XIII

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Erk faisait tranquillement le tour des sentinelles et venait de quitter la dernière, de s’approcher de
« son » fossé et d’y jeter un œil. Au milieu du fossé, il avait laissé un chemin d’environ 3 m de large, pour permettre le passage de la Land Rover, entre autres.

Il était en train de se dire qu’il faudrait qu’il approfondisse un peu à l’ouest quand il avait reçu sur le dos un filet lesté –pas suffisamment. Il était en train de s’en dépêtrer quand des bolas s’étaient enroulées autour de ses chevilles, le faisant tomber au bord du fossé, empêtré dans le filet.

Et là, son corps avait été secoué par un tir de Taser. Ses dents avaient claqué, il avait failli se mordre la langue. Alors que le choc lui avait retiré le contrôle de ses membres, il avait été dépouillé de tout sauf pantalon et tee-shirt. Ses chaussettes lui avaient aussi été retirées. Dans ces montagnes, il ne fait pas bon marcher pieds-nus…

Comme il avait commencé à surmonter les effets du Taser, il s’en était pris un deuxième coup. Ils l’avaient attaché avec de la grosse corde de chanvre et mis en travers d’un cheval, sur le ventre. Il a plaint le cheval. C’est tout lui, ça…

Il ne se souvient pas vraiment du voyage, si ce n’est que son dos s’est mis à lui faire mal de nouveau, qu’il a senti les plaies se rouvrir, et que voyager tête en bas avec un truc qui vous rentre dans l’estomac, ça fait gerber. Au sens propre.

Avant de perdre conscience, il s’est dit que son vomi ferait un bon repère pour le chien-loup. Pendant les deux jours où il s’était reposé, il avait fait ami-ami avec les bêtes, Alpha et Yaka. Alpha est un grand mâle balèze, Yaka, une femelle plus fine et nettement plus intelligente. Leur fourrure est gris-jaune, adaptée aux paysages d’ici et ils ont un excellent flair.

Il était passé de l’inconscience au sommeil quand le bruit des sabots sous la voûte de l’entrée de la forteresse l’a réveillé. Ça, et une main qui lui flattait le postérieur. Et vu qu’il est à 200% hétéro, le choc l’a bien réveillé !

L’absence d’ombre au sol lui a révélé qu’il était environ midi. L’heure à laquelle on traversait la rivière, nous.

On l’a jeté à bas du cheval qui a poussé un gros soupir de soulagement, paraît-il. Sans le détacher, les FER l’ont traîné – 110kg de bonhomme, j’espère qu’ils en ont bien chié ! – dans une salle en sous-sol, à peine éclairée par des lampes électriques, sur batterie. Ils l’ont posé un peu brutalement sur une chaise en bois. Sans plus le sécuriser.

Les mecs parlaient dari, qu’Erk ne comprend pas. Ils ont fait des signes, l’ont montré du doigt, puis un coup est parti, droit vers son estomac. En se pliant en avant, il a crispé ses abdos, qui ont encaissé le coup. D’autres coups ont suivi, tous au ventre. Il a des abdos en acier, c’est pour ça que malgré les coups, à part son foie qu’a un peu morflé – rien de grave –, il n’a pas d’autres dégâts internes. Par contre, tout son ventre n’est qu’un hématome, que Doc et Kris ont soigné avec de l’huile essentielle d’hélichryse, un vrai miracle pour les bleus.

Puis, ils ont fait une pause. Il en a profité. Il s’est jeté en arrière, basculant avec la chaise, a fait une roulade arrière, il a eu le temps de passer ses poignets devant lui, ce qui, avec son physique de lutteur, n’est pas si facile. Il s’est redéboîté l’épaule que son frangin avait malmenée pour le faire. Il a saisi, dans la botte d’un mec derrière lui, le couteau dont le manche dépassait, un beau poignard à tête d’aigle, et il a tranché ses liens avec.

Les mecs étaient tellement surpris qu’un type qui avait pris autant de coups puisse bouger autant et aussi vite, qu’ils en sont restés comme deux ronds de flanc, sans réagir. C'était l'adrénaline qui le soutenait.

Et puis, le poignard en main, il s’est jeté dans la mêlée, avec comme seul but d’atteindre la porte et se tirer. Il nous a dit qu’à ce moment-là, il a frappé avec le manche du poignard, il voulait juste se frayer un chemin.

Il avait atteint le pied de l’escalier quand il a entendu une détonation et il s’est retrouvé à quatre pattes, une douleur atroce à l’épaule gauche, celle qu’il avait déboîtée, juste sous la clavicule. Dans les secondes qui ont suivi, les mecs encore valides lui ont sauté dessus et sur un ordre du chef, l’ont plaqué au sol, sur le ventre. Y en a un qui l’a chopé par les cheveux pour lui bloquer la tête. Puis grand silence.

Tellement silencieux qu’il a entendu les pas du chef qui descendait lentement l’escalier, sabre à la ceinture, un .38 Spécial fumant à la main.

