Chapitre 12

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Ils étaient dans le hall quand cela se produisit. Les adolescents entendirent des martèlements mécaniques, tous au même rythme, puissants, rapides. Après quelques secondes, ils se transformèrent en coups, faisant trembler la large porte en chêne, résonnant dans toute la salle.

Boum, boum.

Elle semblait prête à éclater à chaque tentative, malgré les grandes barres d’acier la recouvrant.

Boum, boum.

Un instant, la scène s’immobilisa. Tous cessèrent de bouger, les visages virant en une fraction de seconde au blanc. Puis un adulte cria :

– Ils arrivent ! Cachez les jeunes !

Aussitôt, tout s’activa autour des jeunes. Ils virent les membres de l’ADCS s’affairer dans les quatre directions s’emparant d’objets, se préparant à l’affront.

Boum, boum.

Dans la cohue, un large bras les emporta tous. Thomas vit les couloirs défiler devant ses yeux, ne comprenant pas la situation, dans l’incapacité d’exercer une quelconque résistance.

Boum, boum.

Les Automates frappaient toujours, de plus en plus fort, les bruits se confondant avec ses battements de cœur. Tout se brouillait, il sentit ses pieds trébucher contre les marches de l’escalier, sa tête tourner. Ses membres étaient incontrôlables, ils se contentaient de suivre le rythme imposé par l’adulte qui les poussait. Il se laissait chavirer au gré des mouvements.

Boum, boum.

Il vacilla, sa tête heurta une paroi dure, l’onde se répercutant dans tout son crâne. Il reconnut les contours de la salle de jeux, flous et penchés. Mais la vague l’entraîna à poursuivre le couloir.

Crac !

Le bruit sourd de la porte qui volait en éclat retentit dans ses oreilles, se mélangeant aux crissements des chaussures sur le carrelage et aux cris.

Il fut projeté contre une tapisserie jaune couverte de motifs qu’il put assimiler vaguement à des fleurs. Sa tête tomba brusquement, frôlant de jolies mèches blondes à l’odeur parfumée que Thomas connaissait parfaitement, la chute amortie par une cuisse sur laquelle il s’était longuement reposé à l’ombre des pommiers. Il aurait pu s’endormir là tellement il s’y sentait bien, s’il n’y avait pas eu les bruits de pas rythmés des Automates.

Boum, boum.

Le même scénario se répétait. Son cerveau endolori essayait de capter les sons, les sensations, mais tout se mélangeait en un capharnaüm de bruits, contacts, odeurs, et souvenirs.

Puis tout à coup, il se réveilla. Il se souvint de tout. Les Automates. Show.

Ils pénétraient dans le Refuge, pour y extraire ses occupants. Brusquement, il rouvrit les yeux à moitié clos, et releva la tête.

Il était dans une pièce plongée dans la pénombre, seules de fines stries de lumière jaillissaient de ce qui semblait être les contours d’une porte. Le silence était total, et hormis quelques suffocations qui lui prouvèrent que ses amis étaient avec lui, rien ne venait perturber cette atmosphère funeste. À croire que les Automates étaient partis.

Quand il se rappela que les esclaves de Show étaient au Refuge, cela ne lui procura rien de particulier. Ce fut seulement lorsqu’il pris conscience qu’ils allaient tous finir torturés par Show, à l’aide de la Chaise Virtuelle ou autrement, que la chose avait pris toute son ampleur. Il avait alors cédé à la plus grande panique, son corps s’était immobilisé, des tremblements l’avaient assailli, son cœur avait bondi dans sa poitrine. La plus grande frayeur s’était emparée de lui.

