20. Mais où vas-tu, minou-zombie ?

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" Soft kitty, warm kitty,
little ball of fur !
Happy kitty, sleepy kitty,
purr purr purr ! "
The Big Bang Theory

Tous les trois à quatre mois, je passe des tests. Ce ne sont pas des examens que je peux réviser, pour lesquels je peux m'entraîner ou me concocter une sympathique petite antisèche.

Pour passer efficacement un IRM, il faut juste rester immobile et supporter les bruits de chantier de la machine à ondes magnétiques qui prend la mesure de ton invasion cancéreuse. En général, avec un peu de musique, ça détend. Les gentils manipulateurs de la radiologie sont tellement cools qu’ils acceptent même de chercher tes chanteurs préférés sur Youtube. Je ne dis pas assez combien le personnel soignant est formidable. En tout cas, je peux juste me préparer à ces tests en conservant la certitude que quoi qu’il arrive, je mettrai en place une stratégie et une parade, car c’est la seule chose en laquelle je crois.

Mon corps finalement, pendant trois mois, devient la boîte de Schrödinger : personne ne sait ce qu’il s’y passe. Merci The big bang Theory pour m’avoir introduite à cette passionnante expérience. En résumé simplifié Dumb & Dumber : Schrödinger était un physicien et sa spécialité, c’était la physique quantique. Avec l'expérience du chat dans une boîte, il propose un modèle de pensée qui illustre la superposition quantique, la probabilité qu’un atome puisse se trouver à plusieurs endroits en même temps.

Un truc de matheux.

Donc, il colle un chat dans une boîte (de façon purement théorique, n'a jamais vraiment foutu de chat dans une boîte le Schrödinger, j’ai vérifié) et dedans il y a une fiole remplie de produit radioactif mortel. C’est un événement aléatoire qui déterminera si la fiole se renversera ou pas. En attendant d’ouvrir la boîte, on ne sait pas si la fiole est fermée ou ouverte et si le chat est vivant ou mort. Les deux sont possibles.

État du chat = 50% vivant + 50% mort. Le chat est mort-vivant. Un chat-zombie, quoi.

À l’ouverture de la boîte, ben on verra s’il faut enterrer minou, s’il va aller bouffer ses croquettes ou s’il n’est pas revenu tout à fait normal de son voyage quantique façon Simetierre de Stephen King.

C’est la décohérence quantique.

Pendant trois mois, je suis dans une boîte comme le minou-zombie. Le cancer peut se déverser, comme le produit radioactif. Ou pas. Les métastases peuvent se disséminer ou se réduire. Ou pas. Je peux me rapprocher du game over ou m’en éloigner. Parce que rien n’est prédictible de façon certaine avec ce cancer, c’est aléatoire à la base.

Donc il y a tout un champ de possibles pendant cette période d'entre-deux tests, je peux être mieux et moins bien en même temps.

Mon état = 50% moins bien + 50% mieux.

Paradoxal. Mais pas faux.

IRM = Paf on ouvre la boîboîte. Décohérence quantique.

Je suis dans deux états superposés et cette théorie se valide avec chaque personne que je croise et qui connait ma maladie. Dans l’esprit des gens que je vois peu, en général c’est plutôt « l’état moins bien » qui prédomine. Je le discerne à leur questionnement inquiet et à leur regard précautionneux puis soulagé au fur et à mesure de la conversation. Conférer réponse standardisée « je fais aller » au classique et rapide « ça va ? », la question à cent mille euros. Honnêtement, je devrais leur répondre que ces deux dernières années, tout allait parfaitement bien et que j’étais en pleine forme, avec un cancer qui me rongeait en loucedé de l’intérieur. Alors je ne suis pas vraiment experte pour savoir si ça va. Il y en a même qui n’osent pas me le demander, ils n’arrivent pas à aborder le sujet. Ça crée comme une petite gêne persistante.

Mais bon, quoi qu’il en soit, je choisis la route politiquement correcte du reroutage de la conversation sur eux. Parce que les gens, moi la première quand cela ne concerne pas ma santé, adorent que l’on parle d’eux. Et parce que je ne veux pas devenir juste cette affligée du cancer, sérieux, je choisis d’être cette fille qui s’intéresse à toi.

Pour ceux que je croise souvent, « l’état mieux » a, pour le moment, le vent en poupe. Ils sont informés depuis plus d’un an de mes résultats d’examens et ils constatent que je ne me laisse pas dépérir. Ils ont pris l’habitude de me voir aller plutôt bien. C’est une bonne habitude à adopter.

Et dans mon esprit, ben je suis plutôt en forme malgré quelques coups de fatigue, ce qui est déjà paradoxal en soi avec un cancer stade 4.

Réconcilier mon inconscient à ma nouvelle réalité de malade m’a pris de longs mois et je sens bien que je navigue encore dans plusieurs états superposés. Se redéfinir une identité, c’est fastidieux. J’imagine que c’est la même chose quand tu divorces, que tu subis la perte d’un être proche ou que tu gagnes des millions au loto. Et non, je ne suis pas dans cette foutue étape de l’acceptation de mon travail de deuil. Celle-là, j’ai décidé de la zapper.

Mais la théorie de Shrödinguer a ses limites. Déjà, parce que personne n’est assez con pour laisser un chat avec un produit radioactif dans une boîte, même théoriquement c'est biaisé. Rien à foutre de l’événement aléatoire qui décidera de son destin, le chat il va te défoncer la fiole juste parce qu’il peut le faire, il n’a pas besoin qu’on l’y autorise. Ben oui, c’est un chat. Ou il fera la sieste, possible aussi. Rhaa, il n’était pas bête ce Schrödinger !

Aussi, parce que la vie grandeur nature ne suit pas les règles de la physique quantique. Les modèles ne sont pas transposables. Je ne suis pas un atome qui peut passer d’un point A à un point Z en évitant tout l’alphabet des autres points, je ne peux pas être à deux endroits en même temps. Ils sont trop forts ces atomes.

Je n’ai pas le don atomique d’ubiquité. Mais si je me focalise sur l’endroit où je veux être, a priori j’ai plus de chance d’y arriver que si je me fixe sur celui où je ne veux pas aller. Car il y a un truc que les êtres humains ont et que les atomes n’ont pas. C’est ce qu’avaient aussi les malades du sida, il y a dix ans, quand leur espérance de vie était inférieure à la mienne. Maintenant ils peuvent tenir jusqu’après leur soixante ans.

Cela s’appelle la méthode Coué, l’effet placébo, la croyance, l’inconscience, l’espoir et ça s’appuie sur des choses très concrètes comme les avancées médicales ou très métaphysiques comme la foi.

J’ai réglé mon GPS. J’embarque mon minou-zombie, il est cher à mon cœur.

Pour aller à « dans dix ans », tournez à gauche. Contournez le crématorium et continuez tout droit.

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