Chapitre 2

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Soudain, Thomas ne sut dire pourquoi, mais toute la colère et l'inquiétude qu'il avait gardé en lui pendant ces cinq dernières heures lui sortirent du cœur.

- C'est vous qui allez m'expliquer! J'étais bien tranquille et vous, vous venez, vous m'embarquez et voilà que je me retrouve dans cet asile de fous, avec des aliens en blouse blanche!

- J'aurai tout le temps de te raconter ce que tu veux plus tard, mais pour l'instant, il faut que je comprenne pourquoi tu n'as pas été informé des derniers événements.

Thomas voulut protester, mais il savait qu'il n'avait pas le choix. Alors il réfléchit à ce qu'il allait bien pouvoir dire, prit une longue inspiration et commença :

- Au départ, j'avais une vie d'adolescent plutôt normale. Le matin j'allais au collège, le soir je faisais mes devoirs, et le dimanche je regardais la télé en mangeant des chips. Et puis un soir en rentrant du collège, j'ai vu mes parents terrorisés, prêts à pleurer. Je venais à peine de rentrer qu'ils se sont jetés sur moi. Ils m'ont dis que je courais un grave danger et qu'à partir de maintenant, je devrais rester dans ma chambre toute la journée, que je n'irais plus jamais au collège et que je ne descendrais que pour manger ou pour aller aux toilettes. J'ai donc dû obéir si je ne voulais pas subir la colère de mes parents.

- Et tu n'avais aucun contact avec le monde extérieur ? dit-il en se grattant le menton et en fronçant les sourcils.

- Le seul intermédiaire que j'avais avec le monde extérieur était la petite fenêtre carrée de ma chambre, ce qui était pour moi quelque chose de très important, j'ai passé deux ans à regarder le monde à travers. Et grâce à cette fenêtre, j'ai fait une étrange découverte. De moins en moins de voitures roulaient sur la grande rue où j'habitais, de moins en moins de gens traînaient sur les trottoirs. J'ai passé deux ans enfermé dans cette toute petite pièce étouffante et poussiéreuse, et je m'ennuyais de plus en plus puisque la seule chose qui m'était encore autorisée disparaissait peu à peu. Un soir, toujours dans cet ennuie, j'ai descendu les escaliers parce que j'avais faim, et il y avait deux gros cartons dans l'entrée. En me dirigeant vers le salon, j'ai vu mon père et ma mère dans des fauteuils identiques qui avaient l'air très sophistiqués. Il y avait une dizaine de boutons des deux côtés et d'énormes câbles de toutes les couleurs sortaient de ces fauteuils pour être reliés à une multiprise dans le couloir. Si il n'y avait pas eu mes parents qui dormaient paisiblement dans ces appareils, j'aurais pensé à un engin de torture!

- C'en est un. Mais continue.

- Je les ai alors appelés mais ils ne m'ont pas répondu. « Ils dorment» ai-je pensé au début. Pourtant je ne les avais jamais vu s'endormir aussi tôt. En plus, un sourire rayonnant éclairait leurs visages; ce qui était contraire à leur habituel caractère nonchalant. « Quand-est-ce qu'on mange ?», ai-je demandé. Mais à part un ronflement excessivement bruyant, aucune réponse ne me parvint. Mon estomac grondait dans ma poitrine et l'absence de réponse me tapait sur les nerfs. Et pourquoi avaient-ils acheté ce fauteuil bizarre puisque d'habitude, leur canapé en cuir leur convenait parfaitement ? Je vis alors un bouton plus gros que les autres sur un des fauteuils, et je découvris le même sur l'autre. Ma colère autant que leur silence m'obligea à appuyer dessus. Je pressai donc le bouton du fauteuil de ma mère, puis celui de mon père. Pendant quelques secondes, il ne se passa rien. Puis ils se réveillèrent en sursaut et me regardèrent d'un œil terrifiant. Après s'être levé, se jetèrent sur moi. Je me débattis et réussis à me libérer de leur étreinte.

Thomas retint une larme. Il avait envie de courir, de se sauver de ce bâtiment qu'il voyait comme une prison, et de revenir à sa vie clandestine, voire même de retourner dans sa chambre pour se reposer. Cette organisation secrète ne lui inspirait pas du tout confiance. Mais il continua tout de même, la voix chevrotante et les mains tremblantes.

