L’âme de la famille c’est le nom que l’on porte pour l’honorer (1) - Partie 3

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Le jeune garçon claqua ses deux talons comme par réflexe de l’armée, comme quand il s’adressait à un supérieur, et suivit son père de près.Pendant ce temps dans le jardin, Rina suivait sa mère sous la douce pluie de flocons jusqu’à sa serre où elles pénétrèrent pour se réchauffer du grand froid.

- C’est à eux les tombes dehors ?

Jeanne avait desserré les dents, elle paraissait profondément contrariée sans que Rina n’en comprenne la raison, de plus son ton était d’un froid lacérant. Jeanne s’appuya sur un pan de la serre en observant sa jolie montre à gousset en argent, contrairement à Tin la sienne avait un cadran d’un bleu très clair et transparent avec des écritures argentées, elle était d’une grande beauté. Rina quant à elle prit un de ses pots en terre cuite pour occuper ses mains distraites. Sa mère n’avait pas vraiment posé une question mais elle voulait y répondre.

- Oui maman.

- Bien.

C’était tout ? En un mot elle semblait vouloir passer à un autre sujet ce qui frustrait profondément la jeune fille, mais bon, après tout elle en avait peut-être déjà parlé avec Tin et elle devait penser qu’elle voulait clore le sujet qui était sans doute douloureux.

- Comment as-tu trouvé la « recette » pour tes frères ?

- Par des essais et des manuscrits.

- Des manuscrits ?

- Oui ceux-là regarde…

La jeune fille se déplaça de peu et tira un tiroir et en sortit plusieurs morceaux de parchemins, tous griffonnés par des croquis de fleurs, d’écritures, de multiples explications sur la fleur en elle-même ainsi que sur son utilisation et ses bienfaits médicaux. Quand Rina les tendit à sa mère, elle vit que ses yeux s’étaient écarquillés, comme si elle ne devait en aucun cas posséder cela.

- Où les as-tu trouvés ?

- Je sais plus, dans un coffre dans le grenier de ma chambre je crois, pourquoi ? J’ai ça depuis longtemps.

- Ce sont des écrits de ton grand-père…

- Depuis quand grand-père Andrew est ami avec les fleurs ? Il est plutôt avec les animaux non ?

Rina était étonnée, son grand-père paternel possédait une très grande ferme mais elle n’était pas convaincue de ses compétences en la matière.

- Je te parle de mon côté.

Dans sa vie elle avait juste connu le côté paternel de sa famille, mais jamais au cours de sa petite vie elle n’avait entendu parler d'une famille de ce côté-là.

- Pardonne moi maman mais je savais pas qu’ils étaient encore en vie.

- Bien sûr que si ! Mais ils habitent tous en Econne.

- En Econne ? Mais c’est si loin...

Son ton s’était fait implorant, comme si elle souhaitait sortir d’un mauvais rêve. Elle ne savait pas si elle devait être heureuse de trouver un nouveau bout de famille, ou triste et en colère de n’avoir rien su.

- Pourquoi ne nous avoir rien dit ?

La mère de Rina soupira de douleur, elle savait qu’un jour cette discussion allait arriver et elle n’aurait pas aimé l’avoir maintenant dans ces circonstances, c’était aussi encore très douloureux.

- On ne vous a rien dit par mesure de sécurité, il est là-bas en exil Rina. A la base il y allait seulement pour des recherches, l’Econne est reconnu pour ses qualités en botanique contrairement à Astril où nous sommes connus pour nos incantations et nos sortilèges.

- En... exil ? Qu’a-t-il fait ?

- Il a aidé des Jiklo… Normalement toute sa famille devait le suivre mais moi je suis resté parce que j’étais mariée et que partir renforcerait un manque de sécurité pour l’empire.

Rina vit que les yeux de sa mère s’étaient embués, elle comprenait soudain pourquoi elle ne voulait pas que sa fille aide ces gens sans pouvoirs, la perspective de la voir partir si loin la terrifiait.

- Il a aidé qui maman ? On connaît cette personne ?

- Il en a aidé plusieurs mais il y en a une oui, toi surtout tu l’as très bien connue.

Rina la regardait, choquée, elle se mit à réfléchir et ne comprit pas l’allusion.

- Mais maman ?

- Hm ?

La femme aux cheveux bruns s’était posée sur un tabouret de la serre et avait déposé sa tête au creux de ses mains, elle semblait ailleurs avec sa mine triste.

