Son regard d'un bleu profond fixe la mer jusqu'à l'horizon, des larmes perlent au coin de ses yeux. La main posée sur le verre froid, elle réprime un sanglot. Elle se sent si stupide, si naïve.
 Elles lui avaient pourtant dit de rester près d'elles, de ne surtout pas s'éloigner, de faire très attention. Mais elle n'a pas écouté, elle n'a pas fait attention.
 Alors au fond elle l'a mérité peut-être mérité cette prison de bois et de verre. C'est vrai.
 Si elle avait obéi, si elle l'avait caché comme ses congénères le lui avaient recommandé, il ne l'aurait pas trouvé, il n'aurait pas pu la contraindre. Elle aurait pu retourner parmi les siens. Elle aurait renfilé sa peau et aurait plongé dans les vagues. Elle aurait fui ce monde. Ce monde qui n'est pas le sien. Ce monde où il l'oblige à rester en prétendant qu'il l'aime.
 Mais elle ne l'aime pas, elle aime l'océan. Elle aime sa liberté. Cette liberté dont il l'a privé. C'est lui, elle en est sûre. Il n'y a que lui qui ait pu la prendre. C'est lui qui l'a caché elle le sait, elle le sent.

• Eloé, quitte donc cette fenêtre, il suffit. Nous allons prendre le souper, lance le pêcheur en posant un plat fumant sur la table en bois où deux couverts ont été dressé.
   Son regard quitte à regret la vue de ce monde auquel elle n'a plus accès pour se poser sur celui qui l'entoure et où elle vit désormais. Cette petite case de bois sombre, fétide et morose coincée entre quatre murs suintant d'humidité et les relents de pourriture du bois qui la compose. Eloé déteste cet endroit.
   Elle pousse un long soupire et jette un dernier regard à sa mer chérie, si près et en même temps si loin, avant de quitter sa banquette et de s'avancer pour rejoindre la table où elle s'assit face à son geôlier.
   Le dîner commence dans un parfait silence. Elle parle peu, les sanglots qu'elle retient à longueur de temps font souffrir sa gorge et elle peine à prononcer la moindre syllabe.
• Eloé, tu me fais de la peine enfermé ici à regarder la mer par cette fenêtre, tu ne la quittes jamais. Je m'inquiète. Lui lance le pécheur. Pourquoi ne sors-tu pas ? Tu peux aller jusqu'à la mer, je ne te l'interdis pas, tu sais.
   Elle lève alors vers lui un regard noir, lourd de reproche.
• Pour quelle raison m'approcherai-je de mon royaume si c'est pour me contenter de l'observer ? Parvient-elle à articuler. Je souffre de le contempler de loin alors crois moi, je mourrais de l'approcher de près.
• Je ne comprends pas ce qui te retient. L'eau mouille, elle ne brûle pas.
• Tu ne comprends pas. Tu ne comprends rien. L'océan est mon monde. Mon chez-moi. Et je ne peux pas rentrer chez moi.
  Elle prend une longue inspiration tandis que des larmes glissent les unes après les autres le long de ses joues. Elle saisit les mains du pécheur :
• Comprends moi, le supplie-t-elle. Je veux rentrer chez moi. S'il te plaît, rends-la-moi. S'il te plaît, rends-la-moi. Et je te promets que je reviendrais. Et je te promets que je reviendrais. Je suis prête à jurer sur ma vie.
   Il la foudroie du regard et retire violemment ses mains, puis, d'un élan de rage lui assène un coup violent.
• Ne ment pas à sorcière ! Tu ne m'auras pas avec tes belles paroles. Si tu récupérais ta peau, tu ne me reviendrais jamais, affirme-t-il d'une voix brisée.
   Sa main sur sa joue rosie, elle le dévisage, sur ses joues coulent des torrents de larmes. Elle ne dit rien, elle reste silencieuse.
   Il a osé.
   Elles lui avaient dit, l'Homme est mauvais. L'Homme la ferait souffrir si elle se retrouvait à sa merci. Et elles avaient raison. Pourtant, elle avait espéré, elle avait cru...
   C'est bel et bien lui qui a trouvé sa peau. Il la cache. Et quoi qu'elle fasse, il ne la lui rendra jamais. Elle ne pourra jamais rejoindre ses consœurs.
   Elle devra rester toute sa vie ici entre ces quatre murs. Avec lui. Pour toujours.