Et si on s’oublie, j’espère que nos âmes se souviendront (1) - Partie 1

19 minutes de lecture

 Les semaines défilaient sans aucuns relâchements de la part de toute la famille. Maintenant ça faisait déjà trois semaines qu’elle leur avait dit et ils étaient tous occupés aux préparatifs. La tante de Rina ne venait guère, sa famille préparait le départ avec acharnement, commandant les domestiques de toutes parts. Les uns préparaient les malles, les autres mettaient de l’ordre dans les papiers ou organisaient les fiacres qui allaient les aider à partir. Les deux chefs de familles ne savaient plus où donner de la tête en essayant de faire embaucher leurs domestiques dans d’autres bonnes familles pour qu’ils n'aient pas peur du lendemain.
 Par ailleurs, Lyria non plus ne savait plus où donner de la tête, elles essayaient de se voir un maximum pour récupérer un peu de temps perdu et Rina se rendit compte qu’elles étaient plus proches que dans ses souvenirs, elle qui craignait qu’elles s’étaient éloignées.

— Rina peux-tu m’aider ?

— Donne-moi ça.

 Elle récupéra le carton que son amie lui tendait du haut de son escabeau.

— C’est lourd, qu'y a-t-il dedans ?

— Quelques bouquins et des choses fragiles.

 Elle posa la boite avec délicatesse sur le lit avant de passer son doigt sur les quelques livres qui trônaient là.

— Je ne savais pas que tu lisais.

— Je lis beaucoup moins que toi Rin’, je n’ai pas le souvenir de ne pas te voir avec toujours un livre à la main.

— Touché.

— Tu lis quoi cette fois ?

 Rina lança un coup d’œil vers sa lecture du moment qu’elle avait posée sur la petite console à l’entrée de la chambre.

— Je lis Pauca Mae de Victor Hugo, tu connais ? (2)

— J’en ai entendu parler, d’après certaines critiques il pourrait être un des plus grands auteurs de l’histoire.

— Il a perdu sa fille lors d’une noyade, les poèmes de ce livre parlent énormément de sa fille disparue. Il est d’une grande beauté, je te le conseille.

— Je te le piquerai quand tu l’auras terminé.

 Rina aida son amie à ranger ses effets personnels dans des cartons avec précautions pour que rien ne s'abîme durant le voyage jusqu’à chez eux. Entre les bijoux, les lettres qu’elle voulait garder ou bien les photographies, il y avait pas mal de choses.

— Mademoiselle Rina ?

 Une des domestiques de la maison venait de frapper et de pointer le bout de son nez dans la pièce.

— Oui ?

— Plusieurs lettres pour vous mademoiselle, je vous les pose sur la console près de votre livre. Je souhaitais vous informer par ailleurs qu’un domestique de sa Majesté l’Empereur viendra nous rendre visite au cours de l’après-midi.

— Parfait, je vous remercie.

 Quand elle se retira, Rina les regardaient d’un air suspect, tant et si bien que Lyria se mit à s’inquiéter.

— C’est grave ?

— Je ne sais pas, attends, continue de ranger, je vais voir.

 Bien évidemment, elles étaient au nombre de deux lettres, toutes étaient là sauf celle de son futur mari mais elle ne s’en formalisa pas. L’Empereur ne lui avait pas répondu mais comme l’avait dit la jeune servante, un de ses employés viendra s’entretenir avec elle aujourd’hui même. Elle ouvrit la première lettre, celle de son impératrice.

Très chère Rina.
J’ai reçu votre lettre il y a peu et j’ai fait au possible de vous répondre rapidement pour vous envoyer un oiseau tout aussi vite.
Je vous assure que je ferai en sorte que votre arrivée se passe au mieux. Le bateau qui vous a accompagné à l'aller va revenir à vos côtés pour que vous ne soyez pas déstabilisé et sur un terrain connu. Rappelez-vous, cette fois-ci il y aura d’autres voyageurs, alors prenez garde.
Je vous avoue être impatiente de voir l’échange avec l’Empereur finaliser se pour que nous puissions dormir sur nos deux oreilles si je puis dire.
Si vous avez la moindre requête, faites-moi en part.
Respectueusement,

Lexan Yvans,
Impératrice d’Astril.
10 février 1899.

