42. La dissection est bonne pour la santé

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"Comment t’as perdu ton job ?
Eh bien... en baisant avec tous les employés du bureau.
Tous les employés ?
J’étais très dépressive après la mort de Tommy et il y en avait beaucoup.
On n’a pas à en parler.
Merci.
Combien d’employés ?
Onze.
Wow.
Je sais.
Je ne vais plus jamais t’en reparler.
OK.
Est-ce que je peux te poser une dernière question ? Il y avait des femmes ?"

Happiness Therapy

Environ un an après mon diagnostic, à la suite d'un bel été et d'un chouette désassemblage de mes organes reproducteurs, RIP mes ovaires, j'ai décidé de donner un bon coup de boost à mon chantier bien-être émotionnel. J'y fais souvent référence en le qualifiant de bien bien chiant car pour moi, il représente une petite quarantaine d'années de gestion de mes émotions à rattraper. Fingers in the nose.

Jusqu'à il y a peu de temps, quand j'étais en bonne santé et que je faisais partie du monde des gens normaux et insouciants, j'avais trois façons de gérer mes émotions dites négatives :

1 : la plupart du temps la dérision, pour à peu près tout. Rapide, cela ne demande pas beaucoup d'efforts de traitement.

2 : l'explosion de remarques désobligeantes, parfois de colère, plus rarement de larmes. Simple, voilà c'est sorti.

3 : la rumination suivie de la noyade via bloc de béton au pied du problème dans mon fleuve intérieur. Efficace. Je fais pareil avec les gens que je n'aime pas : je les efface. Appelez moi Eraser. Un peu comme une super gomme ou un film d'horreur, les deux fonctionnent.

Résultat : mon fleuve intérieur doit être plus pollué que la baie de Hong Kong. Car les choses moches ne disparaissent pas, elles se dissolvent en plein de microscopiques particules dégueulasses. Elles se répandent partout. Après, on puise de l'eau tchernobilisée quand on a soif, et on finit avec un cancer. Bon, ce n'était pas vraiment une certitude, mais comme il n'existe aucune vérité arrêtée sur l'origine de ma maladie, il fallait garder l'esprit ouvert et traiter toutes les possibilités. J'ai donc jeté mes déodorants aux sels d'aluminium à la poubelle ainsi que ma vision étriquée de la vie et de l'univers pour chercher des réponses.

Après m'être attaquée à mon alimentation, au sport, à la redistribution hormonale de mon corps, il était temps de me sortir les doigts pour Libérer les émotions refoulées et Cultiver des émotions positives : le chantier bien-être émotionnel.

J'avais bien conscience que mes quelques rendez-vous chez la psy n'avaient pas été suffisants. Depuis la magnétiseuse aussi, j'étais un peu trauma pour confier mes soucis et mon bien-être aux mains de nouvelles personnes plus ou moins bien intentionnées. Mais bon, j'avais assez procrastiné, et je n'allais pas me laisser décourager par ma psy neurasthénique et une magnétiseuse chelou. Il fallait crever l'abcès, pratiquer une petite dissection et extirper les racines pourries.

J'ai cherché autour de moi et une amie m'a conseillé un nouveau concept : une coach de vie. Mais c'est quoi donc ? C'est une personne avec qui il est possible de faire un petit bilan, dresser des objectifs pendant une période et un nombre d'entretiens déterminés. Elle ne fait pas le boulot à la place du patient, elle ne lui dit pas ce qu'il a à faire, mais elle explore avec lui les différentes façons d'y parvenir. Elle écoute et elle conseille. Elle partage des pistes de réflexion, des références de lecture, des exemples imagés. Elle s'investit dans la séance et ne donne pas l'impression de faire sa liste de courses pendant que l'on parle. En plus, j'ai eu droit à un rendez-vous gratuit pour vérifier que cet accompagnement correspondait bien à mes attentes. C'est pas top ça ?

