5. Le toboggan et la lueur

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Je voudrais la retenir entre mes pattes ou la faire glisser le long de mon cou, comme dans un Disney. Je déploierais un petit matelas en mousse si j’en avais un. Plus prosaïquement, j’ai réuni un tas peu épais de belles feuilles d’acacia que je pense trop amères et trop dures à manger. Mais durant le travail, Élisée (je ne pouvais pas laisser ma compagne girafe sans prénom, même si à cet instant la lueur d’humanité vacille comme une bougie sur la fin) a tout l’air de les trouver parfaitement à son goût. Aussi le petit tabouret tombe-t-il sur le tapis de brindilles sèches, comme nous toutes.

Elle reste immobile bien trop longtemps pour que je sois rassuré. Celui de Caroline s’est rompu le cou, et Oscar a gardé le sien un peu de guingois, ce qui lui donne une allure on va dire... particulière. Mais après quelques instants, son corps se met à frétiller dans un ensemble désordonné que j’associe volontiers à la panique, mais je suis trop heureux qu’elle bouge pour m’inquiéter outre mesure. Et alors qu’Élisée se débarrasse du parachute organique avec plus d’énervement que de douceur, je me rapproche de mon petit tabouret. En voyant le tableau d’un mâle s’intéressant à sa progéniture, qui allonge le cou et écarte les pattes pour mieux la sentir, n’importe quelle autre girafe dotée de vraies émotions verserait sans doute une larme. Mais il n’y a dans la savane que des animaux ignorant tout de la réincarnation. Mon cerveau bouillonne cette fois à m’en faire sauter la cafetière et elle, toute petite et le pelage encore humide, écarquille vers moi ses grands yeux pleins de cils de girafon à peine tombé. Il y a dans ce regard quelque chose de profondément familier, et si mon cœur n’était pas une véritable machine étudiée par la NASA, il s’arrêterait sans doute.

Quand je pense parents, je pense Valentine, je pense Élisée et moi. Je pense à Kadi qui grandit vite, à Demba dévoré par les lions. Je pense, je pense… de moins en moins, à vrai dire. Mon esprit bégaye et plante, comme un vieil ordinateur. C’est comme si je passais en pilote automatique, avec quelques sursauts de lucidité. Parfois une idée émerge de la brume. Je pense crayon, je pense béchamel, je pense Miram. Qu’est-ce que c’est ? Je l’ai sur le bout de la langue, mais ce n’est pas amer ni juteux, ce n’est pas acacia. Pas un mot de la savane. Surgi de ma mémoire pleine de trous.

On verse de l’encre dans mon cerveau. C’est une image qui fait peur, et qui revient souvent. Je peine à retrouver les mots. Je pense troupeau, je pense point d’eau, je pense à Kadi bientôt maman. Quand je pense danger, je vois des dents. Quand j’ai peur, je vois la nuit noire et quelques lueurs qui vacillent, certaines ne sont déjà plus là. Sous peu, l’obscurité. Troupeau, point d’eau.

Miram ?

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