 Nous étions le vingt-deux février, la Reine avait dû envoyer un oiseau rapide pour avoir déjà une réponse quelques jours après son envoi. Elle reposa sa lettre et prit celle de son frère avec beaucoup plus d’appréhension, elle allait enfin savoir si Marius lui avait menti. Cette incertitude lui tournait dans la tête depuis des semaines, à chaque fois qu’il rendait visite à sa famille, elle se sentait presque épiée par cet homme chaque fois et ça lui était très désagréable.

Ma chère sœur.
Nous allons fort bien, rassure-toi tout va au mieux.
Nous sommes très heureux de savoir que tu nous reviens dans peu de temps, Mino en est surexcité je t’assure, pardonne-moi mais je ne vais pas pouvoir m’étaler sur le sujet et en venir à ta demande.
J’ai mené ma petite enquête grâce à des contacts de confiance, j’ai vérifié de moi-même sur le terrain et je peux être formel. Aucun Marius Gling ne réside à Hiisop.

 Son cœur manqua un battement, aucun ? Elle continua sa lecture malgré ses mains qui se mirent à trembler.

La seule grosse entreprise familiale qui a un grand homme comme ta description est l’entreprise de la famille de Kizune, l’entreprise Siinop-Sudeig qui gère une grosse partie de la finance du royaume. Je me suis renseigné sur les cousins de Kizune, apparemment il n’en a qu’un de proche qui travaille avec lui. Théobald de Sudeig, vingt-quatre ans, marié et ayant un très jeune fils. D’après mes renseignements il est en déplacement mais personne ne sait où c’est, peut-être à l’extérieur du royaume mais vu la conjoncture actuelle ça me parait suspect et peu plausible. Dans le moindre doute, prend garde à toi et ne tente pas le diable.
Je ne plaisante pas Rina, qui sait ce qu’il pourrait te faire s’il est envoyé par son cousin ? Je ne te dis pas cela par haine mais bien par soucis de ta sécurité. Reste toujours accompagné et veille sur Lyria.
Je te fais confiance pour ne pas attiser la colère des Dieux.

Je t’aime.
Tin.

 Les mains de Rina tremblaient plus que de raison. Non c’était impossible, il n’aurait pas envoyé quelqu’un jusqu’ici pour la tuer ? C’était insensé ! Comment aurait-il pu quitter le Royaume avec les tensions de l’empire ? Mais au moins elle était sûre d’une chose, même s’il avait menti sur son nom, il n’avait pas menti sur le lien avec Kizune, sur sa femme ou même sur son fils.

— Alors c’est comme ça ? Pensa-t-elle.

 Une boule d’angoisse et de colère montait dans sa gorge.

— Rina ? Tu vas bien ?

— Oui, ne t'en fais pas.

 Elle adressa un sourire bancal à son amie avant de replier rapidement son papier, elle ne devait rien voir, ça pourrait la mettre en danger. Elle se rendit rapidement compte qu’elle devrait piéger ce faux Marius avant qu’il ne la prenne en tenaille, ce n’était qu’une question de temps, surtout si ça devait être fait avant son départ.

— Tu es toute pâle.

— Ne t’en fais pas, je manque juste de sommeil avec tous ces préparatifs.

— Veux-tu que je demande à ce qu’on t’apporte le dîner dans ta chambre pour que tu dormes un peu ?

— Tu pourrais faire cela ?

— Bien sûr, je vais terminer, tu m’as déjà bien aidé, vas-y.

— Merci.

 Rina embrassa Lyria sur le front, ce qui eut le don de la faire rougir mais elle ne s’en formalisa pas, trop épuisée et trop paniquée pour chercher à comprendre.

— Repose-toi bien.

 C’est avec un sourire timide qu’elle referma la porte derrière elle, le souffle à moitié court.

— Bonsoir Rina.

— Par tous les Dieux !

 Elle sursauta, elle avait été effrayée par la voix, elle n’avait senti personne venir et bien entendu c’était la seule personne qu’elle ne devait pas voir.

