Acte II - Madame Vie

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Alors que Dolores regarde la salle et Monsieur Mort l’observe, Madame Vie entre sur scène ; aucun des deux autres personnages ne la voient. Elle a une allure guillerette, des pas légers au point qu’elle semble presque flotter. Ses gestes sont très délicats, fragiles.

MADAME VIE, a parte

Belle journée qui s’annonce ! La tempête s’est calmée, les nuages se sont dissipés, et voilà que vient la vie !

(Elle sourit au public et se désigne du bout du doigt)

C’est moi, je suis la Vie. Savez-vous qui je viens visiter ? Une reine ! Grande, royale, digne ! N’est-elle pas chanceuse ? N’est-elle pas heureuse ? N’a-t-elle pas été bien dotée ? Je n’ose pas imaginer cette joie qu’elle ressentira quand elle me verra ! « La vie ? Oh, quel régal ! Venez par-là que je vienne vous remercier. » Elle me prendra dans ses bras, me bénissant pour lui avoir fourni une telle existence. Belle, intelligente, reine ! Savez-vous, cette Terre sans moi serait bien désolée ! Nue, aride, austère. Quelle tristesse ! Arrivent derrière mes pas la joie, le plaisir, la fécondité ! Ah ! Je me doute que c’est ce qu’elle va ressentir, elle aussi, en m’apercevant. D’abord de l’honneur, évidemment : « comment ? La vie ? Ah, mais venez ma douce amie ! » Elle me prendra alors dans ses bras -ou du moins du bout des doigts, pour se contenir. Profusément elle me remerciera, et peut-être aura-t-elle-même besoin de quelqu’un pour la soutenir -nombreux sont ceux à défaillir. Peut-même se mettra-t-elle à genoux devant moi, et je lui dirais de se relever : n’est pas Dieu qui veut ! Mais comment ne pas la comprendre ? Ne suis-je pas comme sa génitrice ? Ah, et quelle bonne nouvelle je viens apporter ! Je peux à peine me retenir -je suis si excitée ! J’ai vraiment envie de vous le révéler, mais c’est entre moi et cette bienheureuse souveraine. Ah, c’est vers elle que je vais me diriger et -AAH !

Alors que Madame Vie se tourne vers Dolores, elle voit Monsieur Mort et pousse un cri d’horreur ; celui-ci attire l’attention de Dolores et Monsieur Mort qui dirigent leur attention vers elle.

DOLORES

Encore un intrus ? Par les dieux, ça ne s’arrête plus !

MADAME VIE

Vous ! Ici !

DOLORES

Je suis chez moi.

MONSIEUR MORT

Il me semble qu’elle me parle à moi.

MADAME VIE

Qu-Co-Pou-

MONSIEUR MORT

Calmez-vous, vous ne prononcez plus que des consonnes.

MADAME VIE

Vous n’avez pas le droit ! Je suis ici chez moi !

DOLORES, levant un sourcil

Plaît-il ?

MADAME VIE

Êtes-vous encore venu instaurer le chaos dans ma création ? Ah, ne me dîtes pas que vous êtes venu chercher cette douce enfant ! Non, non, je ne le permettrai point ! Mes plans pour elle sont bien plus grands !

DOLORES

Hé, madame ! Je ne suis plus une enfant depuis bien longtemps ! Pensez-vous à votre bon gré pouvoir chez moi pénétrer ? Enfin ! Ne pensez-vous pas qu’il est temps de vous présenter, au lieu d’injurier mon invité ?

MADAME VIE

Ah, femme ! Savez-vous de qui vous parlez ? Vous a-t-il jeté un sort ? C’est la mort !

MONSIEUR MORT

Et voici, reine, la vie.

Dolores a un léger mouvement de recul ; elle observe Madame Vie d’un œil incrédule.

