les vitres sont couvertes de poussière et le néon qui affichait レデンプション-rédemption- fut un temps ne s’allume plus.

Mais j’ai vraiment besoin d’un verre. Ou deux. J’arrive pas à dormir avec tous ces bombardements et mes cernes sont plus grands et sombres qu’un putain de trou noir. Quitte à être saoulé, autant l’être à l’alcool. Je crois voir de la lumière alors je rentre en poussant cette porte en aluminium aussi légère qu’une feuille de papier.

C’est pas le genre d’endroit que je fréquente d’habitude. C’est plus un bar à poivron et à ouvrier. Ça pue le renfermé et l’humidité, toutes les couleurs sont ternes, il n’y a pas de décoration,... C’est pas possible, ça doit être abandonné tellement c’est mal entretenu. Et en plus y a pas un chat.

Ah. Si, il y a un chat. Noir. Assis sur un tabouret au bar, en train de dormir. Qu’est-ce que je l’envie… Mais à part lui, je ne vois pas âme qui vive dans ce trou à rat.

On est dans les hauteurs de la ville. Par l’immense fenêtre, j’aperçois au travers de la poussière et de la crasse tous les logements pourpres sur lesquels reposent des panneaux solaires couverts de terre de la même couleur, parfois balayée par le souffle des explosions.

Quant au bar : un comptoir, des étagères avec des boissons vieilles de plusieurs décennies et quelques tables entourées de chaises dans le reste de la salle. Ça donne envie de se tirer une balle cette ambiance.

Je m’assois sur un tabouret –celui à côté du chat noir qui ouvre un œil, méfiant– et tape du poing en me demandant si c’est un fantôme où un uranien qui passera la porte en face de moi pour me servir.

Mais c’est bien un homme qui rentre à côté des nombreuses bouteilles poussiéreuses. Il me regarde comme si j’étais un alien –même si on peut dire que j’en suis un, j’imagine–. Visiblement, il est encore plus surpris que moi de trouver quelqu’un dans son taudis.

C’est un uranien pure souche, ça se voit. Ils ont tous les cheveux noirs et portent toujours des grosses écharpes dégueulasses autour du cou, tricotées par leurs arrière-grand-mères avec des motifs censés représenter le caractère de la famille. Je vois beaucoup de ronds et de courbes sur son écharpe verte et mauve, ça signifie que c’est une famille plutôt aimable et bienveillante. C’est le plus commun. Le genre gentil voisin qui va te prêter sa perceuse et qui n’appellera pas les flics quand tu baises sa femme un peu trop fort.

Si son écharpe avait été recouverte de triangle, il aurait probablement déjà dégainé un fusil dans ma direction. Et si c’était des traits, je serais probablement allongé dans mon sang vu mon origine.

Je l’observe. Vingt centimètres de moins que moi. Une cinquantaine d’années, un ventre à bière caché par une doudoune blanche et des longs cheveux bruns que j’aperçois sous sa capuche. Je peux juste entrevoir ses yeux noirs, absents de toute technologie, ce qui me perturbe. Apercevoir une lueur humaine dans des pupilles me déstabilise quelque peu. Comme si le naturel ne l’était plus vraiment pour moi.

« Que me voulez-vous ? »

Une voix qui, sans être tremblante, reflète un profond manque de confiance en soi.

« C’est un bar non ? N’importe quoi fera l’affaire. »

Il regarde la pièce comme si lui-même la découvrait pour la première fois. Je pourrais jurer qu’il est en train de vérifier si c’est bien un bar.

« Bien sûr, tout de suite monsieur. »

Le gros énergumène se retourne et ouvre un placard sous le présentoir à bouteilles. Il en sort deux verres et de la bière qu’il me sert avant d’engager la conversation.

« Un nept. Je ne pensais pas en revoir un un jour.

— Surprise, on n’est pas encore tous morts.

— Nous non plus ! »

Il dit ça en rigolant et une quinte de toux le prend soudainement. Peut-être n’a-t-il plus l’habitude de parler. Le petit bonhomme se frappe violemment le torse avant de se servir à boire et de trinquer.

« À la fin de cette guerre !

— Si vous le dites. »

Sa conviction me donne un relent qui m’empêche de boire. La guerre, elle n’est pas près d’être finie mon vieux. Qu’ils sont cons ces uraniens. Une des raisons de mon dégout envers eux.

Je bois cul sec. De l’alcool de mauvaise qualité, probablement fait dans une cave miteuse avec des tonneaux en ferraille rouillée.

« Que fait un Nept ici. »

Je suis venu pour me bourrer la gueule, pas pour que tu me bourres le crâne avec tes conversations à deux balles.

