XXI

8 minutes de lecture

- Kris ! Que se passe-t-il, bon sang ?

- Erk, ici Tito. Exploitation sécurisée. Deux blessés graves.

Le cœur d’Erk a fait un bond dans sa poitrine. Tito a continué.

- L’Archer et Igor.

- OK. Il avait l’air soulagé, le Viking. Diagnostic ?

- L’Archer a pris une balle dans la tête, à travers le casque. Ça pisse le sang, il est dans le coaltar. Il respire.

- Calme-toi, Tito. Je t’envoie Kris, c’est lui qui a la trousse à pharmacie. Eclaire bien la blessure : est-ce que la balle a pénétré la boîte crânienne ?

- J’ai pas l’impression. Putain, y a du sang partout… Merde, tiens bon mon pote ! Meeerde !

- Tito, calme-toi…

- Erik, ici Kris, je suis avec l’Archer. Le pouls est fort pour l’instant, relativement rapide, la balle a bien mangé le cuir chevelu, l’os est touché mais j’ai l’impression que le casque a joué son rôle.

- OK. Fais un pansement pour limiter l’hémorragie. Si le cerveau n’est pas à nu, utilise du cyste en HE. On arrive.

- Quoi ?

- On est en route pour l’hélico G1, on arrive dans quinze minutes. G2 va suivre. Parle-moi d’Igor.

- Erk, ici Tondu. Je suis avec Igor.

- Attends un instant, a dit Erk en grimpant dans l’hélico. Phone, préviens Lin des blessés, pas utile qu’elle fasse demi-tour. Dis-lui que j’y vais. Préviens le Gros, aussi. OK, Tondu, je t’écoute.

- Igor a pris une balle juste sous la clavicule à gauche, ça saigne beaucoup.

- OK, le sang est clair ou foncé ?

- Foncé je crois.

- Tu crois ? Tondu, faut savoir, là !

- Putain, Erk, c’est difficile de voir la différence, de nuit !

- OK, OK, reste calme, Tondu. Ça sort par saccade ou fluidement ?

- Euh, fluidement.

- Bonne nouvelle, ça doit être la veine sous-clavière ou le poumon.

- T’appelle ça une bonne nouvelle ?

Le visage d’Elise, assise à côté d’Erk dans la carlingue, reflétait la même question et le même outrage.

- Oui, ça aurait pu être l’artère sous-clavière, et là…

- Oh. Désolé. Bon, je fais quoi ?

- La balle a traversé ?

- Euh, je… oui, j’ai vérifié, oui.

- Très bien. Tu lui retires son gilet, sa veste et son tee-shirt, tu fais pression sur la blessure des deux côtés et tu l’installes dans une position confortable pour lui, qu’il puisse respirer. Ne le couvre que s’il frissonne. Le froid va ralentir un peu l’hémorragie. On n’est plus très loin.

Elise avait appelé G2 pour savoir s’il avait décollé. Il devait charger deux matelas et des couvertures et décoller ensuite.

- Kris, si l’Archer est stabilisé, va voir Igor, tu veux ? Et surtout ne les bougez pas.

- OK. Vous êtes loin ?

- Attends, je demande. Elise, notre ETA sur site ?

Elle s’est levée, est allée voir son pilote.

- Kris, ETA trois minutes.

- OK. Pourvu qu’Igor tienne le coup.

- A ce point-là ?

- Ouais, notre homme est stabilisé, mais pour le Ruskof, c’est plus juste. Pouls rapide et faible.

Elise est retournée dans le cockpit pour demander au pilote d’accélérer.

- Je vois. Signale-moi ta position par un fumigène, tu veux ?

- J’ai du rouge, j’envoie dès qu’on entendra les rotors. Putain !

- Quoi ? Kris, quoi ?

- L’avion a décollé !! Bordel ! Curtis, roquette, roquette !