— Ma…Marius ? Je ne savais pas que vous étiez ici.

— Je viens d’arriver, j’allais au bureau de votre grand-père, vous allez bien ?

 Il fronça les sourcils, sûrement alarmé par la pâleur et les tremblements de la jeune fille qui tentait de reprendre contenance.

— Je ne me sentais pas très bien, j’allais me reposer dans ma chambre.

— Souhaitez-vous que je vous accompagne ? J’ai cru comprendre que c’était sur mon chemin.

— Ne vous formalisez pas, je dois récupérer quelque chose avant, j’irais après.

— Comme vous voudrez, je vous prie de m’excuser.

 Et c’est avec une légère révérence qu’il s’effaça plus rapidement que prévu, elle avait pensé qu’il resterait à en être insupportable mais elle s’était trompé. Peut-être qu’il ne souhaitait pas attirer son attention après tout. Elle se hâta d’aller dans sa chambre en prenant garde de l’éviter au maximum, si ce que disait Tin était vrai, elle devait le découvrir par elle-même et rapidement.

 La servante lui apporta son dîner assez tôt comme Lyria le lui avait demandé, selon elle sa famille n’avait pas trop posé de questions, pensant à un rhume passager.

— Je vous remercie.

— Reposez-vous mademoiselle et dites-moi si vous avez besoin de quelque chose. Par ailleurs, votre grand-père m’a dit de vous informer que demain à l’aube vous devrez partir. Le domestique de sa Majesté est venu pendant votre repos et votre audience est fixée pour huit heures demain matin.

— J’avais oublié, sans problème j’y serais.

— Voulez-vous que je vous aide à vous changer avant d’aller vous coucher ?

— Non merci, je m’en occuperais après mais c’est gentil de me proposer.

 Elle la salua d’un signe de tête avant de se retirer au moment où Rina soupira un bon coup.

— Tout ça est bientôt terminé, espérons que l’empereur ne cherche pas de problèmes inexistants.

 Elle arriva sans trop de difficulté à plonger dans le sommeil, la déesse Moonia n’avait pas voulu la retarder et lui promettait un sommeil réparateur.

— Pardon ? Comment osez-vous ?

 Rina s’était rendue au palais impérial le matin même, elle avait déjà eu du mal à entrer dans le palais avec l’épidémie qui sévissait mais en plus l’Empereur se moquait d’elle.

— Vous m’avez très bien entendu mademoiselle, je ne peux accepter l’accord.

— Par le simple fait que je sois une femme, vous ne voulez pas que je quitte le pays et vous acceptez la guerre par soucis de genre ! Faites-vous les mêmes commentaires aux personnalités de votre Cour ? Permettez-moi de vous dire que votre vision des choses est assez étriquée, votre Majesté.

— Si c’était le Roi, je ne dis pas, mais tout de même, vous n’avez aucune importance dans votre empire, pourquoi vous a-t-elle envoyée ? Vous n’êtes même pas chevalière.

— Vous voulez vraiment connaître mes connaissances et mes appartenances ?

— Avec plaisir, voyez-vous, je n’ai aucun renseignements sur vous, ce qui est très peu dans mes habitudes.

 Elle fulminait presque littéralement, il osait remettre en cause ses capacités sous le simple prétexte que c’était une jeune femme qui se présentait à lui. Elle n’avait pas rencontré beaucoup de souverains dans sa courte vie mais lui il lui avait donné sa dose. Elle comprit qu’il comptait sur son physique et son charme qui l’avantageait auprès des aristocrates qui trônait autour de lui, ça lui avait donné une tête énorme. Ses cheveux bruns et ses yeux bleus perçant le rendaient très séduisant et il ne devait pas utiliser l’attraction qu’il avait très rarement.