Après quelques mois d'altermoiement, je me suis donc relancée dans une thérapie axée sur le lien cerveau-coeur-tripes. J'imagine que le premier entretien pour ce type de suivi n'est facile pour personne. Celui où il faut expliquer pourquoi on fait appel aux compétences du spécialiste. Pour moi, c'est un peu comme m'arracher un ongle.

Alors bonjour, voilà j'ai un petit souci. Vous voyez, j'ai un cancer stade 4, et la Médecine Moderne m'a donné un pronostic de cinq ans. Depuis, je fais en sorte de contenir au mieux mais je n'arrive pas à étouffer le tic-tac de mon minuteur interne, celui qui résonne dans ma tête pendant mes nuits blanches. Comme j'ai trois Trolls à faire pousser, il faut que tout continue comme s'il n'y avait pas de pépin.

C'est joli votre déco, c'est cosy.

Alors évidemment, ça produit comme un malaise. Je me dépêche d'ajouter que je n'attends pas de la consultation une guérison. Je viens pour un objectif précis, j'ai un plan et j'ai besoin d'expertise pour travailler dans tel ou tel sens. Je suis obligée de faire cela avec chaque soignant que je rencontre, histoire d'enlever un peu de pression et de combler le silence empli de commisération.

La coach m'a écoutée et questionnée attentivement, mais comme elle est plutôt honnête et carrée comme nana, elle a refusé de commencer l'accompagnement tant que je n'avais pas mis au propre le côté psy et gestion de la colère. Apparemment, j'avais un trop plein de rage. C'est elle qui m'a envoyée vers le médecin chamane pour bosser là-dessus.

Merde. Naaaan, pas le psy ! Mais le médecin chamane n'est pas psychologue. C'est le mécanicien poids lourd des naturothérapeutes. Il m'a débloquée au cric.

Il pompe longtemps pour soulever le véhicule avant de dégager la roue crevée. Au contraire de la psy, il parle beaucoup. Des histoires sur des gens qu'il a accompagnés, des livres qu'il a lus, des théories bouddhistes, pleins de trucs qui se mélangent joyeusement. Et là, paf, il me parle de moi. La petite remarque précise qui désarçonne et interroge. En une séance, le mec a ciblé la moitié de mes blocages et me les a pointés sans langue de bois. Soit j'accepte, je réfléchis et je travaille dessus, soit je me remets la tête dans le sable. Nan, faire l'autruche c'est fini pour moi. Mes problèmes j'y fais face un à un et je les solutionne. Je l'ai vu une fois par mois, point trop n'en faut, et ça a travaillé sévère à l'intérieur.

J'avais au moins une roue de secours pour avancer.

J'ai recontacté la coach quelques mois plus tard. Les deux approches sont complémentaires et puisque que j'étais en arrêt maladie et que j'avais du temps, je me suis investie à fond. Cette méthode très cartésienne d'accompagnement a absolument ravi mon caractère contrôle freak : formulation d'une demande globale, objectifs à atteindre (qui peuvent évoluer en cours de route, on n'est pas des nazis non plus), détermination d'indicateurs de contrôle notés de un à dix pour évaluer l'efficacité du bousin. Tout est inscrit sur un contrat d'accompagnement. Voilà, c'est clair, c'est net, c'est propre. Mon mini Monk intérieur enchaînait les dabs. Pendant les séances, j'ai fait joujou avec des cartes Dixit et je me suis tapé un petit Dessiner, c'est gagné, alors mon côté Joe la déconne s'est éclaté aussi.

À un moment, j'ai senti qu'il y avait des résultats. Je me sentais mieux, plus sereine, plus optimiste. J'avais sérieusement entamé le chantier bien-être émotionnel par le front Libérer les émotions refoulées, et tant que le fer était chaud, j'allais aussi Cultiver des émotions positives.

J'avais justement un lopin de terre fertile rempli de compost pour faire une jolie plantation dans mes tripes et un nouveau plan en tête.

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