Chapitre 40

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Point de vue de Thomas :

Les jours suivants sont interminables. Ma mère est totalement éteinte, on dirait un zombie. Heureusement que je suis là pour m'occuper de toutes les démarches administratives. Au moins je suis occupé et j'ai quelque chose à faire, entre les entretiens avec la mairie pour réserver une concession, le choix d'une tombe, d'un cercueil et j'en passe. Les journées sont bien remplies. Et lorsque nous sommes à la maison, ce sont les proches qui défilent pour nous soutenir. Je crois que le frigo n'a jamais été aussi plein. Ils se sont tous donné le mot pour nous amener des plats. C'est gentil de leur part, mais leur sollicitude est parfois un peu pesante.

Ce qui est sûr, c'est que dans les drames les familles se resserrent, je vois des cousins dont je n'avais pas de nouvelles depuis des années. Chaque visite semble faire un peu de bien à ma mère. Mais lorsque tout le monde repart elle n'est à nouveau que chagrin. Je ne m'étais pas rendu compte qu'elle aimait mon père à ce point, même après tant d'années. Je ne peux m'empêcher de me dire que j'aurais sûrement réagi de la même manière si j'avais perdu Chloé de cette façon.

Entre nous la situation est particulièrement étrange. Nous ne sommes plus vraiment en couple et pourtant je la vois tous les jours. Dès le lendemain de notre arrivée, elle s'est présentée à la porte d'entrée. Je suis resté interdit lorsque je l'ai vu nerveuse sur le seuil. Elle n'a pas tenté de m'embrasser (ce en quoi elle a eu raison, car je l'aurais envoyé illico regagner ses pénates) et a juste timidement proposé de venir nous aider pour s'occuper de l'intendance de la maison.

Je n'ai pas eu le courage de la renvoyer, autant à cause de l'inertie induite par la fatigue, que parce que je ne voulais pas faire une scène devant ma mère et puis surtout, malgré tout ce qui a pu se passer, je n'ai pas envie de lui faire du mal. Donc un peu lâchement j'ai préféré reporter à plus tard la Discussion en me disant que cela sera plus simple après l'enterrement.

Je dois admettre que son aide m'est précieuse et contrairement à toutes les personnes qui défilent, elle n'est pas dans la compassion empreinte de pitié, qui commence à me sortir par les trous de nez. Elle se contente d'agir, d'être là, elle tente même des blagues de temps en temps et putain, qu'est ce que ça fait du bien !!! J'en arrive à me dire que si je n'arrive pas à lui pardonner, j'arriverais peut-être à garder des liens d'amitié. Après tout elle n'a tué personne et je ne peux m'empêcher de me dire que j'ai moi aussi ma part de responsabilité. Mais pour autant, je ne peux pas m'imaginer reprendre une relation de couple avec elle, baiser ses lèvres qu'elle disait me réserver et qu'un autre a embrassées, c'est au dessus de mes forces. Reste donc la compréhension amicale que je ressens de sa part vis à vis de ce que je traverse.

Le plus dur pour moi, ça a été quand je me suis rendu à la morgue. Voir ce visage paisible, mais si blafard. C'est là que je me suis réellement rendu compte que je ne le reverrais plus en dehors de mes rêves. Il ne reste que mes souvenirs et mes regrets sur les non-dits qui existaient entre nous deux. Je ne peux m'empêcher de me dire que avec le temps, nous aurions pu enfin bâtir une relation plus importante. J'ai acquis en sagesse ces dernières années et j'étais prêt à passer sur certains de ses traits de caractères, maintenant c'est trop tard. Je me rends bien compte que malgré sa réserve, il m'a toujours aimé. Il était là quand j'avais besoin de lui. Il a sûrement souffert lorsqu'à l'adolescence je lui ai fais payer son absence de mots. Mais il ne m'a jamais rejeté, il s'est juste refermé un peu plus sur lui même. Mes discussions avec Cynthia et PJ m'ont amené à me rendre compte que si il n'était pas parfait, il a été un bon père pour moi.

