Discussion avec Ernie

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J'aurais pu commencer mon histoire ainsi : « C'était un jeune homme qui pêchait seul sur une barque dans les Alizés… »

 Mais alors, « Ernie » serait revenu d'outre-tombe pour me réclamer des droits d'auteur. À moins qu'il ne me tape sur l'épaule en disant :

 ― Bon texte, ça me plait. Viens avec moi au Harry's bar, on va célébrer ça en descendant plusieurs bloody mary. Tu sais que c'est moi qui l'ait inventé ? De même le mojito ! J'aurais dû gagner le Nobel de la création alcoolique.

 ― Va pour le mojito, Papa, mais pas à Paris, il fait trop froid, ça pue, et puis, il y a trop de monde. Je préférerais le Floritida.

 ― Trop de monde ! Tu aurais dû voir ça, en août 44, quand on a descendu le boulevard des Capucines à tombeau ouvert avec une poignée de Fifi1. De sacrées têtes brûlées ! Ratatatata ! Ratatatata ! Ça tirait de partout ! Ah, l'odeur de la poudre, du sang frais et de la liberté ! Entre deux tirs de canon, un drapeau français jaillissait d'une fenêtre. Ça gueulait « Vive les américains ! » « Vive de Gaulle ! ». Ils en chiaient dans leurs frocs, les huns ! Ils savaient que c'était la fin. Regarde-moi, ma belle, tu as devant toi le libérateur du bar du Ritz !

 ― Libération que vous avez célébrée au Cheval Blanc, je connais cette histoire.

 ― C'est vrai, tu l'as même racontée dans un roman. Il faut que je te remercie, c'était un bel hommage.

 ― Normal, Ernie, t'es un peu mon démiurge.

 ― Ah, ma belle, si seulement j'avais vingt ans de moins... Pour fêter ça, je t'emmène au Floridita, c'était mon QG à Cuba !

 ― Je sais, tu y as toujours ton tabouret, et ta statue en bronze accoudée au bar. Tu es une divinité bachique là-bas. Seulement tu seras déçu, c'est plus comme avant. C'est devenu guindé.

 ― Guindé, merde alors ! Le fric ça pourrit tout. Alors comme ça, ils m'ont érigé en statue ! C'est bien les humains ! Il faut qu'on soit mort pour qu'on nous trouve des qualités. Ils me prenaient pour un fou, pourtant, un vieux poivrot ! Et aujourd'hui…

 ― Papa, j'aimerais bien continuer à parler avec toi, mais j'ai une histoire à raconter. Tu comprends, je ne peux pas noircir du papier à n'en plus finir, il y a l'écologie. Le papier, c'est les arbres. Faut sauver la planète.

  ― Écologie, en voilà un mot. Où tu places ça dans un roman ? J'ai pourtant eu le Nobel de littérature, ça ne me dit pas grand chose. Un nom pareil, je ne pourrais même pas en faire un cocktail.

 ― Tu sais, Ernie, le monde a changé. Il faut boire avec modération, on a plus le droit de fumer dans les lieux publics. La chasse, la corrida, tout ça est mis au pilori ! On vilipende la guerre mais on fait de nous de bons petits soldats au garde à vous, des esclaves de la société de consommation. On ne réfléchit plus maintenant, ils ont inventé une prothèse cérébrale, toute plate et toute carrée, qu'ils appellent IPhone. Plus aucun humain ne peut vivre sans.

 ― Nom d'un chien, arrête ça ! C'est un coup à se tirer une balle dans la tête !

 ― Mais ça, Ernie, tu l'as déjà fait…

1Appellation familière des FIFI. L'anecdote racontée est authentique.

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