XLV

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Donc, après une bonne sieste, un dîner léger mais très énergétique, on a embarqués dans les deux hélicos, qui pouvaient transporter quinze personnes, équipages inclus, chacun. Yaka n’a pas vraiment apprécié le trajet. Elle était plaquée au sol entre les pieds de JD, les oreilles collées au crâne. Kitty s’est assise aux pieds du maître-chien et a passé le voyage à caresser la chienne. Kitty était la seule à ne porter que son pare-balles et son Béhémoth. Elle resterait dans l’hélico jusqu’au bout.

Au bout de presque quatre heures de vol pendant lesquelles on a tous plus ou moins somnolé, ou révisé l’action à venir dans nos têtes, on s’est posé à deux kilomètres des sentinelles, on a descendu nos cagoules sur nos visages et on s’est approchés lentement de la base, utilisant les bâtiments pour s’avancer tels des fantômes. Le périmètre des sentinelles était sensiblement le même que lorsqu’on avait étudié la carte la veille au soir et chacun des quatre assassins s’est glissé vers ses cibles. Les plus éloignées étaient réservées aux archers, Dio et moi.

En quelques minutes, les huit sentinelles étaient définitivement écartées. Des fois, ça me réveille la nuit. J’ai la chance de les tuer à l’arc, à distance, et ça me file des cauchemars. Je n’ose pas imaginer ce que ressentent ceux qui les éliminent au corps-à-corps, comme Tito ou Bloody Mary.

J’ai vérifié mon ordi d’avant-bras et j’ai validé avec Erk.

Et puis on a eu une très mauvaise surprise : P’tite Tête nous a annoncé qu’il n’arrivait pas à chevaucher les ondes, Erk lui a dit de laisser tomber. Plus tard, lors du debriefing, on penserait que c’était parce qu’il y avait eu trop d’échanges et de canaux différents autour de nous cette nuit-là. Erk lui a dit de ne pas s’en faire.

On s’est avancés lentement vers le bâtiment où se tenaient ceux qui dormaient encore. J’ai ressorti ma burette d’huile pour les charnières de la porte d’entrée. On est entrés, à peine plus bruyants qu’un courant d’air. On s’est glissés dans les pièces à droite, les R&R prenant les pièces de gauche. Elles étaient vides, heureusement pour nous.

On est montés à l’étage, très lentement, Erk devant pour tester les marches. Aucun bruit à l’étage, tout était très silencieux.

En haut des escaliers, on s’est trouvé devant un couloir qui partait à droite et à gauche des marches. Un poing levé nous a arrêtés. Le Viking a cédé la tête à Kris qui, après avoir observé et écouté, après avoir consulté son ordi de bras, d’un geste de la main, nous a répartis de chaque côté. Kris, Erk, Tito et moi devions nous diriger vers la cible une fois les hostiles maîtrisés.

Et là, les choses ont merdé. Forcément, on avait eu un putain de bol jusqu’à présent, y avait pas de raison que ça dure. Murphy s’est pointé et a foutu le bordel. On avait dû déclencher une alarme silencieuse parce qu’ils nous attendaient. J’avais trouvé bizarre, aussi, que le rez-de-chaussée soit vide. Même si les chambres étaient à l’étage, il aurait dû y avoir au minimum un ou deux mecs en sentinelle au rez-de-chaussée, comme, chez nous, y a toujours des mecs éveillés dans le caravansérail, en plus des sentinelles sur le périmètre et à la barbacane.

Du côté de Katja, à notre droite, ça a défouraillé sec, y a eu des cris de douleur, Erk a sursauté, Kris l’a retenu. Katja, connaissant la propension du Viking à faire fi du danger pour se porter au secours des blessés, nous a tout de suite signalé des blessés légers, qu’elle a renvoyés vers Erk si nécessaire. Mais bon, quand je dis blessés légers, c’était vraiment légers et il n’y en a eu qu’un qui a eu besoin d’un soin.

Les tirs sont devenus sporadiques, les « pièce sécurisée !» se sont succédés sur le canal radio puis silence. Katja a confirmé que c’était fini de leur côté. Pas d’autres blessés.

De notre côté, on était, Tito et moi, à plat ventre en haut de l’escalier, juste la tête et le flingue qui dépassait, et on attendait que les mecs de droite, une demi-douzaine, se montrent. Bizarrement, ils étaient restés planqués.

Bon, on a vite compris pourquoi : ils nous attendaient. On avait à peine posé le pied dans le couloir, tous les quatre, qu’y a du plomb qui a volé et Kris, devant nous, a pris une balle dans la cuisse. Il est tombé avec un cri de douleur, les yeux à moitié révulsés. J’ai flippé, me demandant ce que Erk ferait si jamais... Ça l’a foutu en rogne mais il s’est vite contrôlé. Il a fait une grimace de prédateur, montrant les dents, puis son visage s’est détendu en partie. Il a tiré son frangin à l’abri, a vérifié que la balle l’avait bien traversé et l’a soigné partiellement. J’ai regardé ses mains. Elles ont brillé, comme toujours. Mais elles tremblaient.

