Yamfa : sauvée II

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Yamfa s’attendait à devoir passer une batterie de sas, gardés par des gardes au secret et surarmés. Après tout, les ældiens étaient supposés disparus : même si les gens informés qu’on en avait ressuscité un – le père de Kael, précisément – et que quelques autres avaient réussi à survivre en se cachant dans les plis de la Trame, les derniers représentants de cette race légendaire n’encombraient pas les couloirs aériens. Et puis, ils étaient craints : si on en trouvait un, il serait forcément mis sous bonne garde.

Mais personne ne murmurait, les yeux inquiets, dans les couloirs décrépits de l’unité médicale de la base. Chacun continuait ses tâches quotidiennes sans même faire attention à elle. De temps en temps, un regard curieux se posait sur Yamfa : « ah oui, c’est elle qu’on a trouvé toute brûlée, dans le désert radioactif ». Et c’était tout. Et lorsqu’on lui ouvrit une petite porte toute simple, qui n’était ni gardée ni verrouillée, Yamfa eut la surprise de découvrir un jeune homme allongé dans un lit. De l’immense seigneur vampire aux ailes noires, il ne restait plus rien. On l’avait remplacé par un garçon pâle à la peau brûlée par endroits, suspendus à des fils, des tubes et autres cathéters comme une chrysalide de papillon en transformation.

— Ciann, murmura Yamfa en s’approchant.

— Attention, la mit en garde l’infirmière. Ne poussez pas la bâche. Ses blessures sont encore hautement radioactives.

Yamfa lui jeta un regard dur, puis elle regarda ses blessures à elle, plus propres et recouvertes de gaze. Ciann avait tout pris. Et on prétendait l’empêcher de le toucher ? De toute façon, elle avait déjà la dose recommandée.

— Pouvez-vous me laisser seule avec lui un moment, s’il vous plait ?

La soignante qui l’accompagnait sembla hésiter un moment, puis elle la laissa.

— D’accord. Je reviens vous chercher tout à l’heure.

Sitôt qu’elle fut partie, Yamfa repoussa le rideau transparent qui l’isolait de Ciann. Il dormait. Elle passa doucement ses doigts sur la joue de Ciann, du moins, celle qui n’était pas brûlée. Comment avait-il réussi à survivre, et à convoquer suffisamment d’énergie pour effectuer une configuration, surtout réputée aussi difficile ? Yamfa avait cru comprendre qu’il était quasi-impossible aux jeunes perædhil de reprendre forme humaine après avoir fait leur Choix. C’est que, semblait-il, Ciann ne l’avait pas encore fait.

Yamfa se pencha pour déposer un baiser sur la joue de Ciann. Peut-être que si elle lui donnait un peu de sang, il se réveillerait plus vite ? Mais au moment où elle s’apprêtait à l’embrasser, une main la tira brusquement en arrière. C’était une soignante en combinaison anti-radiation, qui la fixait d’un air sévère.

— Vous ne devriez pas le toucher, la mit en garde l’infirmière. C’est dangereux.

Yamfa se força à lui octroyer un faible sourire.

— Je suis aussi irradiée que lui…

— Non. Il est plus atteint que vous. En outre, cela fait des jours que vous baignez dans une cuve de bio-plasma. Votre état est déjà bien stabilisé. Ce n’est pas son cas à lui. Je vais vous demander de quitter la chambre.

Yamfa soupira et obtempéra. Elle jeta un regard plein de regrets vers la silhouette de Ciann – elle aurait tant voulu être celle qu’il verrait en ouvrant les yeux, au lieu de ces bonnes femmes peu aimables ! – mais un rideau plastifié fut tiré devant lui, le dérobant à sa vue. Elle se dirigea mollement vers le couloir, toujours vêtue de son uniforme de son malade.

Ciann. Il avait tout sacrifié pour elle. Il était gravement irradié… allait-il se remettre ? Un pur ældien, sûrement. Sans compter leurs aptitudes à agir sur la matière, ils avaient des facultés de régénération extrêmement impressionnantes. Mais quand était il des perædhil comme Ciann ? Si seulement elle pouvait rester près de lui, au lieu de se morfondre dans ses couloirs sombres… que pouvait-elle faire ? Ah, peut-être se connecter au Réseau pour avoir d’éventuelles nouvelles. Depuis le temps – combien de temps d’ailleurs ? Il fallait qu’elle le vérifie aussi –, leur vaisseau et tout son équipage devait être portés disparus. Il y aurait sûrement quelque chose sur le Réseau républicain. Tout ce qu’elle avait à faire, c’était trouver une borne d’accès. Mais où ?