DOLORES

Puis-je encore douter de rien ? J’ai l’impression en deux rencontres d’avoir perdu ma raison. Ne vous aurais-je pas rencontré auparavant, Mort, que j’aurais de vous douté ; hélas, me voilà devenue crédule au point d’accepter cette étrange réalité.

MADAME VIE

Ah, Monsieur ! Que faites-vous ici ? Assurez-moi que vous n’êtes pas venue la chercher, par pitié !

MONSIEUR MORT

Que feriez-vous, si c’était le cas ?

MADAME VIE

Oh, quelle cruauté ! Je vous supplie de l’épargner.

MONSIEUR MORT

Pour rien vous vous inquiétez ; son temps sur Terre n’est pas encore terminé. De son mari je suis venu lui annoncer le décès.

MADAME VIE, amère

Oui, vous êtes bien doué pour détruire tout ce que j’ai créé.

MONSIEUR MORT

C’est pour cela que je suis né.

MADAME VIE

Ah, petite, que je suis désolée ! Si cela ne tenait qu’à moi cette abomination n’aurait même pas existé.

DOLORES

Vous êtes bien aimable.

MADAME VIE

Vous devez sûrement connaître une douleur que je ne pourrais jamais imaginer.

DOLORES

Certainement.

MADAME VIE

Ah, ce n’est pas la situation idéale, mais j’ai une excellente nouvelle qui saura vous réconforter ! Je viens réparer la peine que mon collègue a causé !

DOLORES

Je ne crois pas comprendre.

MADAME VIE

S’il a pris une vie, j’en apporte une autre !

DOLORES

Pouvez-vous expliciter ?

MADAME VIE

Vous êtes enceinte ! De ce mari disparu vous allez enfanter !

L’horloge résonne de façon violente avant de s’arrêter soudainement ; la scène entière est plongée dans le silence.

MADAME VIE, a parte

Ah, j’attends les rires, j’attends la joie ! Ah, son roi est peut-être décédé mais dans son enfant il saura subsister !

Le silence se prolonge de façon gênante. Dolores, sans un mot, le visage vide, retourne s’asseoir dans le fauteuil ; la lumière s’assombrit.

MADAME VIE, à Monsieur Mort

Que se passe-t-il ? Ne s’est-elle pas remise du décès que vous avez annoncé ?

MONSIEUR MORT

Au contraire, elle s’en était un peu trop bien accommodé.

Dolores éclate en sanglots ; ses cris s’élèvent dans l’air, déchirants. Son corps tout entier tremble ; son visage se creuse. Elle est méconnaissable.

MADAME VIE

D’où proviennent ces sanglots ? Quel est ce désespoir ?

MONSIEUR MORT

Et voilà qu’une fois encore les larmes que j’attendais sont volées par quelqu’un qui n’est pas moi ! Cette fois au moins elles sont sincères ; je n’en éprouve pourtant étrangement aucun plaisir. Vie, n’êtes-vous pas étonnée de voir les rôles inversés ?

MADAME VIE

Les seules larmes que je connaissais étaient de joie ! Mais hélas, impossible pour moi de confondre ces larmes avec celles de l’allégresse. Quelle détresse !

Madame Vie vient aux côtés de Dolores.

MADAME VIE

Parlez-moi mon enfant.

DOLORES, entre deux sanglots

Maudite soyez-vous ! Quelle affliction ! Quel tourment !

MADAME VIE

Petite, vous ne savez pas ce que vous dites.

MONSIEUR MORT

Au contraire, je la crois absolument réfléchie.

MADAME VIE

Ah ! Quelle est cette farce où une bonne nouvelle provoque tristesse ?

Dolores relève la tête.

DOLORES

Une bonne nouvelle ? Où entendez-vous parler d’une bonne nouvelle ? Je n’entends que condamnation !

MADAME VIE

La vie, dame, la vie ! N’y a-t-il pas plus grand bonheur que la vie ?