— Je suis Rina Grintofk, fille de Jeanne Grintofk capitaine dans l’armée de l’empire d’Astril et proche de sa Majesté l’Impératrice. Petite-fille de Minas Tryni, un des meilleurs botanistes de votre empire. Fiancée de Kizune Siinop dirigeant d’une des plus puissantes entreprises de finance d’Astril. Je suis moi-même la détentrice de Zluna, démone dévastatrice qui a sévi il y a une dizaine d'années. Je ne suis peut-être pas une chevalière mais je maîtrise assez bien mes pouvoirs donc je ne pense pas avoir besoin de me plaindre sur le sujet. Devrais-je allonger la liste d'avantages ?

 Elle détestait montrer une valeur par les connaissances et non par les compétences, mais elle ne pouvait pas se laisser cracher dessus par l’Empereur sans réagir juste par le prétexte qu’il était supérieur hiérarchiquement parlant.

— De la même famille que Jeanne et Minas ?

 Il semblait consterné, comme si un détail lui échappait, quelque chose qu’il n’avait pas remarqué.

— Bien sûr, elle est mariée à Jonas Grintofk, lieutenant dans notre armée, pourquoi ?

 Elle avait encore un peu de mal à desserrer les dents tant il l’avait énervé, mais elle ne devait pas oublier sa position, si elle commettait une chose grave elle aurait un châtiment pire que l’exil.

— Je n’avais pas fait le rapprochement.

— Vous les connaissez ?

 Il s’était fait plus doux mais elle restait sur la défensive, attendant un autre reproche.

— Bien sûr, je suis déjà allé moi-même à Astril il y a quelques années, c’est très joli. Je les avais rencontrés lors d’un banquet donné par l’Impératrice Lexan. Ils assuraient une partie de sa protection si je ne m’abuse.

— C’est possible, mes parents sont des proches de sa Majesté en dehors de leur rôle de protection. Me prendrez-vous au sérieux maintenant ? Je n’ai rien fait de remarquable et je dois encore prouver ma valeur mais essayez de ne pas me dénigrer sur le simple fait que je suis une femme je vous prie.

— Ai-je le choix ?

— Pas réellement, votre Majesté.

— Soit alors.

— Avez-vous quelque chose à redire sur le traité ? Des arrangements, modifications ou des ajustements ?

 Il ressemblait à un enfant de dix ans, à tout contredire pour rien et c’était exaspérant. Elle savait qu’il devait avoir perdu sa mère, ancienne Impératrice de l'empire, mais ce n’était pas une excuse. Elle pensait aussi au fait qu’on le poussait grandement à avoir une femme, pour la stabilité disait-on alors sa vision de la gent féminine ne devait pas être très rose.

— Je voudrais juste qu’on ait la possibilité d’augmenter les capacités de nos deux armées de dix pour-cent.

— Pourquoi cela ?

 Elle notait tout ce qu’il disait, elle ne pouvait pas écrire sur un papier officiel.

— J’ai entendu dire qu’une organisation prenait place dans un pays au-delà de l’océan. Je veux signer cet accord qui me parait juste alors je dois signaler ce détail à votre dirigeante. Je ne connais aucunement la potentialité des troupes là-bas mais si ça venait à se concrétiser, autant être prêt.

— Comme vous voudrez, sa Majesté n’y verra aucune objection, je pense.

— Mis à part ça tout a l’air correct, on ne touche à aucune colonies et territoires de l'autre et je vous laisse repartir.

— Je suis étonnée.

— De ?

— Je pensais que vous auriez beaucoup plus de requêtes à nous imposer.

— Non, je sais que votre souveraine quelqu’un de juste. Elle tiendra sa parole.

— Je vous le garanti.

 Elle avait tout noté sur son parchemin, il ne manquait plus que la signature.

— Votre Majesté, dans notre pays nous avons mis au point ceci.

 Elle sortit un petit parchemin brillant d’un sac qu’elle avait apporté avec une plume à encre rouge.

— Je ne peux vous faire signer ce traité au vu des modifications mais avec ceci, si vous signez, nous pourrons glisser votre signature sur le nouveau traité.

— Et utiliser ma signature pour tout et n’importe quoi ?

 Et voilà qu’il recommençait à s’énerver avant les explications !

— Non, on ne peut glisser la signature qu’une seule fois, on appelle ça une signature par poroscopie, voyez-vous même.

