LXXXII

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Si vous lisez ces lignes, c’est que j’ai pu les écrire. Et que, donc, je m’en suis sorti. J’ai mis un peu d’ordre dans ma tête, après avoir passé une longue nuit entre les bras de Lin, à me rassurer sur mon statut d’homme en vie. Oui, je sais, l’instinct de reproduction qui se déclenche quand on échappe à la mort… C’est cliché, mais c’est cliché parce que c’est vrai.

Quand tout s’est calmé, Frisé m’a raconté que, quand il avait eu l’appel de Lin, il était resté paralysé un moment et que c’était Jude qui avait pris le volant, fonçant comme un dératé sur les pistes d’Afghanistan, les hommes derrière accrochés à ce qu’ils trouvaient, et Benji à son poste à la 12.7, agrippé aux poignées de la mitrailleuse.

Dans la Land, y a toujours plus de munitions, car la Land ne se fatigue pas à transporter du poids en plus. Ça, on le savait, et on comptait dessus pour permettre à Frisé et son peloton de nous sortir du merdier dans lequel on était.

Il m’a raconté comment, une fois revenu de sa stupéfaction, il avait dégainé sa tablette de combat, appelé nos coordonnées et étudié le terrain. Il avait décidé de se présenter par l’est, de façon à prendre nos attaquants en tenaille entre lui et nous. S’il arrivait par le nord, il se trouverait face à nous, dans notre champ de tir. Par l’est, no problem.

Jude, à force de rouler sur les pistes défoncées du coin depuis presque un an, avait développé des putains de réflexe et était même meilleur à la conduite de la Land que Lin. Pendant que Frisé cogitait, Jude dirigeait le pick-up vers notre position, espérant ne pas arriver trop tard.

Il m’a raconté aussi son angoisse, assis sur son cul à ne rien pouvoir faire pour nous aider. Il savait qu’il nous aiderait, il espérait qu’il nous aiderait, mais avant, il fallait arriver sur le théâtre des opérations, et il m’a dit qu’il avait l’impression que le but s’éloignait, malgré ce que lui disait le GPS.

De notre côté, les choses s’annonçaient mal. Les mecs sont repartis à l’assaut, mais armés d’un couteau ou, au mieux, d’une arme de poing.

D’un regard, Kris a intimé à son frère de rester planqué et s’est relevé à genou, arrosant nos assaillants et faisant mouche à chaque fois. Son dernier chargeur a claqué à vide et il s’est laissé tomber, tournant sur lui-même quand la balle l’a touché à la hanche. Erk l’a rattrapé, a dégainé une autre pince et s’est occupé de lui.

- Idiot, pourquoi a-t-il fallu que tu t’exposes, imbécile ?

- C’est… l’hôpital… qui se fout… charité…

- Crétin…

- T’aime… Erik, a dit Kris dans un souffle, et il s’est évanoui.

Le géant l’a déposé délicatement à côté de lui, nous a regardé, mais pendant qu’il Soignait son frère, on avait peut-être tendu une oreille vers eux, mais on était restés concentrés sur nos assaillants.

Une deuxième vague s’était lancée à l’assaut de notre cuvette après que la première a été laminée par Kris.

- Je prends, j’ai dit.

Sans me lever, j’ai tiré sur les mecs, comptant mes munitions et m’arrêtant avec une balle dans la chambre.

- Je suis out.

- Je prends, a dit Tito.

Visant soigneusement, il a vidé ses chargeurs, gardant également sa dernière balle.

- Out.

- Je prends, a dit JD.

Et ainsi de suite jusqu’à ce que le seul qui reste soit le Viking. Il a caressé la joue de Kris, a tendu son flingue à Baby Jane en lui envoyant un regard très appuyé. Il a posé sa grande main sur sa joue et l’a embrassée.

- On se revoit de l’autre côté. Prends soin de Kris, ma belle.

Et il a dégainé ses deux lames, s’est levé et, sautant par-dessus le bord de la cuvette, s’est lancé à l’assaut des mecs, tellement surpris qu’il en avait tué un certain nombre avant que ça réagisse et que le plomb se mette à voler.