- Je t’avais dit que tu serais à moi, roumi, a-t-il dit d’une voix douce.

Il lui a caressé le visage, sur lequel fonçait un hématome. Il a passé le pouce sur les lèvres du grand blond.

- Tss tss, ton si beau visage.

[C’est étonnant d’entendre les paroles du chef dites avec la voix monocorde d’Erk, mais on peut imaginer que la voix du chef était plutôt caressante, vues les paroles.]

- Heureusement, un bleu disparaît vite, avec un peu de glace et de la douceur.

La main du chef a quitté la joue et, très lentement, est descendue jusqu’au fessier du géant. Il s’est crispé. Caresse prolongée sur ses rondeurs. Il a serré les dents. Il transpirait, et ce n’était pas uniquement dû à la douleur, tant de son épaule que de son ventre.

Et puis le chef a dégainé un couteau au tranchant ultra affuté et très pointu. Il l’a montré au Viking, s’est piqué le doigt pour lui montrer à quel point l’arme était pointue.

- Ecartez-lui les jambes. Le chef a parlé en dari puis en anglais, pour être sûr que son prisonnier comprenne.

« Non, pas ça » a pensé Erk, complètement paniqué. Il a serré les jambes le plus fort possible, mais une piqûre juste au-dessus du genou avec la pointe du couteau lui a fait lâcher prise. Il s’est donc retrouvé jambes écartées sur le sol en terre battue, avec le ventre marbré et une épaule transpercée par une balle de .38 spécial. Et un maniaque armé d’un couteau avec un accès direct à ses bijoux de famille.

- Je te voulais dans mon lit, mais vu ta puissance et ta force, je vais d’abord te castrer, ça te calmera [c’est faux, ça marche pas pour les humains]. Je vais faire durer le plaisir, pour te faire payer la mort de mes hommes. Centimètre par centimètre…

Erk a ressenti une piqûre juste derrière ses précieuses. La douleur, la surprise, l’ont paralysé. Certains ont relâché leur prise sur lui.

Le saligaud lui a montré son sang sur la pointe de son couteau.

Le Viking a perdu tout contrôle.

Malgré la souffrance, malgré le poids des autres, il s’est levé, envoyant valser ceux qui n’avaient pas relâché leur prise et, avec sa main droite, avec ce qu’il avait sous la main, il a tué.

Il a tordu des cous, frappé des plexus, arraché son sabre au chef pour l’éventrer puis frapper de taille tout ce qui bougeait dans son champ de vision. Sa main gauche, inutilisable, s’était recourbée comme une serre, ses yeux étaient complètement fous. La bouche grande ouverte en une grimace de haine, il montrait les dents. Il hurlait de rage. Il pleurait.

Malgré les coups reçus au visage, ou à cause d’eux, sa rage a brûlé haut et fort. C’est ce qui lui a permis d’éradiquer les FER. Oui, j’ai bien dit éradiquer.

Il a repris ses esprits dans les odeurs de sang et de boyaux vidés. Il est parti en titubant, le sang des autres sur ses pieds absorbé par la poussière de la cour, ses traces brouillées par celles des charognards.

Ne sachant pas s’il avait des poursuivants, il a décidé de saisir la première chance de quitter la piste.

Son épaule, son dos, son ventre, tout cela n’était rien face au frottement de son boxer-short sur la minuscule blessure. Il a fini par s’effondrer, là où on l’a trouvé, en sang. Il est resté là plus de 24 heures. Il était tombé sur le côté gauche, pliant son épaule blessée et, bizarrement, ralentissant l’hémorragie. Emmerdé par des chacals qui le croyaient mort, il les avait éloignés à grands coups de pierre. S’il n’avait pas été cette force de la nature qu’il est, il y serait resté.

* *

Doc nous a rassurés, la coupure est superficielle, seule la peau a été entamée. Le Viking a toujours la possibilité de transmettre ses gènes. Les autres dommages physiques se résorberont relativement rapidement.

Kris nous a expliqué que la rage qui avait aidé son frère à se libérer tout seul était l’équivalent de l’état de berserker que les Vikings d’autrefois pouvaient atteindre.

Mais ce qui nous a le plus inquiétés, c’était l’impact qu’auraient ces meurtres, cette horreur, sur sa psyché.

Les larmes, le refus de nous regarder, dans le pick-up, c’était de la honte. Honte de sa blessure, de cette atteinte à sa virilité… Honte de ses actes.

La voix monocorde, sans inflexion, pour raconter tout ça à Lin, ça cache une distanciation qui est très mauvaise. Erk doit parler de ses épreuves. Sera-t-il assez fort pour surmonter ce traumatisme ?

On l’espère. On l’espère de tout notre cœur.

Je l’aime bien, ce type. Il est gentil. Il est joyeux… Son sourire me manque.

Oh, la boule au ventre est revenue.

Zut, je pleure et mes larmes tombent sur le papier.

Heureusement que j’écris au Bic.

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