DOLORES

Quelle est cette comédie ? Quel est ce narcissisme que vous ressentez, à vous croire à tous indispensable ? Donner vie, donner vie, quel malheur !

MADAME VIE

Dame, vous m’offensez !

DOLORES

Et vous m’assassinez !

MADAME VIE

Enfin, vous devez certainement exagérer !

DOLORES

Tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai construit, en une seule annonce, voilà tout détruit ! Je pensais avoir gagné ma liberté, et me voilà à nouveau claquemurée ! Ah, prisonnière de mon propre corps, quelle sotte j’ai été ! De tous les hommes je me pensais enfin immunisée. Mais voilà que leur semence me hante pour à nouveau m’assujettir, pour toujours je resterai destinée à les servir !

MONSIEUR MORT, à Madame Vie

Hé, ne vous êtes-vous pas fait une ennemie ?

DOLORES

Je me sens…froide. Moi qui pensais apercevoir mon futur -je ne vois plus rien. Le néant ! Voilà ce qu’il me reste. Le néant, et cette créature qui grandit en moi. Qu’en faire, comment l’appeler ? Enfant du monstre, voilà tout ce qui me vient en pensée. Je peine à respirer ; il se nourrit de moi, se régale de ma chair, se gave de ma santé. Je ne ressens rien, si ce n’est que ce désespoir ; ah, vide grandissant, ah, démon festoyant ! N’a-t-il pas réussi à réaliser ce que depuis des années il cherchait à exécuter ? Me voici brisée, de son enfant destinée à enfanter.

Dolores hurle -c’est un cri de douleur, inarrêtable, inimitable.

DOLORES

De moi-même me voilà endeuillée !

Madame Vie s’approche de Dolores et cherche à lui tapoter le bras.

MADAME VIE

Allons, allons, il faudrait que vous vous ressaisissiez.

Dolores écarte son bras d’un geste violent.

DOLORES

Je ne veux pas que vous me touchiez !

Monsieur Mort s’approche et Dolores se jette dans ses bras d’un geste désespéré.

MONSIEUR MORT

Allez, allez, laissez-vous allez.

DOLORES

Quel crime ai-je commis, autre que celui d’être en vie ?

MONSIEUR MORT

Eh bien, je peux penser à un empoi-

DOLORES

Ah ! Ne m’en parlez pas ! Quelle autre solution, quand dans un enfer on est retranchée ? J’ai dix ans durant purgé ma peine. Pour quel autre forfait est cette grossesse la punition ?

MONSIEUR MORT

Tout n’est pas châtiment ; la vie n’a pas toujours d’explication.

MADAME VIE

Pour vous dire, je n’y comprends rien ! Quels sont tous ces sentiments, ces émotions ? De votre défunt mari ne voulez-vous donc pas d’enfant ?

DOLORES

Non !

MADAME VIE

Je ne comprends pas.

MONSIEUR MORT, hautain

Vous ne comprenez pas grand-chose.

MADAME VIE

Non ! Voilà toutes mes croyances, toutes mes attentes questionnées ! Quelle reine peu attendue ! Depuis toujours, Mort, je vous croyais de tous redouté.

MONSIEUR MORT

Ah, Vie, en une seule rencontre, n’ai-je pas tant appris ! Cette reine est une triste mais excellente professeure ; savez-vous que certains me recherchent, m’admirent, m’invoquent ! Je suis pour eux un allié. Mieux ! Nous sommes parfois complices, ou collaborateurs.

MADAME VIE

Quelle horreur !

DOLORES, fâchée

Horreur, horreur ! Comment osez-vous ainsi vous exprimer ? Qui êtes-vous pour vous mettre ainsi au sommet, sans penser à ceux supportant le poids de vos arrêtés ? Ah, vous voilà, vous arrivez, bouleversez des vies, et repartez ! Jamais vous ne revenez pour contrôler qu’elles sont de qualité. Malheur, violence, désespoir ! Voilà tout ce dont ma vie a consisté. Et vous voilà étonnée que c’est la mort que j’ai préféré ! Et alors qu’enfin, depuis quelques minutes seulement je recommençais à vous apprécier, que vous voilà à nouveau à m’écraser !