- Je ne les avais jamais vus comme cela. On aurait dit des fauves qui n'avaient pas mangé depuis des jours. Voyant que je courais vers la porte d'entrée, mon père m'a bloqué le passage, pendant que ma mère revenait de la cuisine avec deux grands couteaux de boucher. Elle en a donné un à mon père et ils ont réussi à me blesser le bras.

Il montra une croûte épaisse sur son bras gauche.

- Pendant environ vingt minutes, j'ai tenté de me cacher et de me sauver pour échapper à leur rage, puis j'ai réussis à atteindre la poignée de la porte. Je l'ai ouvert sèchement et me suis enfuis à toute vitesse dans le grand boulevard désert. J'ai erré dans les rues pendant plus d'une semaine, en essayant de trouver assez de nourriture pour vivre. Et puis je vous ai trouvé. Vous marchiez d'un bout à l'autre de la rue, attentif au moindre mouvement.

Il y eut un grand silence dans lequel on n'entendait que la respiration d'Elvis et le grésillement régulier de l'ampoule. Thomas observait son poitrail musclé se gonfler et se dégonfler. Enfin, Elvis brisa le silence.

- Écoute-moi bien, Thomas, ce que je vais te dire est très important.
Le monde n'est plus ce qu'il était avant, il a bien changé. Un homme a tout détruit, la démocratie, l'amour, la colère, l'Humanité.

- Show...

Thomas ne comprenait pas pour autant. Mais à présent, ce n'était plus de la peur qui le tenaillait mais de la curiosité. Il voulait savoir. Il avait besoin de savoir.

- À vingt ans, Show était un jeune homme doué en informatique et en programmation avec beaucoup d'ambitions. Il voulait refaire le monde à sa manière. Mais peu à peu, il se mit à dériver vers le mal et se fit connaître grâce à ses talents. Il créa alors de nombreux virus informatiques dont le plus dément se nommait Antspace, un programme si puissant qu'il pouvait s'infiltrer dans n'importe quel ordinateur pour en récupérer les données en moins d'une minute. Il inventa aussi de nombreux objets atroces et bourrés de technologie. Par exemple, une de ses créations était une puce microscopique qu'il cachait dans de la nourriture, dans des chips ce qui lui permettait d'avoir de nombreuses informations sur le malheureux qui s'était fait piéger, comme son caractère, son groupe sanguin, ses émotions...informations qu'il revendait par la suite à de grandes entreprises, ou qu'il utilisait pour ses expériences. Mais il n'aurait pas dû créer tout cela, puisque les gens le dévisageaient à présent comme un criminel, ce qu'il était vraiment, et fuyaient à son approche.

- Et personne n'a essayé de l'arrêter ?

- Si, c'est d'ailleurs l'une des raisons de la création de son bouquet final, la Chaise Virtuelle.

- La machine qui a transformé mes parents en fauves ?

- Ce n'étaient plus tes parents, mais les serviteurs de Show. Ces machines laissent le corps intact, mais détruisent l'âme pour la remplacer par une autre, incontrôlable. Elles créent un monde pour chaque personne qui les possède, en faisant croire qu'il est bien meilleur que le nôtre, seulement parce qu'il fonctionne selon nos envies, se crée selon nos désirs.

Voyant le regard incrédule de Thomas, il continua :

- Reprenons les événements chronologiquement. Il crée des sites Internet illégaux et des virus, donc, la police commence à s'intéresser à son cas. Mais au lieu de se cacher, tout au contraire, il se montre et crée une nouvelle invention beaucoup plus perfectionnée qui va attirer beaucoup plus de monde, ce qu'il appellera plus tard la Chaise Virtuelle. Il voulait, en créant cette machine, berner la population pour qu'elle oublie tout ce qu'il avait fait auparavant.

- Et vous ne m'avez toujours pas expliqué en quoi consiste cet appareil, rappela Thomas, impatient.