- Non, cessez le feu, Durrani les veut vivants !

Erk a continué son boulot de faucheur, récoltant des putains d’estafilades qui ont commencé à tacher son uniforme de rouge. Puis, on s’est regardés, Tito, JD, Quenotte et moi et on a dégainé nos poignards.

- Baby Jane, si l’un de nous se fait prendre, que tu vois qu’il ne s’en sortira pas, flingue-le. Restez à l’abri, les filles. Et, Baby Jane, si tout est perdu, et qu’Erk est mort, pense à lui, j’ai dit en montrant Kris toujours inconscient.

- Ne t’inquiète pas, l’Archer, je ferai ce qu’il faut.

Et nous autres, armés de nos couteaux, on s’est lancés dans la mêlée.

Erk avait déjà fait le ménage, on est d’abord passés derrière pour achever les mecs, ramassant une Kalash abandonnée par un mort pour la reposer vite fait, car elle était tout aussi vide que nos EMA 7.

On a rejoint le géant, on a formé une ligne entre les filles et nos assaillants et on a petit à petit reculé vers la cuvette, poussés par le nombre d’assaillants.

Tito est tombé, blessé, Erk l’a attrapé par son gilet et l’a poussé derrière lui après l’avoir à peine Soigné. Mon p’tit pote s’est avancé de nouveau et s’est lancé dans la baston de nouveau. Je suis tombé à mon tour, une longue estafilade le long de la jambe. Erk a posé sa main vite fait pour arrêter l’hémorragie, mais il n’a pas eu le temps de faire plus. JD a pris un ou plusieurs coups, Quenotte aussi. Encore une fois, le Viking a juste stoppé les hémorragies et on repartait à la baston, tailladant tout ce qu’on trouvait.

Je me suis pris un jet de sang chaud en plein dans la gueule en tranchant une carotide, Tito a perdu un de ses couteaux entre deux côtes. On a encore écopé d’estafilades plus ou moins profondes, parfois de coups de poings… J’ai béni nos pare-balles, qui arrêtaient aussi les lames.

Au bout d’un moment, tout devenait automatique : lever le bras, pointer vers un point faible, piquer ou trancher, rincer et recommencer. Et peu importe si nos bras, nos jambes, pesaient douze tonnes, peu importe si nos coupures nous faisaient mal… derrière nous, il y avait trois personnes que l’on devait protéger à tout prix, fusse à celui de notre propre vie.

Dans la frénésie du combat, les sons étaient déformés, les images aussi, tellement on était concentrés sur nos cibles, sur notre but : tenir aussi longtemps que possible.

Et tout à coup, on a vu des mecs tomber sans qu’on les ait touchés, leur tête ou leur torse explosant dans une gerbe de sang.

Une ombre a glissé sur le sol, à toute vitesse, le vent s’est levé et un E-assault nous a survolés, dépassés, canardant nos attaquants.

L’hélicoptère a pivoté sur son nez, ou presque, repassant au-dessus de nos assaillants d’est en ouest.

Assourdis par le bruit du rotor, assommés par la chaleur, par le sang perdu, par la douleur, la longueur du combat, on n’a pas entendu la 12.7 qui aboyait ni le klaxon de la Land que Jude a fait retentir pour nous prévenir.

En quelques minutes, il n’y avait plus un seul homme de Durrani debout, et l’hélico avait canardé les pick-ups et les camions du Pashtoune, qui avaient tous poliment explosé.

Quand on a compris qu’on était sauvés, Tito, JD, Quenotte et moi nous sommes laissés tomber où nous étions, complètement épuisés.

Le seul à rester debout, c’était le Viking, son uniforme rouge de son sang ou de celui des autres. Sous celui qui couvrait ses mains, on pouvait voir à quel point celles-ci étaient crispées sur ses couteaux. J’étais crevé, mais j’ai pu voir une chose ou deux : il tremblait et il respirait très, très vite.

