Une leçon d'autorité : III

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En réalité, Lathelennil avait déjà un plan. Avec un peu d’astuce, il pouvait se rendre maître de la flotte de guerre de ces adannath, avec leurs gros vaisseaux cuirassés – si laids, mais si efficaces – et leur grosse artillerie. Il pourrait peut-être en convaincre quelques-uns de rejoindre sa cause : comme le lui avaient montré ses succès avec Yolen, il savait se montrer persuasif. Et il y avait le prince Erendil… s’il parvenait à obtenir de lui qu’il contacte son père, peut-être même aurait-il quelques hommes du bataillon de Śaimesh à ses côtés. Et ensuite… il lui suffirait de repasser le portail pour marcher sur Ymmaril.

Pour cela, il devait d’abord s’assurer de sa coopération.

— Conduis-moi aux prisonniers, ordonna-t-il à Soveh, qui avait été chargée d’eux.

L’ældien s’empressa de croiser les bras, dans une parodie presque comique du salut des aios d’Æriban. Lathelennil le savait admiratif de cette institution moribonde. Avec le retour d’Ar-waen Elaig Silivren, le dernier as sidhe, le culte d’Æriban, du sældar de la destruction et de ses représentants était revenu à la mode, y compris à Ymmaril.

Ren… où était-il ? La dernière fois qu’il l’avait vu, c’était lorsqu’il avait marqué Rika. Silivren lui avait sauté dessus, et plus pour lui permettre de s’occuper de sa compagne que pour éviter un combat qui aurait tourné à son désavantage, Lathelennil avait fui. Depuis, il n’avait pas osé revenir. Il ne craignait pas le représentant de Neacnehainë – même si cette brute noire l’aurait sans aucun doute écrasé en un seul coup de patte – mais l’opinion que Rika avait désormais de lui. Elle l’avait rejeté, et malgré tout ce qu’elle représentait à ses yeux, Lathelennil était trop fier pour faire amende honorable auprès d’une femelle adannath. Il était né prince d’Ombre, et prince d’Ombre il mourrait, y compris si cela devait le laisser seul et incompris.

— Quelque chose te préoccupe, Ennil ?

Unila avait suivi. Évidemment. Et c’était la deuxième fois que Lathelennil se montrait faible devant elle. Alors, il se retourna, et sans crier gare, il la saisit par le col et la plaqua au mur.

— La prochaine fois que tu m’appelle par ce surnom ridicule, susurra-t-il entre ses crocs, je te fais une deuxième cicatrice, pour égaliser avec la première. Compris ?

Le souffle court, les yeux agrandis, Unila se hâta d’acquiescer.

— Oui, Seigneur, souffla-t-elle, les pupilles braquées sur la main gantée d’iridium que Lathelennil brandissait devant son visage.

Ce dernier la relâcha.

— Très bien. Passe devant, et tiens la porte.

Unila s’exécuta avec un petit salut raide, sous le regard silencieux de Soveh. Les deux mâles échangèrent un regard : dans celui de son subordonné, Lathelennil crut lire un mélange de révolte et de contentement. Satisfait, Lathelennil s’autorisa un mince sourire : entre peur et amour, dégoût et admiration, douleur et plaisir, il aimait provoquer des sentiments mitigés chez les autres.


Les captifs n’avaient pas eu droit au même traitement. L’humaine enceinte était enchainée au mur par son collier, les membres laissés libres, tandis qu’Erendil avait les mains liées. Tous deux, encore éprouvés par leur captivité au monastère, dormaient profondément. Quant à Yolen, elle avait été entravée sur ce dispositif que les adannath appelaient croix de Saint-André, et que Lathelennil avait acquis auprès d’un antiquaire adannathi, le trouvant fort appréciable. La nonne était nue et bâillonnée, son corps encore marqué par les griffures et les morsures de la veille (Lathelennil espérait vivement qu’aucune n’était du fait de ce pisse-froid de Visenn). Il prit son temps pour jouir visuellement du spectacle, sous le regard censeur, il le savait, d’Unila.

— Détachez-là, ordonna-t-il sans la quitter des yeux. Détachez aussi le prince et son humaine et installez-les dans les quartiers des invités : je veux qu’ils bénéficient du maximum de confort qu’on peut leur offrir ici. Et allez porter cet instrument dans ma cabine.

Unila s’avança.

— Je l’ai déjà fait préparer pour vous, Maître.

— Et je veux que tu y ajoutes cet objet d’art, que j’ai acquis au terme d’âpres négociations, et un bon paquet d’esclaves. Allez, on se dépêche ! aboya Lathelennil.

D’un geste du menton, Unila ordonna à Soveh d’exécuter les ordres de leur seigneur et maître. L’ældien se hâta de détacher Yolen, qui s’écroula dans les bras que Lathelennil avait avancés pour la réceptionner.

— Ils t’ont fait mal ?

La jeune femme releva ses yeux sombres sur lui.

— Pas autant que vous, maître, murmura-t-elle de sa voix rauque.

Lathelennil retint son sourire. Unila était toujours là.

— Montre ta gorge quand même.

L’humaine tendit son cou et le dégagea. Lathelennil constata avec satisfaction qu’elle ne portait aucune trace de morsure : Visenn n’avait pas osé pousser le bouchon assez loin pour la marquer. Ça avait toujours été un petit joueur.

— Très bien, remarqua-t-il en passant ses mains sur la peau blanche de Yolen. Tu restes entièrement mienne.

Yolen se frotta la gorge lentement. Lathelennil devina qu’elle ne savait pas ce que représentait la morsure amoureuse chez les ældiens.

— Lorsqu’un mâle s’empare d’une femelle – dans le sens sexuel du terme – il la mord à la gorge et échange son sang avec elle. Normalement, cette marque décourage les autres mâles. Si mon chasseur t’avait mordue, j’aurais été obligée de te tuer.

Lathelennil constata que Yolen réprimait un frisson. Soit c’était une recrue en or, ou une sacrément bonne comédienne. Il détacha son shynawil de ses épaules et en revêtit l’humaine. Cette dernière le remercia et releva sur lui un regard brillant :

— Vous ne m’auriez pas offerte à lui ?

— Non. J’aurais préféré que tu meures. Pas toi ?

— Si, bien sûr, Maître.

Derrière lui, Lathelennil pouvait sentir physiquement l’agacement d’Unila. Il se retourna.

— Tu vois ? C’est comme ça qu’une femelle doit servir son mâle. J’espère que tu as compris la leçon d’aujourd’hui ?

— Oui, Seigneur, grinça Unila.

— Va nous préparer un Nes. J’ai à causer stratégie avec mon esclave.

Raide comme ce dieu punitif que vénéraient les moines humains, Unila pivota sur ses talons et quitta la pièce, le laissant seul avec Yolen.

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