Chapitre 2

11 minutes de lecture

J’entends au loin une voix qui me parle sans distinguer ses paroles à cause du hurlement strident qui se rapproche. La voix s’éloigne de plus en plus tandis que je sens l’ombre du sommeil s’éloigner peu à peu.

J’ouvre les yeux. Je suis dans le lit de cette chambre blanche qui est maintenant la mienne. Le bruit strident que j’ai analysé comme un hurlement n’est autre que le fameux réveil dont le Docteur m’a parlé. Les évènements d’hier me reviennent à l’esprit et je refoule avec force les nouveaux sanglots qui reviennent à l’attaque. Je ne veux pas qu’il pense que je suis faible.

Du coin de l’œil, je remarque un trou dans le mur, au pied de mon lit, qui n’était pas là hier. Je sursaute et m’approche. Je remarque que dedans se trouvent des vêtements propres. J’enfile le nouvel uniforme, chemise et jupe-short de la même couleur que l’habit que je porte et que j’identifie comme mon pyjama. La chemise, légère et à manches courtes, s'enfile comme un tee-shirt. Seuls trois boutons permettent sa fermeture complète. Me sentant déjà trop étriquée dans cet environnement, je décide de les laisser déboutonnés.

J’ai tout juste le temps de finir de m'habiller, que la porte s’ouvre sur une grande dame au regard strict.

« Pour ce matin seulement, tu prendras ton déjeuner ici, ensuite je t’accompagnerai dans une salle de repos à proximité. Tu as dix minutes », me dit-elle, en posant un plateau-repas sur le bureau avant de repartir.

Il se compose d’un verre de lait, un verre de jus d’orange et d'une barre de céréales. Ayant l’estomac encore noué et la mâchoire crispée, je me force à avaler un morceau du gâteau et à finir mon jus d’orange sans toucher au lait. Je n'apprécie guère son goût et lorsque je découvre les saveurs du reste de ce petit déjeuner, je refuse définitivement d'y goûter. Elles sont radicalement portées disparues. La barre de céréales est tellement sèche qu'il ne m'est pas difficile de boire la moitié de mon jus pour arrêter de tousser. Quant à celui-ci, il serait plus convenable de l'appeler "eau aromatisé à l'orange" tellement il est coupé à l'eau.

Au moment où je repose le verre sur le plateau, la porte s’ouvre à nouveau. Je ne pense pas que cela fasse déjà dix minutes que je me suis mise "à table". Je commence à soupçonner la présence de caméras dans la chambre. Ce n’est pas une coïncidence s’ils ont un timing aussi parfait. La grande dame m’attend. Ravalant ma frustration d’être potentiellement observée continuellement et sans intimité, je la suis en dehors de la pièce.

Nous défilons le long du couloir et arrivons devant un escalier que nous montons. Je la suis de près, car je préfère être avec elle plutôt que de me perdre seule dans cet endroit lugubre. Tous les couloirs se ressemblent, ils sont blancs et ont des néons au plafond pour seule décoration. Mon escorte porte de hauts talons malgré sa grande taille, j’ai l’impression d’être ridiculement petite face à elle. Elle est coiffée de cheveux blonds coupés en un carré long, ce qui lui donne un air encore plus strict.

Nous marchons encore quelques minutes. Elle ne parle pas et seul le bruit de ses talons, se répercutant dans le couloir silencieux, indique notre présence. Je remarque que dans ce couloir, il y a quelques fenêtres où passe une jolie lumière ensoleillée. J’ai envie de regarder ce qui se trouve dehors, mais la grande blonde m’en empêche en accélérant le pas. Nous arrivons finalement devant une porte à double battant. J’entends le bruit de conversation discrète à travers la porte. Je la franchis en suivant de près mon accompagnatrice. Je constate que les conversations se sont tues et que certains visages sont marqués par l’inquiétude. Il y a une lourde et pesante atmosphère dans cette salle.