 Elle prit un nouveau parchemin vierge, sur le brillant, elle apposa une signature rapide avec la plume spéciale. Elle mit le brillant à côté de celui qui n’avait encore rien dessus et avec la plume, elle fit glisser la signature d’un papier à l’autre, celle-ci s’apposa parfaitement sur le papier vierge comme s’il avait été inscrit directement. Quelques secondes après, sous le regard ébahi de l’Empereur, le papier brillant s’effrita dans les mains de Rina pour disparaître complètement.

— Et il n’y a pas de retour en arrière, la signature est entièrement détruite.

— Impressionnant…

— Êtes-vous d’accord ?

— Avec ceci, oui, mais à une seule condition.

— Dites-moi.

— J’exige que quelqu’un vienne avec vous à Astril et qu’il voit de ses propres yeux la destruction de la signature. Je veux vous faire confiance et croire en votre bonne foi, mais un procédé connu seulement chez vous peut être dangereux pour nous.

— Je comprends, j’avertirai l’Impératrice sur le fait que quelqu’un nous accompagnera et tout ira bien.

 L’imposant dirigeant apposa sa signature sur un autre papier que Rina lui tendit avant qu’elle ne le mette dans une pochette spéciale pour ne pas risquer que la signature glisse sur une quelconque matière.

— Normalement, vous deviez venir la veille de votre départ ? Est-ce si tôt ?

— Non Majesté, nous souhaitons partir aux alentours du trois avril. Je souhaitais vous voir rapidement pour terminer le traité et enlever un préparatif de plus. C’était surtout si nous devions mener une correspondance avec sa Majesté, le délai est assez long.

— Je comprends, je vais rechercher une personne de confiance pour vous accompagner, vous pouvez disposer.

 Rina se leva et s’inclina pour le remercier et le saluer avant de s’en aller. Quel homme lunatique ! Il pouvait avoir la gentillesse et la compréhension de l’Impératrice mais aussi la haine et la froideur du Roi, il était incompréhensible. 

 De retour dans sa maison de substitution, elle devait écrire à l’Impératrice pour la prévenir d’un accompagnant de plus mais en attendant elle s’était assise dans un fauteuil, complètement épuisé.

— Alors Rina, vous avez vu notre Empereur capricieux ?

— Ah bah ça pour le voir, je l’ai vu grand-mère.

 La femme de Minas était une petite brune à lunette et à l’air chaleureux, elles prenaient plaisir à discuter ensemble.

— Il a posé problème ?

— Non du tout, mais je suis d’accord sur le fait qu’il est capricieux. Nous avons réussi à nous entendre et c’est déjà ça. Je vais prévenir Sa Majesté, elle sera heureuse de savoir qu’elle n’a plus besoin de s’en faire pour le moment.

— Vous êtes tellement mature pour votre âge.

— Ai-je le choix ?

 Elle ne prenait pas vraiment ça pour un compliment, elle n’avait pas le choix d’être plus mature que son âge. Avoir un démon dans le cœur n’aidait pas à vivre comme les jeunes de sa génération qui prenaient la vie comme un souffle frais sur la peau imprégnée de leur jeunesse.

— Envoyez votre lettre et après allez manger un petit truc, nous avons presque terminé nos cartons.

— Déjà ? Mais nous ne pourrons pas partir avant le trois avril grand-mère, le bateau ne sera pas disponible avant.

— Nous le savons, mais nous voulons que tout soit réglé, donc nous sommes aussi rapides que possible.

— Je comprends, pardonnez-moi grand-mère, il faut que j’envoie Zlune au plus vite.

— Vas mon enfant.

 Dans le couloir qui menait aux chambres il semblait avoir un chahut dans la sienne, des rires mais aussi des piaillements d'oiseaux qui étaient assez inhabituel, elle fronça les yeux et se hâta d’ouvrir la porte.

— Agnès !

 Pas de cousine mais une amie précieuse.

— Lyria ?

 Ladite jeune femme se tourna vers elle avec un grand sourire et Zlune sur le bras, elle soupira ce qui affaissa ses épaules un coup.

— Tu m’as fait peur, je croyais qu’Agnès lui faisait vivre un enfer.