MADAME VIE

Mais enfin, que vous est-il arrivé pour que vous en arriviez à ce point à me détester ?

DOLORES

Si je vous le disais, vous ne pourriez le supporter.

MADAME VIE

Enfin, dites-moi !

MONSIEUR MORT

Mais oui, dites-lui ! N’est-elle pas forte ? N’est-elle pas brave ? Sans aucun doute elle saura endurer le poids de la vérité !

MADAME VIE

Hé, vous m’effrayez ! Est-elle donc si terrible ? Est-elle donc si horrible ?

DOLORES

Vie, j’ai été contrainte à mes quinze ans d’épouser un roi. N’étais-je pas heureuse, avant ! N’était-il pas charmant ? Puis les noces sont arrivées et la première nuit m’a éprouvée. Mais n’étais-je pas jeune ? N’étais-je pas naïve ? Oui, j’avais certes détesté ; mais n’était-ce pas ma tâche ? Secrètement j’espérais cependant, qu’il ait lui aussi été tant dégoûté que jamais il ne voudrait recommencer. Quelle erreur ! Chaque nuit il revenait, chaque nuit il m’attaquait. Je me croyais proie face au chasseur sans pitié. Pas de pitié, pas de repos, et les cauchemars étaient bien pires éveillée. Je finissais par le supplier d’arrêter ; au moins pour cette nuit-là de m’épargner. Ces jours-là il riait, et allongeait plus encore mon tourment. Ah, quelle reine qu’une enfant tyrannisée ! Puis le temps passait, et ses souhaits ne semblaient pas se réaliser ; mon ventre restait plat, comme un refus de son être tout entier. « Elle n’est pas femme ! », disait-on. Les coups arrivèrent alors, de frustration. Cela sembla satisfaire ses goûts ; ils s’enchainèrent alors, toujours plus variés. Son imagination n’avait d’égale que sa cruauté. Je finis par devoir rester éloignée de tous, afin que la cour ne voie pas la manière dont j’étais traitée. Ah ! Quels mensonges il osait véhiculer ! Si les servantes ne me l’avaient pas par la suite révélé, je n’aurais jamais su ce qu’il osait raconter. Il prétendait ma santé faible ; disait que je n’étais pas en état ; « ah, la pauvre, je ne cherche qu’à la protéger ». Et chaque soir il venait, chaque soir il me martyrisait. Encore aujourd’hui je sens le poids de son corps sur le mien, je respire sa méphitique haleine, j’entends les ignominies qu’il me murmure. Elles me collent à la peau. J’étais jeune, et pourtant ! N’étais-je pas courageuse ? Toujours je réussissais à trouver espoir ; peut-être me prenait-il ma santé, ma liberté, mais toujours j’avais mes propres pensées. « Je vais te briser », me disait-il. Par pure haine à son égard, je refusais de le laisser gagner. Toujours je trouvais des loisirs, toujours je trouvais des femmes avec qui discuter. Leur sang n’était pas noble, mais leur esprit, sûrement ! Je réussissais de ses violences à me distancer. Quelle rage s’est emparée de lui, quand il l’a réalisé ! Ce qu’il me faisait m’atteignait peu désormais, et tout son pouvoir il perdait. Si les traitements avaient commencé par fureur de ma stérilité, on en était devenus bien éloignés. Pourtant, c’était avec cette excuse qu’il se convainquait ; alors c’est ici qu’il m’a enfermée. À tous il disait que sur ma tâche première d’avoir un enfant je souhaitais me concentrer ; à moi il m’avouait vouloir me briser. Il voulait être omnipotent, et mon être entier, ainsi que mon esprit, contrôler. Pourquoi ? Je n’oserais pas imaginer, ou tenter de comprendre ce qui se passait dans ses pensées. Alors, pour me retirer ma dernière des libertés, c’est ici qu’il me fit enfermer, seule et dans l’obscurité. Pas un rayon de soleil, à peine assez de lumière pour distinguer le bout de mes pieds, et de mes servantes une visite unique par journée, pour m’apporter de quoi me substanter et possiblement me laver. Privée de mes uniques alliées, occupée seulement par mes plus noires pensées, il espérait enfin m’accabler. Et cette horloge, cette horloge ! Voilà dix ans qu’elle résonne sans s’arrêter, pour me rappeler tout ce temps qui m’échappe alors que je suis enfermée. Pour me signifier que bientôt mon inutile temps de procréation, mon unique utilité en tant que femme, sera terminé, et qu’officiellement de moi il pourra se débarrasser. Et alors que je l’avais doublé, que de lui je m’étais libérée et qu’au rang de majesté je m’étais presque seule enfin élevée, vous venez m’annoncer qu’à mon sexe je suis seulement résumée ! Je porte en moi le rejeton de mon bourreau ; celui même que j’ai assassiné.