Kris avait perdu suffisamment de sang pour devoir rester en arrière. Il était plutôt pâlot, suant, et trop faible pour tenir debout (et Erk le lui avait interdit). Mac l’a récupéré et l’a allongé au sol, plutôt que dans les escaliers, entre les R&R et nous. Il a fait son rapport à Lin en français pendant qu’on échangeait du plomb avec les mecs d’en face. Y avait Erk, Tito, Dio, Mac, ma pomme en première ligne, puis Kris au sol avec Katja à ses côtés, puis ses hommes derrière, qui canardaient aussi nos cibles.

On a eu de la chance, ils se sont tous regroupés dans le fond du couloir et on a pu les descendre les uns après les autres quand ils sortaient des pièces pour nous canarder. Erk touchait des épaules ou des genoux, rendant les types inopérants. Il ne les soignerait pas, ceux-là. Bon, faut dire que nous, on était moins difficiles dans le choix de nos cibles et que je crois bien qu’on les a achevés.

Il en restait trois quand ils se sont décidés à se planquer dans une chambre. De mémoire, c’était la chambre de la cible. Là, d’un seul coup, le bruit s’est calmé. On s’est mis en colonne pour avancer, la main de Tito sur la hanche du Viking, vu qu’il était trop petit pour atteindre son épaule. Derrière le géant, ma main sur l’épaule de Tito, j’avais l’impression que sa large carrure nous protègerait de tout. J’avais une impression de sécurité complètement à rebours de la situation. Et complètement absurde.

Deux gars sont sortis de leur cachette en tirant, Erk les a descendus. Je crois que cette fois-ci, il a juste réagi. D’après mes calculs, ma mémoire et mon ordinateur de bras, il restait deux personnes dans le bâtiment : un hostile et la cible.

- Si je prends une bastos, a grommelé Erk, je vais pas finir d’en entendre parler. Bon. J’y vais, j’ai besoin d’espace pour me foutre à l’abri, alors vous restez à l’écart et soyez prêts à tirer si ça merde. Attention à l’otage. L’Archer, tu vois quoi ?

Il aurait pu regarder son écran, mais ses yeux bleu bourrache étaient fixés sur la porte menant à la piaule où s’était réfugié le dernier hostile.

- La cible est dans le premier coin à gauche en entrant. L’hostile est en face de la porte. Ils sont seuls.

- OK. Merci.

On a entendu le bruit d’un truc métallique qui glissait sur le plancher. Un flingue ? Pire ?

Erk s’est encore approché, restant dans l’angle mort. Je l’ai guidé lentement, suivant les mouvements du mec sur mon écran pendant que Tito, couché de tout son long derrière Erk et rampant à sa suite, vérifiait que le type ne bougeait pas.

- Oh, tu m’entends, mon gars ? il a demandé en anglais.

Pas de réponse. Erk s’est présenté devant la porte, ne montrant que son épaule gauche et la moitié de son visage.

On a entendu des sanglots et Erk s’est crispé. Je ne voyais pas son visage, mais j’ai bien entendu sa colère quand il s’est adressé au type.

- Rends-toi, tu n’as aucune chance, tes camarades sont morts. Rends-nous l’enfant !

- Leck mich am Arsch ! a répondu le type en tirant trois fois sur Erk.

J’ai entendu un grognement puis l’épaule gauche du Viking est partie en arrière, il a pivoté en perdant l’équilibre et s’est retrouvé à genou, la main gauche au sol, face à nous ou presque.

- Skítt ! a dit le géant en se redressant. La balle avait glissé sur le gilet pare-balles, le choc le déséquilibrant. C’était heureusement du 9mm OTAN et pas du plus gros ni du Magnum, donc à part un ego froissé et un gros bleu, il n’avait rien. Il s’est remis face à la porte, il semblait furax.

- Arrête tes conneries et rends-toi, putain ! Tu ne peux pas continuer à tirer avec une enfant à tes côtés. Elle doit être terrifiée.

- Ta gueule ! il a répliqué et on a entendu un petit glissement de métal contre métal, puis le bruit de quelque chose de métallique qui rebondissait et que Dio a tout de suite identifié.

- Grenade !

On s’est éparpillés dans les piaules vides, Igor s’est couché sur Kris, Vlad sur Katja qui lui tenait compagnie et la grenade a explosé. Bruit, poussière, lumière aveuglante. Heureusement, ce n’était pas une grenade à fragmentation, sinon on était tous morts. Donc, pas d’autres blessés, mais des sourds temporaires. Fait chier !

La seule chose qu’on a entendu, c’est un hurlement de terreur, un cri aigu, qui durait.

- Cassandra, tu m’entends ? Erk a demandé, dès que le cri s’est calmé. On retrouvait notre ouïe.

- Oui. Elle sanglotait, la pauvre gosse. Je veux m’en aller, je veux partir loin du bruit.

- On va faire ça, poussin.

- Je veux que le bruit s’arrête.

- On s’en occupe, chaton, ne t’inquiète pas. Eh, mon gars, comment tu t’appelles ?

L’autre n’a pas répondu.