 L’oiseau s’envola pour se poster sur l’épaule de Rina en demandant des caresses, ça faisait un moment qu’elle ne s’était pas posée avec lui dans le seul but de le câliner.

— Je ne le martyrise pas, promis.

 Elle leva les mains en signe d’innocence avec sa mine angélique.

— Ne t’en fais pas, je ne suis pas du genre à martyriser le fidèle compagnon de… mon amie.

— Quoi ?

 Elle avait l’esprit ailleurs, prêtant attention à la conversation avec difficulté.

— Non rien, tu vas l’envoyer où ?

 Les joues de Lyria viraient au pourpre, ce qui interrogea Rina qui la regardait comme si elle venait d’une autre planète.

— Tu es malade ?

— Quoi ? Pourquoi ?

— Je ne sais pas, tu es rouge comme Miroine. (3)

— Ah… Ah bon ? Non, je dois juste avoir un peu chaud, ce n’est rien.

— Si tu le dis, je vais l’envoyer à Astril, je dois me dépêcher.

 Elle avait changé de sujet, après tout ça ne semblait pas bien grave et elle n’avait pas le temps de s’y consacrer.

— Veux-tu que je te laisse ?

— Nullement, ça ne prendra pas longtemps, je fais ça et je suis à toi.

 Elle s’installa sur son bureau tandis que Zlune voleta de nouveau vers Lyria qui le caressa le regard dans le vide mais Rina ne le remarqua pas tout de suite.

Chère Impératrice.
Je viens de terminer mon entretien avec Sa Majesté l’Empereur d’Econne et ce fut une réunion productive. Le traité est accepté avec seulement une modification.
Il aimerait une augmentation de dix pour cent de la capacité de l’armée des deux empires, il aurait entendu parler d’une organisation suspecte qui se trouverait au-delà de l’océan des Périlès. J’ai obtenu sa signature par poroscopie nous pourrons donc modifier cela si vous êtes d’accord.
À ce propos, l’Empereur souhaiterait qu’une personne supplémentaire vienne avec nous pour vérifier qu’on ne prépare rien avec la signature, même si je lui ai montré qu’elle s’auto-détruisait. Bien entendu, je comprends ses craintes, vu que c’est une exigence, je crains que ce ne soit pas possible de faire autrement. Ma famille vient par ailleurs de m’informer que les préparatifs sont déjà en ordre, ne vous en faites pas tout se passe pour le mieux, au moindre problème je vous informerai aussitôt.
N’hésitez pas à me contacter si vous avez le moindre besoin.
Avec tout mon respect.

Rina Grintofk.
23 février 1899

— Et voilà, c’est fait, Zlune je te prie.

 Elle n’avait pas levé les yeux et pourtant Zlune se posa sur le perchoir juste à côté d’elle, la patte légèrement levée pour recueillir ce qu’elle attendait de lui.

— Je demanderai à un autre oiseau, la prochaine fois, que tu te reposes un peu.

 Il manifesta son refus par des piaillements rageurs mais il se calma quand elle lui caressa la tête du bout du doigt. Elle accrocha le message où elle avait apposé un sortilège, les données étaient confidentielles, hors de question que quelqu’un les trouve. Zlune s’envola juste après par la fenêtre qu’avait ouvert Lyria au préalable. Rina le suivi des yeux jusqu’à ce qu’il soit trop loin avant de regarder son amie qui était à deux pas d’elle.

— Tu verras nous serons bientôt à la mai…

 Des lèvres s’étaient posées avec empressement sur les siennes, son esprit ne comprit pas rapidement mais dès qu’elle eut saisi ce qui se passait elle recula, des larmes pleins les yeux.

— Que…

 Lyria s’était reculée comme si elle avait été piquée au vif par ce refus.

— Pardonne-moi, je n’ai pas réfléchi.

— Depuis quand ?

 Elle avait reculé pour s’accouder au bureau, ça ne la dégoutait pas mais elle avait la nausée. Le visage de Kizune raisonnait comme une sentence irrévocable devant ses yeux.

— Depuis longtemps j’imagine ?

 Elle tritura ses doigts, complètement gênée par la situation.