- A part vous quatre je ne connais personne, surtout en Jiklo.

- Réfléchis ma fille, réfléchie.

Rina se mit sur un des tabourets libres et se mit à réfléchir et à énumérer son entourage à voix basse tout en les comptant sur ses doigts.

- Alors euh... il y a Mino, toi, Papa, Tin et Tessa...

- Continue sur Tin et Tessa.

La jeune fille suivait les indications de sa mère en étant pas réellement convaincue. Pourquoi eux ?

- Tin et Tessa ? Disons que mise à part que Mia est une Jiklo comme Tessa je ne vois pas le rapport ?

- Ils ont une personne en commun qui n’est pas Mia. Réfléchie bien bon sang !

Rina se creusa davantage la tête face à l’énervement imminent de sa mère, qui était cette personne ? Il y avait Mathias mais si c’était lui ils seraient revenus depuis le temps et le rapport avec Tessa ? Tessa, Tessa ? Lyria ! Mais bien sûr !

- Attends maman tu me parles de Lyria ? Quel serait le rapport avec lui ?

- C’est pour elle que ton grand-père est en exil depuis si longtemps. Mais bon même si je te l’accorde il voulait y habiter bien avant mais ce n’était pas un exil à l’origine.

- Mais pourquoi ?

Lyria Mulligan était la sœur adoptive de Tessa, la meilleure amie d’enfance de Rina. Elle se voyait régulièrement quand elles habitaient encore au village. C’était une jeune fille adorable et vraiment jolie et Rina l’appréciait beaucoup. Elle était plus petite qu'elle en taille et elle était sa cadette d’une année. La jeune femme avait deux ans de moins que Mathias et elle était fiancée au meilleur ami de Tin depuis environ six mois avant sa mort, il y a presque deux ans maintenant. Elle avait été dévastée par la nouvelle ce jour-là. La famille Grintofk l’avait hébergé pendant quelques jours, le temps de l’enterrement et Rina pensait qu’elle était repartie au Pingnal en même temps que sa sœur car elle ne l’avait jamais revu.

- Pourquoi il la protégeait-elle ? Pourquoi pousser cela à un exil ?

- Parce qu’à l’époque où Mathias était encore parmi nous personne n'osait l’attaquer tu penses bien ! Tout le monde connaissait son amitié avec ton frère et vu que Lyria était sa fiancée... ils pouvaient plus facilement l’atteindre après sa mort tant elle était vulnérable par le fait qu’elle était meurtrie et que sa famille, après cette tragédie lui avait tourné le dos pour ne pas subir les représailles des villageois. C’est une des causes de leur départ pour le Pingnal.

La jeune femme accumulait les informations méticuleusement, elle comprenait mieux les lettres de Tessa à présent, ces parties qui autrefois lui paraissait floues. Rina dégagea son fin visage de ses cheveux et releva son regard sur celui de sa mère qui la regardait à présent.

- Pourquoi mon grand-père l’a prise sous son aile ? Pourquoi n’as-t-elle pas habité avec Tessa ? Et surtout pourquoi on ne le savait pas ?

Jeanne faisait parcourir son regard autour d’elle. La serre était grande, constituée de murs de bois avec de nombreuses étagères qui portaient de nombreux pots en terre cuite ainsi que des plantes et des outils de jardinage que Rina utilisait très souvent. Une délicieuse odeur régnait, cela donnait une atmosphère rassurante pour la jeune fille. Elle avait été construite à la construction du manoir il y a plusieurs siècles mais elle avait été restaurée quand la petite fille eut huit ans.

- Bien sûr que si tu devais être au courant par Tessa mais vu que nous n’en parlions pas tu n’as pas dû comprendre la chose. Disons que… il est comme toi, à toujours défendre les Jiklo et donc quand Mathias est mort et que Lyria s’est retrouvé sans réel domicile il lui a proposé de venir dans sa maison en Econne mais c’était contraire aux principes de l’ancien empire. Il était déjà en exil depuis longtemps mais ça c’était la goutte de trop pour l’empereur. Elle ne pouvait rester ici dans un village chargé de souvenirs pour elle, regarde comment Tin en a souffert alors imagine elle… et pour répondre à ta deuxième question, Tessa ne pouvait pas la prendre avec elle. Ses parents lui avaient tourné le dos à l’époque et Tessa était encore chez eux tu te rappelles ?