Devant l’hélico, le petit Piper JA-22 a jailli de son hangar, suivi par la traînée lumineuse de la roquette Blazt-8. Pendant un moment, ils ont cru que l’avion échapperait au missile puis il y a eu une boule de feu et plus rien. Mais Erk et Elise n’ont rien vu de tout ça. L’hélico s’était posé, Erk a jailli du coucou, déséquilibré par son bras en écharpe il a failli tomber, s’est précipité vers le fumigène rouge.

Il a posé sa main droite sur la blessure et sa main s’est mise à briller, un blanc chaleureux. Igor, dont la respiration était très superficielle jusque là, a pris une grande inspiration et a ouvert les yeux. Elise s’est agenouillée à côté de lui, inquiète.

Erk avait arrêté l’hémorragie et réparé la veine sous-clavière et le haut du poumon gauche, déchirés par la balle. Dans le dos, il avait aussi bossé un peu. Restaient un trou dans la peau de chaque côté, qui se répareraient tous seuls. Kris a vérifié le pouls du Russe et a hoché la tête, satisfait. Il avait perdu suffisamment de sang pour être très faible et seul le repos arrangerait ça. Mais sa vie n’était plus en danger.

- Bien joué, frangin. Tondu, tu restes avec lui. Elise, dites à vos pilotes de se poser à gauche du hangar et de faire le plein, Curtis et Ladislas sont là-bas. Bróðir, ça va ?

- Ouais, ça va. L’Archer ?

- Par ici.

Les deux frères se sont approchés de l’Archer et de Tito. Bloody Mary se tenait là aussi, debout en sentinelle. Erk s’est agenouillé à côté du blessé, a défait le pansement avec l’aide de son frère et a examiné la plaie.

- Quelle veine de cocu ! Cette blessure et son casque serviront pour rappeler à tous l’importance de le porter, ce putain de casque.

Il a posé la main sur la blessure et sa main a de nouveau brillé. Encore une fois, il a arrêté l’hémorragie et réparé l’os, que la balle avait sévèrement entamé. La plaie se refermerait toute seule et lui avait perdu moins de sang que le Russe. Par contre, le choc avait dû lui mettre le cerveau à l’envers. Il était toujours dans les vapes, avec un pouls et une respiration à peu près normaux.

Erk s’est assis un peu brusquement.

- Oops… Ça tourne…

- Oh, ça va ? a demandé Tito, qui tenait la tête de l’Archer sur ses genoux. Kris était parti vérifier, avec les valides restants, que la base était bien vide avant de demander à Ladislas, expert en démolition, de placer les pains de Smoking pour araser les bâtiments. Ils ont placé un pain ou deux sur la piste d’atterrissage, pour la rendre inutilisable. L’idée c’était de garder les champs et le matos agricole, mais c’est tout.

- Ça ira mieux après une petite sieste, je pense.

- Erk ?

- Oui Tito ?

- Si tu veux, tu peux t’asseoir dans mon dos et t’appuyer sur moi…

- Je suis un peu grand, non ? a dit le géant en bâillant.

- Ce sera toujours plus confortable que par terre. Et plus facile pour te relever.

- C’est pas faux, tout ça.

Le Viking s’est levé et s’est assis derrière Tito, s’appuyant sur le dos de l’Albanais et posant la tête en arrière sur son épaule. Il dormait dans la minute qui suivit. Tito a tourné la tête vers lui et caressé les cheveux soyeux, un petit sourire aux lèvres.

Quand Kris et Elise les ont rejoints, celui-ci a eu un sourire attendri en voyant le tableau. Tito a levé les yeux, sans bouger, pour ne pas réveiller le géant. Kris s’est accroupi devant lui.

- Merci pour lui, Tito. Le plein des hélicos est fait, on va charger les blessés. P’tite Tête et Quenotte vont venir avec un matelas pour l’Archer, faudra les aider à le charger dans le coucou. Pour info, Doc est prévenue, elle et Nounou les attendent au bloc. L’Archer en premier, d’après elle, puis Igor. Il n’est pas trop lourd, le couillon dans ton dos ?