« Voici Lucie, elle est arrivée hier. Faites comme d’habitude », annonça-t-elle avant de repartir aussi vite qu’elle était arrivée.

C’est tout, je fais quoi maintenant ? me dis-je.

Sous le regard des autres enfants, je n’ose pas bouger du pas de la porte, puis peu à peu l’atmosphère lourde s’estompe et les conversations reprennent. Voyant que je n’attire pas beaucoup les regards, je me permets d’observer la pièce. Elle est assez grande, avec quatre hautes fenêtres tout le long du côté droit et gauche ainsi que deux autres fenêtres dans le fond. Il y a également quelques étagères de-ci, de-là. Cet endroit ressemble à une bibliothèque. Il n’y a pas beaucoup d’enfants, une quinzaine, tout au plus. Je décide de me trouver un endroit stratégique afin d’observer au mieux ce nouvel environnement. Je m’installe à gauche de la salle sur le rebord d’une fenêtre, ainsi je vois tous les enfants. Ils sont répartis en groupe et discutent faiblement. Enfin sauf celui qui se trouve à ma gauche près d’une fenêtre du fond, ils sont très bruyants et n’ont pas l’air de s’inquiéter de se faire tant remarquer.

Légèrement cachée dernière un coin de l’étagère, je les observe rigoler bruyamment. Ils sont cinq garçons et deux filles. Un garçon est vautré de tout son long sur le rebord de la fenêtre et regarde vers l’extérieur tandis que le reste du groupe est debout autour de lui et discute entre eux. Je pense qu’ils ont tous à peu près le même âge, entre 12 et 14 ans. L'une des filles, une blonde platine, fait de grands mouvements et parle fort. J'ai l'impression que son comportement a pour but d’attirer le regard des garçons. Elle en devient presque ridicule, c’est le genre de fille que je ne supporte pas. Heureusement que je ne suis pas obligée de me lier d’amitié avec elle. L’autre est plus discrète mais j'observe qu’elle se force à faire remarquer son côté rebelle pour ne pas être exclus du groupe. Décidément le besoin d'appartenir à un groupe est partout même dans ce genre de situation.

Quant aux garçons qui discutent avec elles, ils sont de tailles moyennes, blonds, bruns, métis et font en sorte eux aussi de se faire remarquer. Mais pour qui ? Cela m’intrigue. Pour qui font-ils ces efforts ridicules? Je remarque alors les petits détails qui m’ont échappé : le petit coup d’œil de la blonde vers le garçon à la fenêtre, le regard d’approbation qu’il lance aux autres garçons. Ceci leur procure une grande joie qui illumine leurs visages.

Alors c’est pour ce garçon, il doit avoir environ 13 ans. Intriguée, je l’observe avec plus de curiosité. Il a l’air un peu plus grand que la moyenne. Il a de jolis cheveux noirs, un peu longs et ondulés. Il est mignon mais rien de spécial au point de susciter ce genre de réaction. J’aperçois son visage se froncer et se tourner dans ma direction. Je sens alors son regard sur moi. Ses yeux marron, proche du rouge foncé, croisent les miens et je comprends. Son regard est … imposant, il impose le respect, c’est troublant. Lorsque je sors de mes pensées et fais de nouveau attention au monde extérieur, je remarque que le groupe a cessé de discuter pour me regarder. Je sens la chaleur me monter au visage. Son regard n’a pas bougé, il est toujours en train de me fixer, je le sens me bruler. Je vois naitre un petit sourire d’amusement sur son visage. Je ne tiens plus et détourne le regard du groupe, rouge de honte. Mais je sens toujours son regard et je le vois bouger du coin de l’œil. Je tourne la tête, pour le voir se diriger vers moi. Je suis paralysée et tendue. Disons que les rapports humains n’ont jamais été mon fort, surtout face à ce genre de personnage. Au moment où je sens que je perds le contrôle de la situation, je sens une poigne, ferme et douce à la fois, me prendre la main. Je tourne la tête et me retrouve face à face avec des yeux verts.