Rina hocha la tête positivement, elle se rappelait d'une lettre où Tessa lui avait expliqué qu’elle ferait tout pour réussir ses premiers examens pour partir de chez ses parents et enfin accueillir sa sœur.

- Ce qui va bientôt se faire non ? Tessa vient d’entrer en première année, elle devait partir de chez elle pour vivre indépendamment.

- Normalement oui c’est cette année qu’elle devrait aller dans une autre ville, vers mars je crois mais je ne sais si elle pourra l’accueillir si rapidement

- Mars tu dis ? Nous sommes en quoi là ? Décembre ?

Jeanne regarda sa montre et regarda la date exacte sur le cadran.

- Oui, pourquoi ?

A vrai dire elle ne savait pas trop, elle avait une idée qui fleurissait dans sa tête mais elle n’était pas sûr que sa mère accepterait réellement cela.

- Tu penses que c’est possible que j’aille là-bas ?

La mère de Rina tourna vivement son regard vers elle comme si elle avait dit la pire des absurdités.

- Comment veux-tu y aller et surtout pour faire quoi ?

- Je ne sais pas moi, en train ou même en bateau ? Je veux rencontrer mon grand-père et aider Lyria !

- Aider Lyria ? Comment ça ?

- Maman, ça fait si longtemps que je ne l’ai pas vue... je veux être utile pour ma meilleure amie aussi. Si je peux trouver un moyen de la protéger et à grand-père de revenir ça n’en sera que bénéfique, tu ne penses pas ?

La femme se redressa sur son tabouret de bois et explora cette idée, elle avait peur. Sa fille n’avait jamais quitté la région mais en même temps sa demande de voir ce grand-père inconnu était légitime et surtout la perspective de revoir son père la tentait tellement. Elle pourrait aussi revoir Tessa, ça allait faire presque un an qu’elle n’était pas venue leur rendre visite, et elle savait très bien que sa fille en souffrait beaucoup.

- Je… Je ne sais pas Rina c’est tellement loin. Je pense qu’effectivement ça peut se faire, j’en parlerais avec ton père après le repas si tu y tiens vraiment mais…

- Fais-moi confiance maman, imagine si c’est possible !

- Je te redirais cela, mais ça sera un très long voyage tu en a conscience ? Je serais obligé d’avoir l’accord de l’impératrice, tu ne pourras pas partir comme ça.

- Oui je sais bien maman, l’Econne est un empire lointain mais j’y arriverais ! Si on m’en donne les moyens je peux le faire.

Rina était étonné que sa mère accepte si docilement ce n’était pas quelque chose que tu prenais à la légère. Jeanne se leva en époussetant son pantalon de treillis et se dirigea vers la porte de la serre qu’elle ouvrit au moment où Rina s’avança vers elle. Sa mère ne disait mot, elle était abasourdie à la fois par les convictions de sa jeune fille mais surtout par sa ténacité.

- Rentrons-nous verrons cela plus tard quand j’en intimerais ton père, je le ferai au plus vite.

L’adolescente hocha la tête et suivit sa mère d’abord à la sortie du petit bâtiment mais aussi à travers le grand jardin qui longeait le manoir pour, par la suite, découvrir les mets du déjeuner.

Le repas venait de se terminer. Repus, la famille discutait joyeusement autour de la grande table familiale. Plusieurs fois Rina avait vu ses parents parler à voix basse, de sorte que personne d’autre n’entende la conversation, elle se persuadait en essayant de ne pas trop espérer que sa mère parle de son projet de partir en Econne dans les plus brefs délais. Mais la jeune fille pensa surtout qu’avant le repas elle avait eu grandement faim mais là elle montra son désaccord en refusant une énième part de gâteau au chocolat.

- Oh non je t’en prie Mino c’est la deuxième que je termine veux-tu que je m’étouffe ou quoi ?

- Qui sait ?!

En affichant son plus beau sourire face à cette réplique il abandonna le fait de resservir sa sœur et il commença à débarrasser la table non sans utiliser ses fabuleux pouvoirs ! Les petites assiettes voletaient à travers la pièce pour ensuite se déposer dans l’évier et enfin se laver elles-mêmes. Pendant ce temps Jonas expliquait à son fils aîné de nouvelles techniques mises au point par des services expérimentés de l’armée pour limiter les pertes d’Hommes en retraçant ses paroles par des gestes continus sur le bois massif de la table du salon.