MADAME VIE

Assassiné ! Dame, vous êtes une criminelle !

DOLORES

Oui, je suis une meurtrière, je l’admets ! Et croyez bien que j’y tire une grande fierté ; j’ai tué l’homme que j’ai épousé. Une criminelle, non ! Il n’y a de crimes qu’aux yeux de la justice ; or cela fait bien longtemps que celle-ci a disparu, que par les hommes et leurs infamies elle a été corrompue. Un prisonnier injustement condamné peut-il être tenu coupable de s’échapper ?

MADAME VIE

Ce meurtre était donc votre évasion ?

DOLORES

Hélas ! Je n’ai naturellement guère de goût pour l’empoisonnement -bien qu’en raison de ma haine si longtemps cultivée cette situation peut faire office d’exception.

MADAME VIE

Alors vous voilà libre !

DOLORES

Non, non ! Vous n’avez pas compris ! Sur moi ce monstre a laissé sa trace ; cet enfant que je serai forcée à enfanter sera le rappel constant des sévices que j’ai subi.

MADAME VIE

Chaque fois que vous le verrez il vous rappellera votre mari…

DOLORES

Et imaginez-vous donc sa vie à lui ? Haï et ignoré de sa génitrice, manipulé par la cour cherchant à réaliser leurs désirs, et supportant le poids des obligations ! Ah, et s’il s’agit d’une fille ! C’est une vie de malheurs et de violations qui l’attend… Sûrement elle connaîtra le même destin que moi ! Ah, quelle infortune que d’attendre un enfant ! Certainement nous serons tous et pour toujours accablés !

Dolores s’avance à grands pas jusqu’au cercueil, suivie de Madame Vie et Monsieur Mort.

DOLORES

C’est sa faute, sa faute à lui ! N’ai-je pas souhaité, durant tant d’années, d’un descendant enfanter ? Tous les soirs, sous les coups, sous sa chair, je priais tous les dieux que je connaissais de faire grossir mon corps. Je voulais qu’il m’aime, je voulais me faire pardonner de mon inutilité. Et finalement, c’est quand mon esprit s’est décidé, que de son contrôle je me suis émancipée, que mon corps s’est conformé !

Dolores regarde ses mains d’un air dégoûté.

DOLORES

J’ai perdu tout contrôle de moi-même ; je suis devenue esclave de sa volonté. Je me reconnais à peine, et je deviens un monstre. Sa faute !

Ses poings se serrent ; Dolores tape de frustration sur le couvercle du cercueil.

DOLORES

Sa faute !

Un nouveau coup sur le couvercle du cercueil.

DOLORES

Sa faute !

Encore un coup. Dolores s’effondre en pleurant.

