Une leçon d'autorité : I

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Intrusion. Intrusion…

Lathelennil ouvrit les yeux. Dans la pénombre, ils apparurent phosphorescents, reflétant les lueurs d’un rouge liquide et violent qui pulsait dans le couloir.

L’ældien déplia sa longue silhouette et s’assit sur le banc sur lequel il s’était tant bien que mal enroulé, se servant de sa cape rouge comme d’une couverture. La veille, après avoir distribué les ordres à ses sous-fifres, il s’était retiré dans une chapelle attenante et avait fait la fête avec sa nouvelle recrue. Le tout sous les yeux de la déesse que les humains vénéraient, qui, soi-disant, avait été engrossée par Mannu lui-même, sans perdre sa virginité !... Elle était là, juste devant lui, tenant son enfant dans ses bras blancs, un air à la fois tendre et douloureux sur le visage. Lathelennil détourna le sien. La veille, il avait pris son esclave à quatre pattes, juste là, avant d’ingérer tout ce qui lui restait de gwidth et de sombrer dans un coma salvateur. Il pouvait mourir demain au combat, son âme millénaire dispersée à jamais dans le néant. Alors, autant en profiter. Sauf qu’il avait un peu forcé ma dose cette fois : Lathelennil reconnaissait au fond de lui-même qu’il supportait ces excès de moins en moins. C’est qu’il n’était plus tout jeune !

Après avoir avalé une pilule fortifiante, le dorśari alluma son intercom. La veille, Sœur Yolen avait distribué ces machines à toute la compagnie. Sagace, elle avait pris soin de configurer un canal de transmission exclusivement réservé à la communication entre elle et son maître. Lathelennil devait lui concéder cela : non contente d’apprendre vite, Yolen était une esclave née, l’une de celle touchée par la grâce de Shemehaz. Et comme tous ces bénis de l’univers, l’ex-bonne sœur avait une santé de carcadann : elle avait eu le temps de se lever et de lui laisser trois messages d’appels infructueux. Lathelennil décida de la rappeler.

— Un problème, Yolen ?

La voix basse et éraillée de Lathelennil résonna dans la chapelle, qui la renvoya de mur en mur comme une onde spectrale. Personne ne lui répondait.

— Lathé à Yolen, répéta-t-il en secouant l’inutile instrument entre ses longs doigts. Tu m’entends ?

Contrairement à la plupart des ældiens, Lathelennil ne méprisait pas les artefacts adannath. Il leur trouvait même un certain génie. Mais cet objet permettant de communiquer en transitant dans une cassette de fer et de silicium lui déplaisait. Il faisait des bruits, crachotait. Et surtout, il était peu fiable. Pourquoi ne répondait-elle pas ?

La lueur rouge du couloir avait fini de pulser. De plus en plus alarmé à mesure que se dissipaient les brumes du sommeil (ou que le comprimé faisait effet), Lathelennil se leva complètement. Il finit de boucler son armure – laissant le col à demi-ouvert sur son poitrail blafard, couturé et tatoué –, ceignit sa lourde épée et se dirigea vers la nef. Elle était vide.

Merde.

Où étaient passés les autres, l’humaine enceinte, le prince cobaye et sa nouvelle esclave ?

— Yolen ! tenta-t-il encore une fois.

Lathelennil se vantait de bénéficier d’un bon nombre de qualité – intelligence et humour, notamment – mais la patience n’était pas son fort. Il s’apprêtait à balancer l’intercom contre le mur lorsque la machine se réveilla.

— Seigneur Lathelennil.

Le susnommé se figea. Cette voix glaciale, ô combien familière… pas de doute.

— Unila, souffla-t-il.

Le silence éloquent de l’autre partie lui confirma qu’il avait tapé dans le mille. C’était bien son premier lieutenant, cette elleth de noble maison au visage à faire tourner le gwidth. La bonne nouvelle, c’est qu’elle n’était sans doute pas seule.

— Vous êtes enfin là. Un bail que je vous attendais ! Où sont mes prisonniers ? Vous les avez trouvés, j’imagine !

Le ton d’Unila était si polaire que Lathelennil eut l’impression que Mord, le Père des Glaces orcneas, avait soufflé dans son intercom.

— Sa Seigneurie le prince Erendil est avec moi. L’humaine pleine est enchainée et prête à être embarquée. Quant à l’autre adannath femelle, Visenn est en train de l’essayer.

— L’essayer ? grinça Lathelennil, doutant de ce qu’il entendait.

Quelques cycles plus tôt, le quatrième prince de Dorśa aurait sans doute ricané à la perspective d’une esclave culbutée par l’un de ses guerriers – fût-il cet incapable arrogant de Visenn. Mais, cette fois-ci, il sentit son cœur s’accélérer, et ce n’était pas dû à l’excitation, cette fois.

— Quoi ? Mais c’est mon esclave ! Un otage important, qui plus est !

— On ne le savait pas.

Le ton renfrogné de l’elleth acheva de hérisser Lathelennil. Il lâcha un chapelet de jurons bien sentis, qui se répandirent en échos rageurs dans l’église vide.

— Empêche ce fils de troll des niveaux inférieurs de l’outre monde de la toucher. Si elle a quoi que ce soit sur le corps, ou pire, s’il l’a marquée, je lui dépiaute les couilles et je te les donne à bouffer !

— Compris, Ennil.

— Et appelle-moi maître, rugit Lathelennil.

D’un coup de griffe rageur, il mit fin à la communication.

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