L’hélicoptère s’est posé, plusieurs personnes sont descendues, dont une femme de haute taille, qui a empêché quiconque de s’approcher du géant et donc, de nous, car il se tenait entre elle et nous.

- Eiríkur…

J’ai tout de suite su à qui on avait affaire. Il n’y a qu’une femme que je connais pour prononcer son nom complet avec cet accent.

Il a à peine réagi, alors elle a pris son pistolet et s’en est servi pour frapper la crosse de son fusil selon un rythme simple de deux coups suivant d’un silence. Je tenais mon poignet gauche pour soutenir mon bras qui avait écopé d’une longue coupure en diagonale – rien de grave, mais le poids de mon bras tirait sur la coupure et je douillais – et je pressais mon artère sans m’en rendre compte. Ce dont je me suis aperçu, par contre, c’est que mon rythme cardiaque se calait sur le rythme. Je pouvais supposer qu'il en était de même pour Erk.

Il s’est redressé, s'est détendu, a regardé ses mains toujours serrées sur ses couteaux, a haussé les épaules et les a remis dans ses bottes. Il a fait un grand sourire à Katja puis s’est brusquement tourné vers la cuvette.

- Kris !

Et il a remonté la pente à toute vitesse.

Katja Haïmalin a secoué la tête avec un sourire presque attendri. Puis elle a souri en grand en voyant Yaka arriver à fond de train et se pelotonner contre JD en couinant. Bien dressée, elle savait qu’elle ne devait pas lécher le sang dont il était couvert, alors elle s’est tortillée contre lui jusqu’à ce qu’il pose sa main sur sa tête et lui gratte les oreilles.

Frisé s’est pointé, entouré de son peloton, avec de grands sacs de toile.

Pendant que Rafa, leur infirmier de patrouille, vérifiait notre état, les hommes de Frisé ont fait le tour de nos agresseurs, achevant les blessés et récupérant nos couteaux et ce qu’on aurait pu laisser tomber et qui pouvait nous identifier. Même si Durrani pouvait se douter de notre appartenance, on n’allait pas lui faciliter la vie, quand même. Et un témoin, même partiellement vivant, c’était encore plus dangereux qu’une douille ou un poignard.

Les hommes sortis de l’hélicoptère avaient établi un périmètre de sécurité puis, voyant qu’il n’y avait plus que des morts, sont venus nous aider à monter dans le zinc. Deux sont restés en sentinelle entre la ferme et nous.

On a été rejoints par Baby Jane et Kitty, portant nos EMA 7. Kris, réveillé, soutenait son frère qui commençait à vaciller.

- Nos sacs, j’ai dit.

- T’inquiète l’Archer, a dit Rafa, on va ramasser vos affaires, les mettre dans les sacs en toile, puis on les rapportera à la base. Le Capitaine Haïmalin, euh, Ryan, a proposé de vous ramener dare dare à la maison, nous, on prendra notre temps. Frisé voudrait qu’on fasse sauter la ferme en partant. Comme on a quelques rockets et des pains de RDX Smoking, on va se faire plaisir. Une partie des R&R va rester avec nous pour vous faire de la place, et rentrera à la base en Land.

- Merci mon gars, j’ai répondu.

- Salut l’Archer, a dit une voix éraillée.

- Frisé… ça fait plaisir de voir ta sale gueule, mon pote.

- Ah, tu devrais te regarder dans la glace, mon gars, c’est plutôt toi qui a une sale gueule, il a répliqué d’un air sardonique. Puis son visage s’est adouci. Je suis content d’être arrivé à temps, tu sais.

- Et moi donc, mon pote, et moi donc.

- La suite ? a demandé Kris qui nous a rejoints.

Il était un peu pâle, mais il tenait debout sur ses pattes de derrière, ce qui était plus que ce que pouvait faire son frère. Il avait laissé le géant entre les mains du toubib de Katja, dans l’hélico.

- J’ai discuté avec Lin en route, quand on a vu que vous étiez juste à côté de cette ferme. Elle a donné son OK pour tout faire péter, y compris les tracteurs, n’en déplaise à Erk, et pour brûler les champs.

- Très bien.