- Tu veux vraiment continuer à la faire pleurer, la gosse ? Tu ne crois pas qu’elle a assez souffert comme ça ?

- Karl, je veux que tu arrêtes de faire du bruit, a dit une petite voix toute chargée de larmes.

Le géant n’a rien dit. Il a attendu. Au bout d’un moment qui m’a paru durer une éternité, un Glock 17 a glissé sur le sol jusqu’à ses pieds.

- Je me rends.

Erk est entré dans la pièce en baissant la tête, on l’a suivi, Tito, Baby Jane et moi. On a sécurisé le type, Karl, le désarmant et lui attachant les poignets dans le dos avec des zip-ties, et ils sont ressortis avec lui, suivant les autres qui redescendaient vers la sortie, Dio portant Kris. Erk s’est approché de l’enfant, cachée derrière un bureau métallique renversé. Au moins, il avait pensé à la protéger, je me suis dit en voyant le truc massif qui cachait le coin gauche.

J’ai fait le tour de la pièce pour m’assurer qu’il n’avait pas laissé de « cadeaux » derrière lui. On ne sait jamais. Erk essayait de convaincre l’enfant de le suivre.

- Cassandra ? C’est Alyss qui nous envoie. Elle est avec nous et elle nous a demandé de venir te chercher.

- C’est pas vrai, j’te crois pas.

- Pourquoi tu ne me crois pas, poussin ?

- Alyss m’a dit de me méfier des étrangers et j’ai oublié de le faire quand Karl est venu me chercher.

- Alyss a raison. Ecoute, je vais te passer mon talkie-walkie, tu vas pouvoir lui parler. Elle n’est pas loin d’ici, dans un hélicoptère, elle attend de savoir si tu vas bien.

Bien sûr, Kitty, connectée comme nous avec oreillettes et laryngophone, entendait tout et savait que sa sœur allait à peu près bien. Mais il fallait rassurer la petite fille.

Erk a décroché le talkie de sa ceinture, l’a allumé et l’a tendu à la petite par-dessus le bureau en remontant sa cagoule.

- Lève la tête, poussin, tu verras le talkie. Appuie sur le bouton rouge pour parler à Alyss et arrête d’appuyer pour l’entendre.

Pas de signe de vie de l’autre côté du bureau. Erk a répété sa phrase, mot pour mot, sans aucune trace de la colère qu’il avait eu en parlant à Karl. Une petite main – si petite, putain, ça m’a vraiment rappelé que notre cible n’était qu’une enfant – s’est tendue vers le talkie noir et l’a attrapé.

Pendant que les deux sœurs se parlaient, j’ai commencé à retourner vers l’escalier. Je me suis fait un peu peur, le plancher, fragilisé par l’âge – presque cinquante ans, dont vingt sans maintenance –, craquelé par l’explosion de la grenade, s’est mis à grincer.

A travers les oreillettes, j’ai entendu la voix du Viking qui rassurait l’enfant puis comme il était seul, il a fait comme les astronautes, il a décrit ce qu’il faisait, tant pour nous en informer que pour rassurer la petite.

- Très bien, Cassandra, je vais mettre mon arme dans le dos, je vais tirer le bureau et te prendre dans mes bras. Je suis au-dessus de toi, regarde. Viens ma grande. Là, là, je te tiens, tout va bien, tout va bien.

On l’a entendu pleurer encore un peu, elle a reniflé.

- Tiens, poussin, un mouchoir pour te moucher. Voilà, très bien. Garde-le dans ta poche. Tu ne veux quand même pas que je mette tes microbes dans ma poche ?

Elle a gloussé.

- Tu as des vêtements à prendre, des doudous ?

- Non, rien. C’est pas à moi, tout ça.

- Très bien, tu vas juste mettre tes chaussures, les miennes sont un peu grandes pour toi. Elle a encore gloussé. OK, maintenant, on va prendre quelques chaussettes et culottes, hein ? Je les mets dans mes poches, là. Tu es prête ? Accroche-toi… pas aussi fort, tu m’étrangles, là… Parfait. Je me lève et on va retrouver Alyss. Ah, écoute, tu entends ce bruit ?

- Oui.

- Ce sont les hélicoptères qui se sont rapprochés pour qu’on retrouve ta sœur plus vite. Tu frissonnes, tu as peur ?

- Non, j’ai froid.

- Attends, je vais t’enrouler dans mon écharpe.

- Elle est grande, ton écharpe, dis donc !

- Eh, c’est que je suis grand, moi ! Voilà, ça va mieux ?

- Oui. Dis, comment tu t’appelles ?

- On m’appelle Erk.

- C’est bizarre comme nom, on dirait que tu vomis.

- Je te remercie, a-t-il dit d’un ton faussement vexé. Ça l’a fait glousser, la petite. Allez, on sort d’ici.

J’étais au pied de l’escalier quand j’ai entendu ses pas à l’étage, se dirigeant vers moi.

Et dans un grand craquement, le plancher du premier s’est effondré sous lui, entraînant une partie de la maçonnerie et Erk a disparu sous un tas de gravats.

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