— Que… Que vais-je lui dire ?

 Rina se parlait à elle-même, l’idée d’avoir trompé l’homme qu’elle aimait la tuait presque littéralement. La colère ne la quittait plus depuis quelque temps mais elle avait un honneur, une fierté qui l’empêchait de bafouer son compagnon avant d’avoir réglé cette affaire.

— Qui ça ?

— A Kizune bien évidemment !

— Tu… tu m’en veux ?

— Je…

 Elle paraissait paniquée à cette idée, son visage le trahissait mais Rina ne put répondre. La porte était entrouverte et elle avait entendu quelqu’un.

— Si ma tante n’est pas là, qui est à la maison ?

— Je… je crois qu’il n’y a que nous et Marius, ils sont partis régler des affaires en ville normalement.

— Par tous les Dieux.

 Elle passa une main sur son visage, si c’était lui c’était très mauvais.

— Je vais voir.

— Rina…

 Elle avait murmuré trop bas pour qu’elle entende avant qu’elle ne sorte de la pièce. Rina ne pouvait pas faire face à ça, pas maintenant, surtout si la personne qui était là était envoyée par Kizune lui-même. Malgré le fait qu’elle chercha au pas de course dans toute la maison, elle ne trouva pas l’homme qu’elle voulait.

— Et merde !

 Le côté de son poing frappa un des murs avant qu’elle ne se glisse contre celui-ci.

— C’est vraiment la merde…

 Entre Lyria et Marius, elle ne savait plus quoi faire, elle avait réellement été surprise par son avance, elle ne l’avait pas vu venir. Elle pensait que son amie était encore amoureuse de son défunt fiancé mais apparemment non et depuis un moment. Que devait-elle faire ? Est-ce que Lyria s’était laissé débordée ou était-elle sérieuse ? De son côté, elle aimait Kizune même si leur histoire n’était pas toujours très rose, il ne méritait pas qu’elle le trompe surtout que leur mariage devait arriver dans le courant de l’année. Elle n’osait même pas penser au scandale que ça ferait si elle rompait les fiançailles.

— Façon niveau scandales je suis une experte.

 Elle parlait à elle-même comme souvent, elle se rendait bien compte que penser à une rupture de fiançailles ne voulait rien dire de bon sur les sentiments qu’elle éprouvait mais elle n’avait jamais songé à partir avec quelqu’un d’autre, comme si elle s’était résolue à accepter ce destin douteux. De toute manière, il la quitterait sans doute s’il l'apprenait, surtout si on les avait surprises. Elle n’avait aucune envie de penser à ça, elle s’évada donc dans le jardin, récupérant de quoi lire et elle alla dans l’antre du nouveau printemps qui arrivait.

— Arrête je t’en supplie, arrête !

— Jamais tu m’entends, espèce de petite peste.

— Kizune je t’en prie, pas elle !

 Elle se réveilla dans un cri, en sursaut, en sueur et des larmes dégoulinant de ses yeux bleus. Elle venait de voir Kizune faire du mal à Lyria et ça l’avait atrocement déchiré.

— Ce n’est rien, elle va bien, il n’a rien fait. Il ne fera rien de tel.

 Son souffle avait beau être court, elle essayait de se raisonner tant bien que mal même si depuis quelque temps elles ne se parlaient plus beaucoup. Elle se roula en boule, entourant son ventre de ses bras en lâchant un râle de souffrance en essayant de respirer tant bien que mal. Les douleurs à cause de Zluna se multipliaient et lui faisaient atrocement mal, ce qui lui faisait faire d’atroces cauchemars.

(1) Citation de Léa Jeunesse, écrivaine du XIXe siècle.

(2) IV livre du recueil de poèmes « Les contemplations » de Victor Hugo écrit après la mort de sa fille Léopoldine, publié en 1856.

(3) Elle est une déesse de la nature autant pour les Sokl que pour les humains « normaux », quand on dit qu’on est rouge comme Miroine ça veut dire comme une pivoine car elle est réputée pour être toute vêtue de rouge. Expression qui signifie que notre visage vire au rouge par la gêne par exemple.

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