Village - Chapitre 2

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Au cœur de la vallée Cendré, ma sœur et moi cherchons les jumelles. Six jours que nous traversons la forêt qui la compose. Chaque bruissement est un appel à notre vigilance. Je ne peux m’empêcher de ressentir un danger. Quelque chose ici n’est pas naturelle. Les ténèbres sont anormalement présentes, pourtant j’entends la mer qui est si proche. La présence de la bête nous guette. Si ce n’est pas elle, la chose doit être tout aussi vicieuse.

J’observe les arbres qui nous entourent et l’entrelac de branches qui obstruent notre visibilité. L’intensité dans le regard de ma sœur m’évoque l’idée que nous ne sommes pas seuls. La végétation tente de nous repousser vers l’extérieur. Elle s’y prend d’une étrange manière. Depuis que nous y sommes, Melda a le corps brûlant sans que l’un de nous ne puisse trouver une explication à sa fièvre. Selon la concernée, se serait la fatigue. Mais je ne parviens pas à me laisser berner par cette excuse. Elle n’a jamais vraiment montré une quelconque faiblesse physique depuis que nous sommes gosses, alors pourquoi si soudainement ? Elle est du genre infatigable. Quatre heures lui suffisent pour être requinquer.

— Arrête de te soucier de moi et avance. Je sens une chose nous suivre, prévient-elle, en remontant sur Toln.

Elle l’avait quitté un instant pour récupérer le morceau de tissu accroché à un buisson. La couleur de celui-ci et les fils rouges lui font penser à la cape que porte Salna.

Matpa, mon cheval, leur emboîte le pas. Les deux cornes sur son front vibrent. Rien d’affolant. Seulement un volatile. Il les détecte sur une zone de cent mètres comme le veut son espèce.

— Je ne sais pas pour toi, mais j’ai le cœur qui se resserre à mesure que nous avançons. Nous devrions nous éloigner de ce sentier, décrété-je.

— C’n’est pas en fuyant qu’on trouvera la bête ou des indices, déprouve-t-elle en poursuivant.

J’ai beau être de cinq ans son aîné, quand Melda parle, je l’écoute, même si c’est en rechignant.

— Tu te sens mal parce qu’il y a des Trèfles-Albini juste à côté de toi. Déporte-toi sur la gauche et garde les yeux ouverts.

Je regarde le sol terreux, puis les plantes grimpantes qui ont la particularité de donner la nausée. Leur parfum est indéfectible, mais il fait de nombreux morts depuis plus d’un siècle. À trop les respirer, on finit par s’endormir et mourir de faim. D’instinct, je recouvre mon nez en remontant le col de ma veste en cuir. Melda s’éloigne juste des fleurs et trace devant elle. De dos, elle me rappelle notre père, toujours droit sur Toln. Elle possède la même longue tresse albâtre que lui où quelques mèches argentés figures depuis l’an dernier.

Un bruit.

Je pivote, me fige et fixe les arbres qui nous encerclent. Je songe un instant à un oiseau, mais les cornes de Matpa ne vibrent pas. Son comportement à lui aussi vient de changer. Il ne bronche plus, comme pétrifié par les ombres qui s’animent des mètres plus loin.

— Melda, murmuré-je. Il y a un truc là-bas.

Elle ne décroche pas un mot, ce qui signifie qu’on est, soit dans la merde, soit qu’elle réfléchit. Dans les deux cas, on est mal barré. Selon l’animal qui nous épie, partir au gallot ne serviraient qu’à appâter son désir de nous croquer.

— Continuons, lance ma sœur sur un ton décousu. Si ça nous suit, nous aviserons. De toute façon, on n’sait pas ce que c’est.

Elle n’a pas tort. À quoi nous servirait d’attendre ?

Nous reprenons la route avec ce regard intrusif tout autour de nous.