- On attend Mac et Stig, ils ne sont pas loin. On ne devrait pas avoir de problèmes à faire notre boulot et à rentrer à la base, surtout avec la 12.7.

- Bon, OK, et…

Il s’est passé une main sur le visage, étalant un peu de sang sur sa joue.

- Ecoute, Kris, repose-toi, profite du voyage en hélico, roupille un peu, et on se retrouve à la base. Le Capitaine rentre avec vous, elle me laisse des hommes et le commandement.

Avec Kris, j’étais le dernier à monter à bord du zinc. On s’est arrimés, le machin a décollé et, avant qu’il mette le cap sur la base, j’ai vu des hommes de Frisé ramasser nos sacs dans la cuvette. Puis Katja a fermé la porte.

Pendant le court voyage, d’à peine trente minutes, Kris s’est assis derrière son frère, l’appuyant contre lui, les deux bras autour de lui. Erk était torse nu et un peu éteint, voire même carrément out, on aurait dit. Mais non, sa main a attrapé celle de son frère.

Katja est venue s’asseoir avec moi, pendant que Vlad aidait le toubib à nettoyer Erk, le couvrant de Bétadine une fois ses coupures nettoyées. Le Viking a eu droit à de la chirurgie de champ de bataille, des agrafes en métal qui ont refermé la plaie la plus importante, à la jambe, le temps que Doc fasse les choses correctement avec du fil de soie.

Vlad et Kris taillaient une bavette, un peu heurtée, car Kris avait l’air aussi épuisé que nous tous. C’est vrai que, si Erk referme les plaies, il ne remplace pas le sang perdu et nous en avions tous perdu un bon peu, sauf Kitty qui, et heureusement, était intacte.

Du moins, physiquement. Elle était pelotonnée dans les bras de Baby Jane, secouée par d’énormes sanglots, et la belle Anglaise lui caressait les cheveux en lui parlant doucement.

- C’est sa première bataille ? a demandé Katja.

- Pas vraiment, mais je crois que c’est la première où elle a vu sa mort.

- Ah. Vous aviez gardé des balles pour elles ?

- Et pour Kris, qui était inconscient, si les choses tournaient vraiment mal.

- Vous avez pensé à Erik ?

- Oui, Capitaine. J’ai dit à Baby Jane d’attendre que ça parte vraiment en couilles et qu’Erk soit… plus là.

- C’est vous qui avez donné cet ordre ?

- Erk l’avait plus ou moins donné à Baby Jane juste avant de se jeter dans la mêlée…

Je lui ai raconté ce qui s’était passé, elle a écouté religieusement, hochant la tête de temps en temps, pour donner son accord sur ce que les frangins avaient fait.

- La Légion et Lin les ont bien formés…

- A propos de ça, vous savez pourquoi Lin est entrée dans la Légion Etrangère française ?

- Elle ne vous l’a pas dit ?

- Je n’ai pas osé lui demandé.

- Alors je ne dirai rien…

- Oh, allez, Capitaine… à quoi ça sert de me sauver les fesses si c’est pour que je meure de curiosité ?

Elle a éclaté de rire.

- Appelez-moi Katja, l’Archer. Mais cette histoire ne m’appartient pas. Par contre, il y en a d’autres, sur Lin et les garçons, que je pourrais vous raconter… Entre autres, une belle cuite…

- Ah oui, Erk nous en a parlé.

- Mais vous ne savez pas tout, là-dessus…

- Ah ?

- Oui, et ça, je peux vous en parler, si vous me promettez de ne rien dire à Erik, ni à Kris.

J’ai promis. Que voulez-vous, je suis tellement curieux…

- En fait, ce soir-là, le barman était dans la confidence. Et quand il nous servait de la vodka allongée d’eau, il servait de la vodka pure à Erik.

- Oh non…

- Oh si… Mais il avait mérité ça, l’affreux.

- Ah ?

- Oui, c’était il y a deux ans, deux ans et demi, environ, il s’était remis de sa blessure à l’épaule, reçue en sauvant la vie du Parrain de la Mafia Lombarde et il avait réussi un tour de force dont il était tout fier.