- Toutes les personnes ayant acheté cette machine ont été transportés dans un autre monde, unique pour chacun, où tout semble parfait, mais qui est loin de l'être. Dans ce monde, tout se crée au fur et à mesure, selon les envies et désirs. Si par exemple je souhaite devenir milliardaire, le seul fait de le vouloir me fera gagner au loto. Cette simplicité à avoir ce que l'on veut n'a fait que diviser les Hommes et les extirper de la vie réelle. Cette machine détruit tous les sentiments négatifs comme la haine, la peur ou la tristesse et amplifie les sentiments positifs. Elle empêche également de tomber amoureux d'une personne réelle. Elle fut vendue en beaucoup plus d'exemplaires que Show ne l'avait prévu et il comprit qu'en plus de faire oublier à la population ses précédentes erreurs, il avait réussi à devenir une sorte de symbole pour l'Humanité.

- Et on ne pouvait plus sortir de ce monde une fois que l'on y était rentré ?

- Si, on pouvait en sortir en pressant le bouton rouge comme tu l'as fait la dernière fois que tu as vu tes parents. Mais de toute façon, il ne servait pas à grand chose puisque rares étaient les personnes qui voulaient ressortir de ce monde virtuel une fois qu'ils y étaient entrés.

- Et il n'y a que vous qui avez réussi à ne pas vous faire avoir par Show ?

- Il n'y a que nous qui avons réussi à nous cacher de Show, ce n'est pas la même chose. Des milliers de personnes ne voulaient pas s'emparer de cette machine, bien que c'est plutôt la machine qui s'emparait d'eux. Mais Show les a obligés, en leur faisant subir des tortures inimaginables, ou les a transformés en robots à sa merci. Je ne sais pas vraiment quel est le pire des destins.

- Mais comment fait-il pour transformer des humains en robots?

- Il supprime leurs émotions et leurs souvenirs, pour les remplacer par des programmes informatiques très élaborés. Ainsi, ils deviennent des esclaves de Show, et n'ont plus de conscience ni de libre arbitre. Ils ne font que ce qu'on leur dit de faire.

- Et le gouvernement, il ne peut rien faire ?

- Thomas, il n'y a plus de gouvernement. Plus de lois, plus de punitions, plus rien. Le monde a changé. Et ne crois pas que parce que tu es ici, tu es plus en sécurité, je pense qu'il n'existe aucun endroit plus sécurisé qu'un autre.

- J'ai une dernière question, dit Thomas. Comment font les gens pour pouvoir se nourrir et se désaltérer si ils ne sont pas présents dans la vraie vie ?

- Des tuyaux leur apportent les nutriments, l'oxygène et l'eau nécessaire pour qu'ils puissent vivre. Par contre, ils ne peuvent pas se laver. Du coup, leurs corps décrépissent et se ratassent sans qu'ils ne s'en aperçoivent. Au bout de quelques mois seulement, ils deviennent des êtres flasques, sans consistance et une horrible puanteur émane d'eux. A force de ne pas réaliser d'efforts, leurs muscles se ramollissent et deviennent inutilisables. Bref, ils deviennent des êtres affreux et amorphes. Regarde tes parents, après quelques heures à peine passées dans la Chaise Virtuelle, tu me les décris comme des fauves, je te laisse donc imaginer ce que cela provoque après plusieurs semaines passées dans cet appareil. Ça peux donner lieu à des scènes horribles.

Thomas grimaça en pensant à ce que deviendraient ses parents dans deux mois. Une longue pause s'en suivit, après laquelle l'adolescent voulut retourner dans le grand hall. Mais au moment où il s'apprêtait à repartir, Elvis lui dit :

Il y a une dernière chose dont il faut que je te parle, sans doute la plus importante de notre conversation.

Thomas s'arrêta net. Elvis continua d'un ton grave :

- En tant qu'adultes, Show nous connait, et cela lui importe peu de nous capturer. Mais vous, les jeunes, il ne sait pas qui vous êtes ni où vous vous cachez, ce qui fait de vous une véritable arme de guerre. C'est vous qui comptez pour Show, pas nous. Mais cela signifie également que c'est à vous que le sort de l'Humanité est confié, et c'est à vous de la sauver. Nous, nous ne pouvons rien faire.

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