Le pire c'est quand je rêve de lui, qu'il m'explique que non il n'est pas mort, c'était juste un cauchemar, il me propose de m'emmener au cinéma comme quand j'étais petit. Je me réveille prêt à dire à ma mère que c'était faux, puis la chape de plomb retombe sur moi quand je réalise que c'était seulement une expression inconsciente de mon désir. Et je crois que je commence à ne plus me rappeler de sa voix. Son odeur je la reconnaitrai et elle est encore présente dans la maison. Son image peuple mes souvenirs. Mais sa voix elle se dissipe petit à petit.

J'en ai parlé à Chloé, elle m'a dit que pour elle c'était la même chose. Il faut croire que nos cerveaux sont similaires, mais ça me fait peur.

Enfin aujourd'hui, c'est l'enterrement. Je sais bien que tout ne sera pas réglé, mais j'ai hâte que nous en ayons fini, ensuite le tourbillon devrait se calmer et je pourrais enfin essayer de reprendre un peu le contrôle de ma vie.

Tous nos proches nous ont rejoint à la maison. Chloé est là pour les accueillir, elle remplit parfaitement le rôle d’hôtesse qu'elle a choisit d'assumer. Nous avons convenu qu'elle restera à côté de moi pendant la cérémonie, surtout afin d'éviter les commérages. Mais elle repartira de son côté ensuite, je lui ai fais comprendre que j'aurais besoin de rester seul dans les jours qui viennent. J'ai ajouté que je la recontacterai quand je serais au clair avec moi-même. Elle s'est contenté de tristement acquiescer, ajoutant un je t'aime que je n'ai pas voulu entendre.

Lorsque nous arrivons à l'église la foule s'est rassemblée devant, attendant notre venue et celle du corbillard. La fureur me saisit lorsque j'aperçois PJ dans la foule. Il est au côté de sa mère, manifestement en train de se disputer avec elle. Je suis prêt à aller le voir pour faire un scandale, même si je sais que ce ni le lieu, ni le moment, mais sa présence à cette cérémonie est au dessus de ce que je peux accepter d'endurer. Mais lorsqu'il croise mon regard, je lis sur ses lèvres un « Désolé », puis après un dernier regard noir à sa mère, il s'éclipse en direction de sa voiture. Je ne sais pas ce qu'il est venu faire là. Peut-être accompagner Cynthia que j'aperçois seule à quelques mètres de là. Futilement, au vu des circonstances, je ne peux m'empêcher d'admirer sa silhouette mise en valeur avec sobriété par la robe noire qu'elle porte.

Je sers la main des amis que je croise et m'engouffre dans l'église, soutenant ma mère dans mes bras, suivi par la foule des personnes qui veulent rendre ce dernier hommage à mon père. Je ne peux m'empêcher d'être impressionné par la diversité de ceux qui sont là. En dehors de la famille, il y a des amis, à mon père, ma mère, mais aussi les miens, parfois leur famille, les collègues de travail, les coéquipiers du club de cyclisme de mon père, les membres de l'association de ma mère et j'en oublie. C'est étrange de se dire que toutes ces personnes ont été touché de près ou de loin par mon père pendant son existence. Je ne peux m'empêcher de me demander s'il y aura autant de monde le jour ou je disparaitrais.

Le cercueil pénètre enfin dans la nef et le prêtre commence son homélie. Je me laisse guider au rythme des chants et des prières. Vers la fin, je lis un petit texte que Chloé m'avait aidé à écrire, puis c'est le moment où la foule défile devant le cercueil, suivit d'une file d'embrassade pour ma mère et moi. Seul deux moments se distinguent :

Celui où Cynthia vient m'enlacer tendrement en me souhaitant bon courage et me dire de ne pas hésiter à la contacter si j'en éprouve le besoin. Elle ajoute mystérieusement :

-Tu auras peut-être des questions à me poser, maintenant je peux y répondre.

L'autre moment, je crois encore plus intrigant est celui où Mme Chapelier, ma patronne après m'avoir présenté ses condoléances, s'est mise en face de ma mère. J'ai vu de la colère, presque de la haine dans leurs yeux. Mme Chapelier s'est alors penché et a longuement murmuré quelque chose à l'oreille de ma mère. J'ai vu dans le visage de celle-ci, la colère céder à nouveau la place à la tristesse. Puis Mme Chapelier est repartie arborant un sourire de satisfaction totalement inapproprié dans ces circonstances. Ma mère m'a ensuite jeté de fréquents regards inquisiteurs pendant tout le reste de la cérémonie.