- Quel tour de force ?

- Dans la Légion, depuis une trentaine d’années, ils ont un concours interne officieux. Il y a un exercice de tir, qui se fait au fusil d’assaut, type EMA 7. C’est du tir instinctif. L’idée c’est de toucher les bonnes cibles en économisant ses balles. Donc du « one shot », pour reprendre le vocabulaire du jeu vidéo. Le concours officieux, c’est que c’est chronométré. Le dernier record était détenu par Lin. Erk l’a explosé de presque quinze secondes, et, en plus, en touchant deux cibles d’une seule balle, pur hasard d’après Lin, donc en faisant un coup de mieux que le minimum. Il a tout de suite appelé Lin pour se vanter, il était tellement fier de lui, et tellement chiant, que Lin et moi avons décidé de lui donner une leçon. Lin s’est débrouillée pour obtenir une permission, moi aussi, et…

- D’où la vodka diluée. Mais, sinon, Cap… Katja, votre réputation de tenir votre alcool ?

- Oh, elle est justifiée. Je ne suis pas Finlandaise pour rien.

Et elle a souri. Je me suis marré, ayant un peu oublié mon état. Mes coupures se sont rappelées à moi, alors j’ai regardé mes camarades.

Kitty ne pleurait plus, toujours pelotonnée dans les bras de Baby Jane. Tito, JD et Quenotte formaient un tas, enroulés dans une couverture de survie et avachis les uns contre les autres. Ils dormaient, Yaka sur les jambes de JD. J’aurais bien fait comme eux, mais il y a eu du remue-ménage du côté des frangins.

Kris avait attrapé les poignets d’Erk et essayait de l’immobiliser et lui se débattait comme un beau diable. Vlad prêtait main forte à Kris mais même à deux ils avaient du mal à restreindre le géant, malgré sa fatigue.

- Putain, Erik, arrête de gratter, tu vas arracher les agrafes et empirer les choses.

- Ça brûle, Kris, ça fait mal…

Et dans sa voix, il y avait presque des accents de petit garçon en larmes. J’ai eu pitié.

- Retire-les, Kris, s’il te plaît, s’il te plaît… Ça fait trop mal…

Et il a échappé à son frère, a partiellement décollé son pansement à la jambe et a réussi à arracher une agrafe.

- Putain, Erik ! Arrête tes conneries !

Furieux, Kris a attrapé les poignets de son frère, les lui a tordus dans le dos, lui arrachant un cri de douleur, et, utilisant une bande, les a attachés ensemble. Puis, passant ses bras autour du torse du géant, il a attrapé la tête d’Erk entre ses mains et l’a bloquée, pendant que Vlad se couchait sur ses jambes.

Erk a gémi, essayant encore de se débattre.

Katja a demandé au toubib de lui céder la place, il s’est décalé, elle s’est assise à califourchon sur les jambes du géant.

- Eiríkur, laisse-moi regarder, tu veux ?

- Ça fait mal, Katja… Ça brûle.

- C’est pour ça qu’il faut que je regarde, mon grand, d’accord ?

Il a gémi, s’est tendu puis affaissé dans les bras de son frère, qui a desserré sa prise et lui a caressé la joue en échange. Lentement, Katja a retiré tout le pansement et a observé la plaie. Elle a fait une sale tête.

- Toubib, la pince.

- Mais, Capitaine, si vous les enlevez, il va saigner et…

- Et si on les laisse, il va nous faire un choc anaphylactique !

Merde !

- Mais, Capitaine, c’est de l’acier inox, y a pas moyen d’y être allergique…

- A moins de s’appeler Hellason. Allez, la pince !

Elle s’est tournée vers le géant.

- Erik, je suis désolée, ça va faire mal, mais il faut faire vite.

Il n’a rien dit, elle a commencé à enlever les agrafes à toute vitesse. Le toubib a sorti des compresses et les a collées sur la blessure, pour éviter que de la poussière ou autre y entre. Bien sûr, elles ont vite rougi.

