Chapitre 8

7 minutes de lecture

Lorsque la porte s’ouvrit, tous les adolescents tournèrent la tête, intrigués. Ils aperçurent alors Elvis et soupirèrent, pensant qu’il allait encore leur demander de travailler au Jardin. Jusqu’à ce qu’ils aperçoivent un bras fin surgir brièvement derrière lui. Certains se penchèrent sur le côté, mais la carrure musclée d’Elvis dissimulait complètement le corps qui se cachait. Enfin, le chef de l’ADCS se décala, laissant la petite chose apparente.

- Elle s’appelle Léa, prenez bien soin d’elle, dit-il avant de s’en aller.
La jeune fille qui devait avoir l’âge de Thomas, restait figée sur place, tremblant de la tête aux pieds. Par un geste que Thomas prit pour de la gêne, elle enfouit son visage pâle aux courbes douces dans le col de son pull vert, les empêchant d’admirer plus longuement ses lèvres fines qu’elle mordillait et ses joues légèrement teintées de rose. Ses iris émeraude mis en valeur par des sourcils fins et bien dessinés traversèrent la foule en observant curieusement la multitude de petits yeux qui prenaient un plaisir fou à observer son corps divin. Enfin, elle posa son regard sur Thomas, et garda ses yeux rivés sur lui. Elle semblait sonder son âme, pénétrer son esprit pour y déceler ses trésors secrets. La gêne envahit le jeune homme, et il tenta à plusieurs reprises de tourner la tête pour détacher son regard du sien. Mais elle continuait de le fixer, et Thomas ne pouvait s’empêcher de la regarder lui aussi. Elle se mit à entortiller frénétiquement une mèche de ses cheveux blonds bouclés qui coulaient en cascade sur ses épaules, probablement pour occuper ses petites mains tremblantes aux doigts délicats.

On pouvait lire sur son visage le même air timide que devait arborer Thomas en arrivant ici. Comme lui, elle avait sûrement passé plusieurs jours dans les rues parisiennes, sans se laver, à se nourrir de ce que les rats avaient bien voulu lui laisser dans les poubelles. Pourtant, son visage propre ne laissait rien paraître.

Enfin, elle se décida à relâcher le col de son pull et sourit timidement à Thomas, révélant des dents parfaites.

La gêne de l’adolescent était à son comble. Il aurait bien voulu être n’importe où mais pas ici. « Pourquoi moi, qu’est-ce que j’ai fait ? », se disait-il. Ses amis ne cessaient de lui jeter des clins d’œil admirateurs ce qui ne faisait qu’augmenter son malaise.

Ses yeux étaient le poison le plus puissant du monde pour lui. Plus il tentait d’éviter son regard, plus il éprouvait le désir irrésistible de le retrouver. Alors, il s’en imprégnait pleinement comme d’une liqueur amère.

Une pensée fugace lui traversa l’esprit : il devait être crasseux depuis le temps qu’il ne s’était pas lavé. Pourtant, Léa semblait ne pas le prendre en compte.

Enfin, la sonnerie perçante retentit, Thomas était sauvé. Les adolescents se dispersèrent et il suivit ses amis vers la salle à manger. Léa resta sur place, les bras ballants et le visage plus pâle qu’un mort.

- On dirait que tu t’es trouvé une nouvelle petite copine ? ironisèrent ses camarades.

Thomas n’avait pas du tout envie de parler de cela. Mais il ne pouvait pas leur en vouloir, ils voulaient simplement en rire. Au vu de son regard absent, ses amis optèrent d’aborder le menu de la semaine et les continuels désaccords concernant ce sujet. Pensif, le jeune homme ne participa guère à la discussion.

Léa dépassait tous les records en terme de timidité. Même s’il avait été un peu gauche au début, Thomas avait quand même osé faire le premier pas vers Antoine à son arrivée. Elle, ne s’était même pas approché d’un mètre. Elle n’avait pas prononcé un mot. Pourtant, ses yeux en avaient dit beaucoup. Il lui semblait qu’elle avait d’abord soutenu son regard en quête de réconfort. Mais ensuite, c’était par simple plaisir qu’elle avait continué de le fixer. Il l’avait remarqué à travers l’intensité délivré par ses yeux, comme si rien d’autre ne comptait pour elle. En soupirant, il attrapa un morceau de pain. Quelle ne fut pas sa colère lorsque, en levant la tête, il aperçut, assise à la table des adultes Léa qui le fixait. Elle détourna vite son regard vers son assiette, mais c’était trop tard. « Que me veut-elle, au juste ! », se dit-il. Il semblait reconnaître cette teinte virant au rouge assaillant ses pommettes, ces yeux pétillants, cette bouche tremblante… c’étaient bien les mêmes signes que cette jeune fille venue lui annoncer ses sentiments pour lui lors de son enfance.

L’intérêt soudain de cette jeune fille pour lui aurait dû le charmer. Pourtant, il ne savait pourquoi, cela l’irritait d’être le sujet de tous ces regards. Ses amis rêvaient probablement d’être à sa place, leurs coups d’œil jaloux en témoignaient.