Il resta quelques minutes ainsi, puis sa raison le rattrapa peu à peu. Ils étaient dans un cagibi, ou du moins une toute petite pièce dépourvue totalement de sécurité. La porte semblait aussi fine qu’une feuille de papier, et un simple coup de pied suffirait à la briser. Peu importe l’adulte qui les avait amenés là, pourquoi avait-il fait cela ? Peut-être voulaient-ils les cacher das un endroit où les Automates ne penseraient pas à chercher, mais dans ce cas, une armoire ou une couverture auraient pu faire l’affaire. Dans cette pièce complètement vide, il n’y avait nulle part où se dissimuler. Il n’aurait pas du tout imaginé la prise des Automates comme cela, il pensait qu’il y allait y avoir des combats, des tirs, des morts. Mais à ce qu’ils entendaient, la lutte de l’ADCS semblait bien calme. À moins que les serviteurs de Show soient déjà repartis avec les adultes en les oubliant, eux. Mais cela ne correspondait pas du tout avec leur caractère : d’après ce que Elvis lui avait dit lors des rares discussions à ce sujet, les Automates étaient de vrais fouineurs et pourraient chercher une aiguille dans une botte de foin pendant plusieurs jours si Show leur en ordonnait. Ils auraient vite fait de les retrouver, là où ils étaient. Thomas ne comprenait rien. Il lui semblait qu’on lui faisait une affreuse blague, ou qu’on le manipulait depuis le début. Et si Elvis et les autres adultes étaient eux aussi des serviteurs de Show ? S’ils avaient créé l’ADCS dans le seul but de les attirer plus facilement jusqu’à eux afin de les fournir ensuite à leur maître ? Le jeune homme n’avait encore jamais poussé ses soupçons jusque là, mais maintenant, il réalisait que c’était largement possible. Et plus il y pensait, plus il s’en convainquait. Il ne voulait pas se laisser faire aussi facilement. Il n’allait pas attendre sagement ici. C’est ce que les adultes désiraient d’eux ? Alors ils seraient déçus. Il n’aimait pas du tout qu’on lui dicte ce qu’il devait faire. D’un bond il se leva. Peu importe le nombre d’Automates qui lui feraient face, il se battrait. Et si des adultes se dressaient devant lui, ils les martèleraient de coups par la même occasion. Il commençait à se diriger fermement vers la porte quand quelque chose lui attrapa le bras. Il fit volte-face et aperçut vaguement la silhouette de Léa. Un faisceau de lumière illuminait ses cheveux blond or, et ses yeux bleus brillaient dans le noir. L’adolescent distinguait grossièrement ses traits. Elle l’implorait du regard. Il comprenait parfaitement le message qu’elle essayait de lui faire passer. Elle tentait de lui faire comprendre qu’il devait attendre. Que cela ne servait à rien. Qu’elle ne voulait pas le perdre. Et elle avait raison. Mais une force intérieure obligeait Thomas à vouloir se battre, à ne pas rester sans bouger simplement parce que c’était la volonté des adultes. Il tira sèchement son bras, et malgré une certaine résistance, la main de Léa finit par glisser le long de sa peau. Il s’approcha d’un pas rapide de la porte. Au moment où il allait l’ouvrir, des bruits de pas résonnèrent dans le couloir, puis dans son crâne.

Boum, boum.

Ces bruits, il les connaissait parfaitement. Aussitôt, il se raidit. S’il ouvrait la porte, il se ferait repérer à coup sûr et tuer dans les secondes qui suivraient. S’il revenait à sa place, peut-être que les Automates oublieraient de vérifier cette porte, et ils passeraient inaperçus. Le choix était vite fait. Il revint se camoufler parmi la masse, se blottit le plus près possible du mur, et fourra sa tête dans son pull. C’était parfaitement inutile, bien sûr, mais cela le rassurait. Des voix vinrent ensuite se mêler aux bruits de pas. Thomas n’avait jamais entendu des Automates parler, et il n’aurait jamais pensé qu’elles seraient ainsi. Au lieu d’être fortes, terrifiantes et emplies de colère elles paraissaient plutôt plates et robotiques. Il dut se faire violence pour se rappeler que les Automates ne ressentaient pas d’émotions, et que par conséquent leur voix était atone. Les esclaves de Show étaient encore trop loin pour que Thomas puisse comprendre leurs paroles, mais elles le faisaient déjà frémir.