Elle y a mit un terme lorsque nous nous sommes rendus au cimetière pour faire nos derniers adieux. Il n'y avait à nouveau plus que la douleur de son absence dans ses yeux pleins de larmes.

Au moment où le cercueil descendait dans le caveau, j'ai senti la main de Chloé venir se glisser dans la mienne. J'ai regardé son visage nerveux, je me suis dit qu'elle cherchait maladroitement à me soutenir. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de la rejeter en relâchant sa main pour croiser les miennes devant mon ventre. Ses larmes ont doucement coulé. Puis mon père a disparu dans sa dernière demeure et tous nos proches nous ont suivis pour une dernière collation, afin que tout le monde puisse se détendre après ces moments éprouvants.

C'est surprenant, comme cette cérémonie a pu me faire du bien, ce moment partagé avec autant de monde, m'a apporté une force que je n'aurais pas pu imaginer avant. On sentait la tension se dissiper parmi les personnes conviées, des rires discrets se faisaient entendre. J'éprouvais même de la joie à voir certains amis, en sachant qu'ils étaient là pour moi. Ma mère au contraire ne semblait pas pouvoir quitter son chagrin, mes tantes l'entouraient pour la consoler. Puis à un moment tata Bernadette est venue me voir.

-Thomas, ta mère a besoin de rentrer, c'est trop dur pour elle. Tu veux la ramener, ou tu préfères rester encore un peu ici ?

-Je ne sais pas vraiment, ça ne te dérangerais pas de l'accompagner ?

-Non pas de problème, tu as bien le droit, de voir tes amis. Ne t'inquiète pas je vais prendre soin d'elle.

Le temps a ensuite très vite passé entre souvenirs de jeunesse plus ou moins lié à mon père remémoré par mes amis, ses frères, ses amis. Puis le temps des adieux est venu. Certains m'ont proposé de les accompagner pour aller boire un coup, mais j'ai préféré ne pas laisser ma mère toute seule trop longtemps, même si je suis sûr qu'elle aurait compris. Alors que je me dirigeait vers ma voiture, j'ai entendu Sa voix.

-Tu t'en vas Thomas ?

-Oui je retourne avec maman. Tu rentres avec la tienne ?

-Oui, à moins que tu ne veuilles que je vienne avec toi ?

Son regard suppliant me fait presque craquer. J'aimerais qu'elle soit là près de moi. Mais je ne peux pas l'accepter.

-Non, je serais mieux seul. Je te préviendrai quand je retournerais à l'appart. On pourra discuter. Tu en as parlé à quelqu'un ?

-Non pas encore, j'attendais, mais ce soir, je crois que je vais avoir besoin de le dire à ma famille et toi ?

-Non plus, j'attends que ma mère aille un peu mieux.

Ce visage que j'ai tant aimé, porte à ce moment là tout le chagrin du monde. Je ne peux pas la laisser dans cet état. Avant de partir je lui dis donc.

-Chloé

-Oui ?

-Je ne te l'ai pas dit, mais sache que j'ai beaucoup apprécié tout ce que tu as fait pour moi ces derniers jours. Je t'en remercie vraiment. Je ne te hais pas, tu comptes toujours pour moi. mais je ne peux pas te promettre quelque chose qui n'existe sans doute plus. J'ai besoin de temps. Prends soin de toi, je t'aime de toute façon, même si le sens du mot a changé.

Elle renifle et sèche ses larmes, avant d'ajouter :

Je t'aime aussi Thomas et pour moi le sens n'a pas changé. Prends soin de toi, j'attendrais ta décision.

Je la serre ensuite dans mes bras, puis m'éloigne en direction de ma voiture, pendant qu'elle retourne vers sa famille. Le cœur doublement serré, je rentre ensuite chez ma mère, où j'ai la surprise de la retrouver seule avec un café sur la table du salon, elle m'attendait manifestement.

-Tata Bernadette n'est pas restée avec toi ?

-Non je lui ai dit que je préférais rester seule. Thomas, j'ai besoin que tu me répondes. Je sais que j'ai été un peu aveugle ces derniers temps, mais mon chagrin ne doit pas me faire oublier que tu es là. Qu'est-ce qu'il se passe avec Chloé ?

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