Deux pas plus loin, Matpa frémit. Toln s’agite anormalement et les écailles le long de sa nuque se redressent. Les piques que forment sa crinière se raidissent. Il laisse échapper un son guttural comme on n’en connaît pas. Melda vrille son regard vers les ténèbres à notre gauche. Elle attrape Chilinq, la sort de son fourreau. Le bruissement du métal m’impose de saisir Zlert, mon arc, mais le cœur en percussion, je me résous à garder les mains sur les rennes de Matpa. Un vent froid me traverse sans explication. Rien ne frémit, pas même les plus légères fleurs au sol. Melda est en position de combat, Chilinq pointant vers le danger que je ressens désormais tout autour de nous. Une menace qui s’inscrit sur ma peau et qui me susurre de prendre mes jambes à mon cou. Dans un silence relatif, des mouvements lents contre les buissons nous indiquent que nous ne sommes clairement pas seul. Une odeur ferreuse m’attrape à la gorge, embaume furtivement la zone. Je distingue une paire d’œil d’un gris de cendre. Mille tremblements parcourent mon être, alors que mon pouls s’accélère. Mon cœur cogne à a déraison. La terreur me prend vivement au corps, et Matpa le ressent car il bondit sur le chemin, emportant avec lui Toln. Melda se rattrape de justesse à la crinière de sa monture.

La course qui s’ensuit me coupe la respiration. Je suis incapable de tourner ma tête. Mes muscles sont figés. Une impression bizarre me prit au ventre, comme si j’avais déjà vécu ce moment, pourtant indistinct.

Toln et Matpa galopent. Leurs sabots ricochent sur un sol plus moelleux. Sans regarder, je sais qu’une nappe d’herbe à remplacée la terre. Ma sœur cherche à communiquer avec moi, j’entends sa voix, mais ne parviens pas à comprendre ce qu’elle dit. Je suis sourd et aveugle pétrifié comme un gamin devant une créature invisible.

Une vive chaleur irradie derrière moi. L’odeur du feu me tourne la tête. Je n’aime pas le parfum des flammes depuis que j’ai vu notre premier village consumé par un brasier.

La main de Melda se plaque contre mon dos, comme pour me signifier qu’elle sera toujours là pour moi.

La course dure jusqu’à ce que les arbres disparaissent au profit d’une plaine et de la mer.

Melda se dirige vers le sable. Toln saute les roches et les obstacles. Matpa l’imite. Moi, j’ose enfin regarder derrière. Les branchages frôlent presque le sol et enferme la forêt.

Sur la plage, nous ralentissons. Nos montures cherchent refuge dans l’eau couleur lilas du au coquillages qui y vivent par milliers.

De la fumée s’échappe de la végétation. La chaleur que j’ai sentie était bien réelle. Mais d’où provenait-elle ?

Melda frotte ses yeux activement, puis malaxe ses tempes.

— C’était quoi ? l’interrogé-je.

Elle hausse les épaules tout en fixant la forêt avec son regard de tueuse. Elle ne s’attarde pas à me donner de réponse, quand un coup de tonnerre déchire le silence. Au loin, une nuée d’oiseaux tricolores s’envolent. Le froissement de leurs ailes détruit un peu plus le chant serein des vagues sur le sable noir.

— Allons-y ! lance ma sœur.

Toln et Matpa reprennent leur souffle. Ils marchent dans l’eau, jetant parfois des coups d’œil à la végétation.

Nous leur faisons quitter le liquide aux vertus protectrices lorsque nous apercevons au loin un village que je pensais en ruine depuis une décennie.

Sur la terre ferme, je n’arrive pas à contenir mes frissonnements. Ils parcourent mon corps, me signalent que je suis en danger. Je sais alors que la chose qui nous a poursuivi, est la bête. Bien que je ne me souvienne plus de son attaque, je me rappelle le regard pesant qu’elle avait posé sur nous un an auparavant.

Pas besoin d’en référer à Melda. Elle l’a déjà compris, sinon nous ne serions pas en route vers le village. Plus que tout, ma sœur veut en découdre avec la bête, contrairement à moi, qui la fuirais sans hésitation. J’aurais pu rester chez nous, à Dur-le-Lyn, mais ma sœur est tout, désormais. Où elle va, je vais.

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