DOLORES

Il voulait ma mort ; il l’a eue !

MONSIEUR MORT

Enfin, vous êtes encore bien en vie !

DOLORES

Mais je ne désire que le contraire !

Monsieur Mort et Madame Vie échangent un regard et Monsieur Mort prend Madame Vie par le bras pour l’entraîner à l’écart. Dolores continue de pleurer.

MONSIEUR MORT, à voix basse à Madame Vie

Hé ! Observez son état !

MADAME VIE

Je me sens faible d’esprit ; toujours j’ai cru apporter la joie, et des naissances je me suis contentée. Je ne parle que très rarement aux humains ; j’ignore tout d’eux ! J’ignorais qu’ils puissent être si cruels. J’ignorais qu’ils souffraient tant.

MONSIEUR MORT

Ah, il est plus aisé de connaître leur cruauté quand on les rencontre morts ; ils ne cessent d’en discuter ! Ils évoquent les guerres, les complots, les tromperies et les combats ! Ils me confient comment ils sont morts : poignardés, abandonnés, manipulés, fusillés… ou dans ce cas-là, empoisonnés.

MADAME VIE

Aucun humain n’est donc heureux ?

MONSIEUR MORT

Oh, si ! J’en rencontre tant, me contant qu’ils sont morts entourés de leur famille, aimés et aimants. Certains me parlent de leurs aventures, de leurs voyages, de ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils ont fait, de tous ces amis qu’ils ont rencontré. D’ailleurs, tous ou presque de moi sont effrayés ; ne s’agit-il pas d’une preuve qu’ils tiennent à vous ?

MADAME VIE

Sûrement, vous avez raison ; mais que faire pour ces gens comme cette pauvre Dolores, dont ma seule existence leur provoque tant de douleur qu’ils préfèrent se jeter dans vos bras plutôt que chercher du réconfort envers moi ? Ah ! Que j’aimerais l’aider et tout annuler ! Mais j’y pense : ne pouvez-vous pas intervenir ?

MONSIEUR MORT

Est-ce un régicide que vous me proposez ?

MADAME VIE

Non enfin, pas la reine ! L’enfant qui grandira en elle !

MONSIEUR MORT

Hé ! Voilà une demande que je n’aurais pas attendu de vous. Hélas, trop de choses s’y opposent. Vous savez sans doute que tout comme vous mon métier ne relève pas de moi ; je ne suis qu’une conséquence des actions terriennes. Il m’est de plus impossible d’emporter ce qui n’a jamais été vivant.

MADAME VIE

Ah, quel drame ! Que va-t-il donc lui arriver ?

MONSIEUR MORT

À cette époque, dans sa position, à moins d’un miracle elle devra enfanter ; aurait-elle été née dans des temps différents, peut-être n’aurait-elle pas été forcée.

MADAME VIE

Et quel enfant ! Né du crime et vivant dans l’inimitié ; destiné à, tout comme sa génitrice, souffrir pour des raisons sur lesquels il n’a nul contrôle. Est-ce seulement une vie ?

MONSIEUR MORT

Peut-être pourra-t-il trouver quelque part la joie.

MADAME VIE

Mais Dolores, cette reine, le pourra-t-elle ?

MONSIEUR MORT

Il n’y a qu’à espérer.

Monsieur Mort et Madame Vie restent silencieux, tandis que Dolores continue à hurler de douleur et pleurer.

MONSIEUR MORT

Allons, nos méfaits sont accomplis ; il est temps pour nous de la laisser retourner aux affaires humaines. Nous avons encore bien du travail, pour vous comme pour moi de la joie et de la tristesse à propager.

MADAME VIE

Nous partons donc sans un au revoir ? Est-ce donc la fin ?

MONSIEUR MORT

Pas encore ; j’en suis certain.

Ils sortent de la scène. Dolores continue de pleurer de douleur. Noir. Fin de l’acte deux.

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