Perplexe, il retourna au dortoir le ventre à peine rempli, et regagna sa couchette pour passer une nuit troublée.

Le lendemain, il était prévu comme cours une séance de Sport et Musculation. « Cette heure va lui donner un mauvais à priori sur le Refuge et ses occupants », pensa Thomas. Léa occupait entièrement son esprit depuis la veille, et toutes les pensées qui s’imposaient à lui avaient forcément un rapport avec elle. Le matin, alors que les jeunes discutaient entre eux, Léa ne vint pas une seule fois leur parler. Elle se contenta de les regarder, intriguée, de l’autre côté de la pièce, les jambes repliées contre son torse. Thomas ne pouvait s’empêcher de lui jeter des coups d’œil furtifs, ce qui semblait agacer ses camarades. Sans-doute avaient-ils l’impression qu’ils ne comptaient plus pour lui, que la nouvelle avait pris toute la place. À cela pouvait-on ajouter un brin de jalousie.

L’après-midi, le petit groupe se dirigea la tête baissée vers la salle de sport, pour un nouveau cours atroce. Avec le temps, Thomas avait appris à contourner le regard glaçant de l’homme sans tressaillir. En revanche ce n’était pas le cas de Léa. En arrivant en dernière place, elle pâlit au contact des yeux d’Édouard. Ses amis lui avaient expliqué qu’il était encore plus terrible avec les nouveaux arrivants. Et il se pouvait qu’il soit au summum de son atrocité du fait qu’il s’agissait d’une fille. Une vague d’appréhension pour cet individu dont il connaissait seulement le prénom lui traversa le corps.

- Qu’attendez-vous ?! hurla-t-il. En place ! Et toi, tu vas me montrer ce que tu sais faire, s’adressant à Léa qui sursauta, un geste tout à fait compréhensible.

Tandis que les autres adolescents s’affairaient à exécuter nombre de pompes, exercices abdominaux et tractions, Édouard concentra toute son attention sur la jeune fille et lui demanda d’accomplir des exercices que la finesse de son corps féminin ne lui permettait pas d’entreprendre. Pourtant, elle fit du mieux qu’elle pouvait, donnant toute sa volonté pour y parvenir. Elle avait du cran. Et Thomas aimait ça. Malgré ses efforts, la fragilité de sa silhouette la rattrapa et après trois essais, elle s’effondra sur le tatami.

- Tu n’y arrives pas ? On va voir si, après ce que je vais te faire, t’y arrives toujours pas…
Thomas savait ce qu’il s’apprêtait à effectuer. Il allait la forcer à se battre avec lui dans le ring. Il allait la défigurer.

- Non ! Ne faites pas ça !

Ces paroles étaient sorties toutes seules de sa bouche, et il les regretta aussitôt. Qu’en avait-il à faire de cette nouvelle arrivante ? Pourquoi l’aidait-il sans rien connaître d’elle ? Pourquoi se mettait-il en danger pour elle ?

Au moment où Édouard reporta son visage sur Thomas, Elvis entra à son plus grand soulagement.

« Décidément, il est toujours là pour me tirer des pires situations », se dit-il.

Le professeur fit comme si rien ne s’était passé, continuant de leur donner cours en essayant d’être le plus sympathique possible. Elvis préféra rester à l’observer jusqu’à la fin du cours. Cela obligeait la brute à bien se comporter. Dans les vestiaires, Thomas chercha du regard Léa, alors qu’il savait très bien que les filles ne se changeaient pas au même endroit. Il ne comprenait pas cette attirance qu’il éprouvait à son insu pour cette jeune fille, mais le seul fait de ne pas l’avoir dans son champ de vision pendant une minute lui infligeait le plus profond supplice. Et la compagnie de ses amis, visiblement accablés de perdre un bon camarade de jeu et de discussion, n’adoucissait en rien son embarras. Il avait besoin de la présence de Léa à ses côtés, il ne savait pourquoi. Il n’était pourtant pas du caractère à sortir avec la première venue. Mais si ce n’était pas de l’amour qu’il éprouvait, alors qu’est-ce que c’était ? C’était bien plus qu’un simple intéressement, ni une compassion ou un désir d’amitié. Après une longue réflexion sur un banc du vestiaire, il décida, après s’être changé et rincé le visage, d’écouter son cœur. À la suite d’une recherche fastidieuse, il la trouva à l’endroit où il aurait dû regarder dès le début. Sur un banc du Jardin, elle regardait pensive les travailleurs infatigables retourner la terre sous le soleil couchant. Un vent faible faisait frétiller ses longues mèches blondes. Elle souriait. Apparemment, Thomas n’était pas le seul à apprécier ce lieu. Après un long débat avec lui-même, il prit la décision d’aller la voir. À pas feutrés, il s’approcha de la petite créature venue tout droit du ciel.

Annotations

Vous aimez lire Le Silmarillion ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0