- Pardon, grand frère, je n’avais pas vu.

- Je sais… pas grave, Kris…

- Bon sang, arrête, j’aurai dû y penser, avec nos allergies. Je suis vraiment désolé…

- Kris, arrête de te culpabiliser. Aïe ! Ce n’est pas toi qui m’as valu d’avoir ces agrafes.

- Peut-être, mais je t’ai fait mal et… merde, mon grand, un choc anaphylactique…

- Heureusement que Katja…

Il a gémi quand elle a bougé avec un trou d’air de l’hélico.

- C’était à moi de veiller sur toi, de savoir…

- Kris… Arrête…

- Non, mais, Erik…

- Kris, hætt ! Stop ! Si tu veux te faire pardonner, tu seras mon esclave personnel le temps de ma convalescence. A ma botte ! Na !

Kris a paru surpris, puis il a souri, serrant son frère dans ses bras.

- D’accord, mon grand.

Erk a eu l’air étonné de cette réponse mais il n’a rien dit.

- OK, c’était la dernière ici, a fait Katja. Kris, où votre trousse à pharmacie ? Celle avec la soie et les huiles essentielles ?

- Restée dans la cuvette, je crois.

- Ah.

- Oui, ah.

- Bon, toubib, bande-moi ça serré et Kris, délie ton frère, tu veux bien. Et toi, Erik, va falloir que tu me dises comment tu as pu chopper une estafilade sur le bide avec ton pare-balles !

Je n’avais pas bien vu, mais il avait en effet un deuxième pansement, sur le ventre, et Katja était là aussi en train de retirer des agrafes à cet endroit.

- Je suis trop grand. C’est un petit nerveux qui m’a eu. Il a tranché les attaches velcro du gilet, puis il a visé le bide. J’étais aux prises avec un de ses potes quand il a coupé le gilet, mais j’ai pu faire un pas en arrière quand il a visé la barbaque. Par en-dessous.

- T’es verni, en tout cas. Y a que le muscle qui a pris. Dis-moi, tu fais la collec’ de cicatrices ? Parce que là, tu vas en avoir de belles, presque collector.

- Nan, les collector, c’est le tigre de Sibérie et le pieu de Milan. Le couteau, c’est un peu mainstream pour un soldat.

- C’est sûr.

- Je compte sur Cook pour les effacer. Il a fait des merveilles avec mon dos, je pense qu’il doit pouvoir faire disparaître celles-ci.

- C’est vrai que votre cuistot est un peu sorcier, lui aussi.

- Katja, ce n’est pas de la sorcellerie !

- J’adore quand tu cours alors que je te fais marcher, Erik. Vlad, arrête tes conneries de mauvais œil, tu veux !

- Oui, Katilla, a grommelé le Polack en faisant le signe de conjurer le sort derrière son dos malgré l'interdiction.

Puis il s’est tourné vers la cabine un instant.

- Le promontoire est en vue, il a annoncé en se tournant de nouveau vers nous.

- Promontoire… ben mon vieux, tu en connais, des mots savants, Vlad, a rigolé Erk, le visage un peu pincé quand même.

- Pierdol się, Erik !

- Ah, un fan du café sans sucre on dirait…

- Suffit !

La voix de Katja a claqué et les deux hommes se sont tus. Puis, d’un seul coup, mais sans drame, Erk s’est évanoui. Il a fermé les yeux et n'a plus bougé. La douleur, la fatigue et la perte de sang l’avaient rattrapé.

- Ouf, a dit Vlad, il arrêtera de se foutre de moi.

- Si tu arrêtais de faire ton bûcheron de l’Oural, aussi, głupi, a rétorqué Katja.

Vlad a pris un air offensé, mais elle lui a coupé l’herbe sous le pied.

- Oui, je sais, l’Oural c’est en Russie. Mais pour un bûcheron pas éduqué, Oural ou Tatra, c’est pareil, non ?

Et sur ces bonnes paroles, on s’est posé sur notre promontoire.


[Pierdol się (polonais) : fuck you, en bon français – głupi (polonais) : idiot]

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