- Ça va, j’ai équilibré.

Kris a fixé ses yeux gris bleu sur l’Albanais avec un sourire en coin et Tito a rougi.

- Je m’en doutais un peu, figure-toi. J’espère que t’en as bien profité, tu sais comment il est. Oh, mon pote, rougis pas autant, tu vas prendre feu !

Tito a fini par rigoler faiblement. Kris s’est relevé, est passé derrière lui pour réveiller son frangin. Ça a été un peu dur, mais le Viking a fini par ouvrir les deux yeux et accepté l’aide de son frère pour se lever.

Le matelas est arrivé, l’Archer a été déposé dessus, délicatement, Tito s’est relevé, engourdi et ils ont tous embarqués dans l’hélico G1, qui a rejoint G2 déjà en l’air. Erk a encore roupillé pendant le trajet.

* *

De retour à la base, les deux blessés sont partis direct au bloc et Doc a décidé de faire passer Igor d’abord. Elle a admiré le boulot du géant et a demandé à Nounou de mettre Igor sous perfusion dans un des lits de l’infirmerie, après avoir suturé et fait un pansement.

Pour l’Archer, plus d’inquiétude, et après avoir suturé la blessure, elle l’a mis, avec l’aide de Tito toujours couvert du sang de son pote, dans la chambre qu’Erk avait occupée avant, en lui collant plein d’électrodes pour surveiller ses constantes.

Elise est allée chercher le Viking, qui peinait à garder les yeux ouverts. Elle lui a pris sa grande paluche dans ses deux minuscules menottes et, avec un trémolo dans la voix, elle l’a remercié. Elle a dit à Kris, qui soutenait vaguement son frère, qu’elle comprenait ce que le capitaine Haïmalin trouvait à BLC : pas orthodoxes pour un rond, limite anticonformistes, mais rudement efficaces. Kris l’a remerciée et est allé coucher son frère. Chacun son tour.

Quand Lin est enfin arrivée à la base, Doc lui a fait son rapport. Quand elle a appris que l’Archer était dans le coma, son visage est devenu de marbre. Elle a rejoint Kris dans la chambre et elle a pris la main de l’Archer dans la sienne. Puis elle s’est penchée à son oreille et a murmuré quelque chose.

Kris lui a fait son rapport. Elle a eu l’air satisfait de la tournure des événements, malgré les deux blessés.

- Où est ton frère, Kris ?

- Il dort. Ce hálfviti … je ne devrais pas l’appeler comme ça. Il a donné tout ce qu’il avait pour sauver les deux gars. J’espère que l’Archer sortira vite de son coma.

- Moi aussi.

La voix de Lin était bizarre, alors Kris l’a dévisagée. Puis, il l’a prise dans ses bras et lui a caressé les cheveux, chuchotant des mots de réconfort en islandais. Le capitaine, si forte, si dure-à-cuire, si badass, pleurait. Ça n’a pas duré longtemps, car le Lys de Sang est réapparu une fois les larmes sorties.

L’Archer resterait dix jours dans le coma. Puis, un matin, il ouvrirait les yeux.

* *

Au final, les R&R sont restés un jour de plus, le temps que le blizzard sur leur base s’arrête. Igor a profité des compétences du Doc qui lui a dit de se reposer un maximum avant de retourner faire l’idiot. Je crois qu’ils étaient contents de repartir, parce que passer trois nuits au mess sur des matelas par terre, c’était pas terrible.

Le bon côté, c’est que les hommes ont appris à se connaître. Il y a eu échange d’indicatif de la compagnie pour des mails, au cas où. Kris ne s’est pas vengé du sourire satisfait de Curtis. Ils ont donné l’impression de bien s’entendre.

La vie a repris son cours.

Annotations

Vous aimez lire Hellthera ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0