« Salut, tu es la nouvelle arrivée, c’est ça ? Désolé de ne pas t’avoir accueilli comme il se doit, je n’étais pas encore là ! Viens je vais te présenter aux autres. Au fait je m’appelle Lucas, ça s’écrit comme Lucas mais ça se prononce "Loucas" » me dit-il tout en me tirant vers un autre groupe de jeunes et loin de ce très mystérieux mais non moins dangereux garçon.

Dès que ce garçon blond m’attrape la main pour se présenter, l’autre adolescent stoppe immédiatement son allure. Je crois apercevoir une lueur rouge dans ses yeux. Il ne semble pas content du tout, et je ne parle même pas de la blonde qui me lance un regard rempli de haine et de jalousie. « Génial, déjà une ennemie », me dis-je.

Le groupe de Lucas est composé de quatre garçons et d’une fille à l’air farouche. Il me les présente un par un, le premier s’appelle Thomas, il est brun avec des yeux marron et il est le plus petit d’un an mon cadet et pourtant cela ne l’empêche pas d’avoir la langue bien pendue. Quant au second il s’appelle Nicolas, un blond aux yeux bleus, classique. Il semble calme mais avec un air rebelle. Je me fais la réflexion qu’il ne faut pas venir lui chercher des problèmes car il les recevrait avec plaisir. On a tous le même âge, à quelques mois près, sauf Nicolas qui a deux ans de plus que nous. La fille s’appelle Natasha, une jolie rouquine au regard aguicheur qui me lance un regard pas des plus accueillant. Quant au dernier, il s’appelle Christopher, il est grand, mince avec de jolis cheveux châtains, il me fait un sourire discret qui me met à l’aise. J’y réponds avec enthousiasme, ce qui ne plait pas à la rouquine.

« Alors t’es la nouvelle c’est ça ? Et tu crois que parce que t’es nouvelle, tout est permis ? Alors que les choses soient claires, Chris est à moi ok ? » Me sermonne-t-elle.

— Nat’ ne commence pas ! la sermonne, à son tour, Lucas. Ecoute, le mec de tout à l’heure, évite de te confronter à lui, il n’est pas bien net, dit-il en s’adressant à moi.

— Oui comme nous tous ici, rétorque Nicolas.

— Parle pour toi, ne nous met pas tous dans le même sac ! dit Thomas.

— Qu’est-ce qu’il dit, le gamin ?! »

Pendant que les deux garçons se disputent, la rouquine revient à l’attaque :

« Alors pourquoi t’es ici ? Qu’est-ce que t’as de spécial ?

— Je ne sais pas pourquoi on m’a emmené ici, je lui réponds.

— Allez, tu peux nous le dire à nous ! Ne fais pas ta timide ! Tu te débrouilles en sport ?

— Non, je n’aime pas particulièrement le sport !

— Alors t’es une intellectuelle ?!!

— J’aime lire mais ça ne fait pas de moi quelqu’un d’intelligent ».

Elle se rapproche de moi et me murmure :

« Alors t’es une métisse ?

—Une métisse ?

— Oui une croisée !

— Qu’est–ce que tu me racontes ?

— Mais tu le fais exprès ou quoi ?? » hurle-t-elle.

Ce qui provoque l’arrêt de la dispute des garçons et retient l’attention de toute la salle.

Gênée, je lance quelques regards furtifs aux autres groupes. Leur attention sur nous ne semble pas du tout déstabiliser mon interlocutrice, qui continue de m'apostropher.

« Je te parle d’un infime mélange dans ton ADN avec une autre espèce !!!!

— Une autre espèce … que les hommes ? Ça n’existe pas !! C’est toi qui te moques de moi ! » lui dis-je avec véhémence, énervée d'être le centre de l'attention. Cette fille est vraiment hystérique, pensais-je.

« Tu me traite de menteuse ? me hurle t-elle en s’élançant pour me sauter dessus.