Pourquoi il me regarde comme ça lui ?

Merde… J’ai pas dit ça à voix haute quand même, si ?

« Si.

— Et merde. »

Un mauvais silence s’installe alors que j’évite tout contact visuel. Je ne suis pas tant gêné par ce que j’ai dit, mais plus par le fait que je n'ai pas réussi à me contrôler. J’ai moi aussi perdu l’habitude de parler avec des gens il semblerait.

La boule de poils noire lève une oreille. Puis les deux avant de se tourner vers la fenêtre. Rien de bien étonnant, je suis sûr que ces p’tites bestioles sont capables de sentir la présence des morts avec leurs moustaches de rats. Probablement a-t-il vu un fantôme. Mais un son se rapproche. Pas le sifflement d’une bombe, mais comme une voix qui vient du ciel.

« PROVISIONS GRATUITES. PROVISIONS GRATUITES. PROVISIONS GRATUITES »

La voix mécanique et sinistre devient de plus en plus forte.

Bordel !

« À TERRE ! » hurlé-je avant d’attraper la bestiole par la peau du cou et de bondir par-dessus le comptoir. J’atterris sur l’uranien et le fais s’écrouler par terre. Il grogne de surprise puis me demande ce que je branle.

Quelques secondes passent sans que je parle. Peut-être me suis-je trompé.

Je m’apprête à relever la tête quand une gigantesque explosion fait trembler le sol et mes tympans à quelques pâtés de maisons. Je baisse de nouveau la tête alors que toutes les fenêtres se brisent. Les bouteilles explosent et nous recouvrent d’alcool tandis que le fracas continue. Je sens des débris me tomber dessus, du verre, de la poussière, des cailloux, et je prie pour que le bâtiment résiste et ne nous tombe pas sur la tête.

La fin du monde dure pendant quelques secondes avant que tout s’arrête, laissant un calme cent fois plus terrifiant que n’importe quelle bombe à neutron.

Je me relève et dépoussière mon manteau noir qui ruissèle d’un mélange d’alcools bas de gamme. Le chat s’enfuit par la chatière de la porte tandis que je me rapproche de l’encadrement de la fenêtre.

Un cratère. Immense.

Voilà ce que je vois.

À une centaine de mètres près, la bicoque était soufflée. Et maintenant que j’y pense, l’hôtel où je séjournais a été complètement détruit. Et mes affaires avec.

Je soupire avant de récupérer mon béret noir que je repose sur ma tête, couvrant mes cheveux blonds rasés sur les côtés et ondulant comme des épaisses flammes sur le dessus.

Le petit gros ne s’est pas encore relevé. J’imagine que sa pisse se mélange à l’alcool maintenant.

Quand je vois ce cratère, et l’emplacement approximatif où j’aurais dû me trouver, je suis pris d’une profonde mélancolie. De regrets même. J’en viens à m’en vouloir d’être sortie de ma chambre. Peut-être que cette bombe était pour moi, qui sait.

J’entends des morceaux de verre tomber au sol. Je me retourne et vois le barman se relever, aussi trempé que moi. Il regarde de nouveau autour de lui, comme pour s’assurer de l’endroit où il se trouve. Un étrange rictus se dessine sur son visage. J’imagine qu’il est heureux d’être en vie. Quel veinard.

Il se rapproche de moi et nous regardons l’immense cratère encore fumant, en silence. Autour du trou béant, les maisons ont été soufflées et se sont effondrées partiellement ou intégralement, transformant le paysage déjà peu joyeux en véritable vision apocalyptique.

Quelques cris commencent à se faire entendre. Des appels à l’aide, des hurlements d’agonies, des personnes qui courent aider les blessés…

« Je serais mort si t’avais pas été là… J’y crois pas, j’ai jamais vu un truc aussi puissant... Sur des civils... »

Je ne réponds pas. Je me contente d’observer, silencieux, ce spectacle macabre avec une certaine curiosité. Je connais bien ces bombes, mais je n’avais jamais réellement vu leur violence. Et surtout à quel point elles sont mesquines.

Il retire ses gants et son écharpe trempée puis les poses sur le comptoir avant de revenir vers moi et de tendre sa main.

« Merci de m’avoir sauvé la vie. »

Suspicieux, je l’observe de haut en bas, et plus particulièrement sa peau. C’est là que je vois une trace jaune sur son poignet. Je fais un bon en arrière et écarquille les yeux.

« PUTAIN DE FILS DE PUTE, T’ES L’UN D’ENTRE EUX ! »

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