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Cinq… Quatre… Trois… Deux… Un… Décollage !

Le monde a reçu un appel.

Il y a maintenant 22 ans.

C’est le temps qu’il nous a fallu pour y répondre, pour rassembler les dernières ressources du monde humain. Oui, j’étais fou, j’étais volontaire pour répondre à un appel extraterrestre.

J’eus peur d’être jugé trop vieux pour cette mission, avant de comprendre que les volontaires étaient rares, voire inexistants.

– Pourquoi vouloir mourir seul là-bas ? m’avait-on demandé.

– Quel intérêt de mourir seul ici ? avais-je répondu.

C’était vrai, je le pensais. Tu n’étais plus là, je n’avais plus rien à perdre. Tu n’étais plus qu’un songe auquel je m’accrochais de toutes mes forces.

Au début, personne n’y a fait attention, à ce petit bruit venu du fond de l’espace. Nous comptions nos morts, nous comptions nos pertes matérielles, nous comptions tout ce que nous n’aurions plus jamais. C’est une IA qui l’a remarqué en premier. Un signal, faible, qui émettait en boucle. Des ondes vrillées émanant de Jupiter.

Tac, Tac…

Jupiter.

Tac…

La Géante. La Rouillée. La Reine Souveraine.

Tac…

Tac…

Jupiter. Jupiter. Jupiter !

La navette tangua soudain, me secoua dans tous les sens. La nausée me monta à la gorge, j’eus peur que la carcasse ne lâche, qu’elle n’explose en plein vol.

Phase un : survivre au décollage. Car mon cercueil n’était pas une simple navette, mais un ascenseur gravitationnel, un procédé qui allait au-delà de la téléportation, qui plierait l’espace et le temps pour vous.

Phase deux : survivre au voyage, dont le temps était inquantifiable. Mes boyaux se tordirent. Une fois sur place, je serais seul. Une fois sur place, un million d’années se serait peut-être écoulées.

Alors, tout s’arrêta.

J’étais arrivé, j’étais vivant. Et j’entendis le plus beau chant de monde :

– Ouvre les yeux, mon amour.

***

Des éclairs, des tempêtes, de la glace. Voilà tout ce que je vis autour de moi. Depuis combien de temps étais-je ici ? Je l’ignorais, cela me semblait dix minutes, mais peut-être était-ce dix mille ans ? Je ne comprenais pas ce que je faisais ici.

Tac…

Le signal était bien là, mais il n’y avait personne pour m’accueillir, la solitude comme seule réception. La phase trois, établir le contact, était un échec.

Je balbutiai dans mon micro, décrivis tout ce que je voyais, pour honorer la phase quatre : transmettre tout ce que je pourrais voir. Du gaz, des couleurs, des putains de couleurs partout, des arches, des tourbillons. Jupiter la Géante. Jupiter qui m’offrait sa beauté.

Mais qu’est-ce qu’un monde, devenu malade ou mort, en avait à foutre, que je lui parle de beauté ?

Et puis, ce son, ce petit battement. Entêtant, répétitif, me rendant fou.

Tac… Tac… Tac…

Puis le bruit se fit plus fort, et je crus être arrivé au bout, je crus être prêt à embrasser ma destinée, à devenir la vérité.

Tac… Tac…

Au milieu de la beauté, à l’autre bout de la galaxie, au beau milieu de la brume et des couleurs se trouvait une horloge ; celle de notre chambre, celle qui s’était arrêtée le jour de ta mort.

Tac… ! Tac… ! Tac… !

Tu me pris par la main. Mes yeux papillonnèrent, je voulais te sauver, je n’étais là que pour ça. Je me souvenais soudain du mot auquel était suspendu l’espoir du monde. Le mot pour lequel j’étais parti. Mot que j’allais égoïstement m’approprier et que mes lèvres hurlèrent au milieu de la brume :

– Vœu.

***

Je m’allongeai à tes côtés, là où je devais être.

Une vie d’errance pour revenir au jour le plus douloureux de mon existence. Mais cela en valait la peine, tu n’affronterais pas cela seule. Cette fois, je serais avec toi.

– Je t’aime, chuchotas-tu.

Je n’ai pas retenu mes larmes, je les ai laissées couler, se déverser. Cette fois, je pleurais des larmes de joie.

On dit que l’amour est un trésor. Et il l’est. Tu étais le trésor de ma vie, ma pépite, ma perle, celle avec laquelle j’allais m’éteindre, en même temps que le reste du monde.

– J’avais promis de te rejoindre, ai-je pleuré.

Tu as souri, embrassé mes larmes.

– Tu as mis longtemps, te moquais-tu gentiment.

J’embrassai ton front, goûtai une dernière fois tes lèvres.

– Pardon.

Mais tu riais. Tu riais comme avant. Putain que tu étais belle.

– Je sais, j’étais là, tu as souhaité la mort avec toi.

Je pleurais à nouveau. Le monde m’en voudrait-il, de l’avoir choisie elle, plutôt que tous les autres ?

Tu me tendis tes doigts devenus trop maigres. Je les emmêlai aux miens, les serrai aussi fort que je le pouvais.

Et l’horloge continua de cliqueter, sans nous pour l’écouter.

Tic…

Tac…

Tic…

Tac…

Pour nous, le temps fut suspendu. Et nous restâmes ensemble, à tout jamais.

Là où les vœux et les cœurs amoureux se rejoignent.

Là où se lovent les âmes.

Sous la lumière de l’univers, dans le vœu des astres, avec les mots gravés par le monde sur la carcasse de la fusée :

« Luminous »

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