—Ça suffit !!!!! » hurle Lucas en l’arrêtant dans son élan.

Elle se calme physiquement mais ses yeux débordent de colère.

« On n’a pas dû lui expliquer, c’est tout ! Tu veux que je te rappelle ton premier jour ici ?? la sermonne-t-il.

— Quant à toi, sache qu’on se trouve dans un centre de recherche sur la génétique des espèces. Si tu es ici, c’est que ton ADN contient des gènes d'une autre espèces, même si tu ne le sais pas encore.

— Cela veut dire qu’ils font des expériences sur … nous ? articulais-je difficilement.

— Bah oui, tu croyais que c’était un centre de vacances", réplique Thomas.

Je remarque alors les bandages légèrement dissimulés sous les vêtements, ou les pansements qui se trouvent sur leurs membres.

« Désolé, dis-je piteusement.

— Ce n’est rien, tu ne pouvais pas savoir » me répond Lucas.

Peu à peu, les conversations reprennent et je prends mon courage à deux mains pour demander :

« Ça veut dire que vous aussi, vous avez … euh…

— Oui, enfin c’est ce qu’ils veulent nous faire croire. Je suis sûr qu’ils ont quelques choses d’autres dans la tête ! réplique Nicolas.

— On est tous d’accord là-dessus mais on ne peut rien y faire. »

C’est Christopher qui vient de parler et c’est la première fois que j’entends sa voix :

« J’aurais apparemment de l’ADN de serpent et Nat’, celui de chien, continu-t-il.

— Et moi celui d’un caméléon, continua Thomas.

— Quant à moi c’est celui d’un loup gris et Nick c’est celui d’un cygne. Je ne sais pas où ils vont trouver ça, souffla Lucas.

— Comment vous le savez ?? On vous l’a dit ?

— Non, on l’a su par nous-même.

— Comment ?

— Qui me dit qu’on peut te faire confiance, rétorqua Natasha.

— Rien sauf peut-être le fait qu’on soit dans la même galère !

— Voilà que la nouvelle nous fait la morale maintenant, éructe-t–elle.

— C’est pour ça que je n’ai jamais aimé les chiens, toujours à montrer les crocs avant de connaitre la personne qu’ils mordent !! lui lançais-je.

— QUOII !!!!! ESPECE DE SALE…

— Ne recommencez pas !!!! », hurle Lucas, ce qui nous refroidit toutes les deux.

« On n’a pas pour habitude de nous insulter entre nous et surtout pas pour la raison pour laquelle nous sommes ici ! », me dit-il avec colère.

Un sentiment de honte m’envahit mais s’envole immédiatement lorsque j’aperçois le discret sourire de la rouquine. A partir de ce moment-là, je savais que je ne m’entendrais vraiment pas avec elle.

Le groupe se calme et chacun part dans une discussion. Je décide d’en entamer une avec le plus petit de la bande :

« Au fait, que faisons-nous de nos journées ?

- Soit des tests, soit on nous emmène aux blocs, soit, et ce qui est plus rare pour certains, on se repose dans ce genre de salle. Mais bon, tu découvriras ça par toi-même de toute façon », dit–il avant de repartir dans la conversation du groupe.

J’ai bien remarqué que le fait de m’être mise en colère et surtout ce que j’ai pu dire ne leur a pas plu. Je ne m’énerve que très rarement d’habitude. C’est étrange mais dès que je la vois, une colère profonde monte en moi et je ne me contrôle plus. J’ai une méchante envie de la confronter ou de me battre. Ce qui ne me ressemble pas le moins du monde.

Je suis perdue par ce que je viens d’apprendre et décontenancée par la perte de potentiel allié. Je finis par m’installer à la fenêtre centrale du côté gauche de la pièce et d’y regarder l’extérieur, préférant la fuite à une nouvelle confrontation possible avec un autre groupe.

Annotations

Vous aimez lire Dans l'univers de Laura ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0