- ...et donc si on en croit le commandant Plyn normalement nos nouvelles troupes seraient d’autant plus efficaces !

Tin approuvait difficilement ses propos, pour lui quelque chose le chagrinait.

- Je comprends oui mais si nous changeons toutes nos troupes maintenant, nous n’aurons plus nos repères avec nos coéquipiers de base tu vois ? Je pense que je vais chercher de nouveaux sorts parce que ça tu vois… je ne le sens pas. Le commandant Plyn est le plus doué que nous ayons mais par mesure de précaution je préfère m’en assurer.

Rina détourna son attention de ce sujet qui l'angoissait plus qu’autre chose. Savoir que ses parents et son frère couraient un risque perpétuel, ça la rendait malade, ici dans son empire froid, beaucoup croyaient presque les yeux fermés à la grandeur de leur armée et beaucoup la suivait au doigt et à l’œil sans jamais contredire. Mais dans cette maison elle possédait l’envers du décor, même si certes, l’empire était d’une grandeur absolue ce n’était pas toujours le cas malgré ce que pensait la plupart de ces esprits naïfs.Rina se leva et décida de monter à l’étage. Elle s’arrêta quand elle entendit sa mère qui venait d’entrer après avoir écrasé sa cigarette sur la terrasse demander quelque chose à son mari et à son fils aîné.

- Tin ? Jonas ? Vous pouvez venir dans le bureau s’il vous plaît ? Il faut que je vous parle de quelque chose.

Les deux interpellés se regardèrent un instant sans comprendre puis, comme une irruption cérébrale, le père de famille semblait avoir compris de quoi elle voulait parler.

- Sans problème chérie.

Ce fut Jonas qui se leva en premier, son fils, qui pendant une petite seconde, regarda sa sœur avec un air inquiet, mais en lui assurant d’un signe de tête qu’il lui raconterait tout à son retour. Les trois personnes quittèrent la salle à manger pour rejoindre le bureau de Tin. Rina lança un regard interrogateur à Mino qui se posait autant de questions qu’elle à présent que trois individus avaient désertés. Plutôt paradoxale pour des militaires, non ? La jeune fille fit donc signe à son frère de ne pas s’en préoccuper puis elle voulut reprendre son ascension vers l’étage supérieur mais elle s’arrêta aux trois quarts de celle-ci, elle voulait savoir ce qui se tramait dans ce petit bureau.Elle redescendit donc, soulevant les pans de sa robe pour ne pas trébucher sur les marches et pour être la plus discrète possible.En arrivant sur le bas des escaliers elle préféra prendre les précautions. La jeune femme brandit ses mains en direction de ses pieds et murmura une formule incompréhensible, tout à coup un filet bleu sorti de ses délicates mains pour, par la suite entourer ses pieds. Elle fit un pas comme pour vérifier si tout allait bien et effectivement plus aucun son n’était produit quand elle marchait, prudemment ou non.Elle avança donc à travers le salon, et le couloir, des voix se faisaient entendre non loin de son emplacement.

- ...sérieusement maman ? Des brigands ? C’est puéril non ?

- Pas la peine d’être sarcastique Tin, oui des brigands et alors ? Jonas tu ne lui en a pas parlé quand j’étais avec Rina ?

- Non, nous avons étudié des nouveaux plans du commandant, ceux que j'évoquais tout à l’heure et Mino ne voulait pas nous quitter d’une semelle.

- Je vois.

Rina ne comprenait rien, pourquoi parlait-il de brigands ? Elle resta sur ses gardes et continua son écoute en essayant d’être la plus discrète possible. Des pas se déplaçaient à intervalles réguliers sur la lourde moquette de la pièce, la jeune fille pensait que c’était Tin qui, comme toujours, réfléchissait en faisant les cent pas.

- C’était où exactement ?

- On avait été affecté dans une mission à la frontière entre notre royaume et celui de Ptigne. Tu sais, le royaume du Sud ? Dans le village de Vigri.

Les pas se sont arrêtés tout à coup, comme si les révélations du patriarche avaient sidéré Tin.

- Mais c’est à deux pas d’ici non ? Nous avions eu une opération avec Mathias au début de notre entrée dans l’armée je crois. Le royaume n’est pas vraiment en bonne entente avec le leur.

(1) Citation de Sonia Lahsairi.

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