Peu à peu, l’adolescent remarqua que de petits pas légers, rapides et irréguliers se mélangeaient à la cadence rythmée des Automates. Cela ne pouvait être qu’un humain. Un robot n’aurait jamais pu marcher comme cela, encore moins un Automate. Mais qui ? Un adulte qui aurait été fait prisonnier ? Show en personne ? Peu importe. De toute façon, ils étaient fichus. Thomas concentrait toute son attention sur ce qu’il entendait pour éviter que la peur l’envahisse à nouveau, mais cela ne changeait pas grand-chose. Les Automates entreraient dans la petite pièce, et soit ils les extermineraient sur-le-champ soit ils les ramèneraient à leur maître. Il se vit accroupi contre un mur, tremblant de tout son être tandis que le sang giclait contre les murs et que les cris et les tirs jaillissaient de toute part. Puis l’image de son visage défiguré dans une Chaise Virtuelle entre son père et sa mère s’imposa à lui. Il frémit. Il ne voulait pas connaître ce genre de destins. Mais que faire, à cet instant précis, dans cette situation ? Il se résolut à se concentrer de nouveau sur ce qu’il entendait, parce qu’il ne trouva rien de mieux pour occuper son esprit. Les personnes à l’extérieur étaient assez près maintenant pour que l’on puisse les entendre. Il en distingua une.

– Puisque je vous dis que nous sommes seuls ici, pourquoi tenez-vous tant à chercher !

Thomas se crispa lorsqu’il réalisa qu’il connaissait parfaitement la voix de celui qui avait parlé. Elvis.

– Ordre du Maître Suprême.

– Il risque d’être déçu alors, votre Maître Suprême, peut-être même qu’il pleurnichera et ira se consoler auprès de son doudou, vous ne croyez pas ?

– Vous êtes en état d’arrestation d’après l’article 184 du Code de Show, pour atteinte au Maître Suprême. Maintenant, taisez-vous et menez-moi à vos prisonniers.

– Et la politesse, alors ?

– Le terme « politesse » ne figure pas dans ma mémoire interne. Vérifiez qu’il soit bien prononcé.

Elvis éclata de rire.

– À présent, taisez-vous et menez-moi à vos prisonniers, reprit-il, ou je devrai ajouter à vos délits un refus d’obtempérer aux ordres du Maître Suprême.

– Faites donc, qu’est-ce que je risque, de toute façon ? La mort ? J’en rêve.

– Le Maître Suprême décidera lui-même de votre sanction, mais vous allez probablement être torturé jusqu’à la mort ou exilé au Monde Virtuel. Si toutefois vous coopérez, peut-être vous laissera-t-il la vie et vous garantira-t-il une place dans sa demeure pour le servir.

– Faites ce que vous voulez, mais je peux vous assurer que vous ne trouverez pas ce que vous cherchez.

– Dans ce cas, je vais devoir chercher seul.

Thomas entendit soudain un grincement sec. L’Automate venait d’ouvrir la porte d’une pièce voisine à la sienne. Il la referma aussi sèchement, et continua de marcher en direction de la prochaine. Dans quelques secondes, les adolescents seraient retrouvés s’ils ne faisaient rien. Mais il n’y avait rien à faire, il était trop tard. La salle ne possédait aucune issue. Et de toute façon l’effroi leur empêchait d’effectuer le moindre geste. Les pas des Automates parurent très lents tout à coup. Chacun d’eux les rapprochait un peu plus de leur destin. Les secondes s’allongèrent, le temps devint interminable. Pour ne pas céder à la peur, Thomas vint se réfugier dans ses souvenirs. Il se revit avec Léa, au Patio, sa tête posée sur ses épaules, à écouter les oiseaux, puis à rire avec ses amis, ensuite dans les bras d’Antoine, qui le réconfortait de ses tapes amicales dans le dos et de ses paroles. Enfin il revit ses parents. Tous les deux, dans les Chaises Virtuelles. Avec un peu de chance, il allait pouvoir les retrouver. Le grincement sec de la porte retentit. Elvis accompagné de trois Automates se tenait sur le seuil.

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