Un petit groupe de soldates en uniforme discutait au détour d’un couloir, collisionneur portatif en bandoulière. Elles sauraient sûrement. Yamfa s’approcha d’elles, dans l’idée de leur demander où se trouvait le terminal public pour se connecter au Crypterium.

« … Oui, il est revenu cette nuit. Ce n’est pas encore officiel, mais Lee me l’a confirmé : ils ont trouvé un autre corps cette nuit.

— Le vampire ?

— Il ne restait qu’une outre peau de vide, même les organes internes avaient disparu… toujours le même modus operandi. »

Intriguée, Yamfa s’immisça dans la conversation sans y faire attention.

— Le vampire ? Quel vampire ?

Les trois femmes se tournèrent vers elle. Elles la parcoururent du regard, de haut en bas, jusqu’à tomber sur sa plaque « invitée ».

— Ah. Tu es la gamine qu’ils ont trouvée dans le désert… je suis étonnée que tu parles le Commun.

Yamfa fronça les sourcils.

— Et pourquoi ne le pourrais-je pas ?

— Parce que tu es apparue de nulle part comme un djinn, répliqua une femme à l’éclatante chevelure rouge, dont le bas du visage était tatoué. Danya Mathers, de la colonie de Soltenyi. J’étais de garde quand on t’a trouvé.

Elle lui tendit une main gantée, que Yamfa prit sans conviction. À force de trainer avec Kael et sa famille, elle n’était plus habituée aux civilités humaines. Entrainée par leur camarade, les autres femmes se présentèrent aussi : l’une d’elles s’appelait Uby quelque chose, quand à l’autre, elle avait un nom si compliqué que Yamfa l’oublié sitôt qu’il fut prononcé.

— Alors, je peux vous demander ce que c’est que cette histoire de vampires ?

— Le vampire du désert. Cinq gardes sont morts déjà. Un par nuit… le dernier a été emporté par une chose volante juste sous les yeux de son coéquipier, il y a de ça six jours.

— Et ça s’est arrêté ?

— On a doublé la garde. Depuis, plus aucune manifestation. Mais on est toujours en état d’alerte générale.

— Vous pensez que c’est un vampire, comme dans les vieilles légendes terriennes ? s’enquit Yamfa en croisant étroitement les bras.

— Non, bien sûr. Plutôt une sorte de rapace géant, ou un autre prédateur volant… ça nous étonne un peu, car nous pensions ce caillou vierge de toute vie. Mais après tout, on vous a bien trouvé, toi et ton copain.

Yamfa dissimula un frisson. Ciann venait d’être cité, juste quelques secondes après la mention du « vampire ».

— Moi, je crois que c’en est un, intervint la fille au nom imprononçable. Dom l’a vu, et il l’a raconté que c’était comme un homme de très grande taille, nu et noir comme l’espace, avec une petite queue…

— Une queue comme celle des démons, longue, fine et noire.

La queue ! À l’évocation de cet appendice, Yamfa sentit le sang déserter son visage pour descendre dans son estomac. Si ces infirmières déshabillaient Ciann, elles verraient sa queue, toujours dissimulée sous ses vêtements et enroulée autour de sa taille…

— Je reviens, annonça-t-elle brusquement. À plus tard !

Revenue devant la chambre de Ciann, elle attendit de voir si une soignante s’y trouvait. Puis elle se précipita à son chevet. En s’apercevant qu’il portait un uniforme tout neuf comme le sien, Yamfa sentit la panique la gagner.

La queue ! Ils avaient dû la voir, forcément.

Fébrile, Yamfa entreprit de le déshabiller. Il n’y avait rien autour de sa taille. Elle lui poussa la hanche pour le faire rouler sur le côté, et regarda en bas de son dos, à la limite du coccyx : il n’y avait rien d’autre qu’une cicatrice fraiche, au milieu des nombreuses brûlures sanglantes.

Ciann s’était arraché la queue. Il avait également rogné l’extrémité de ses oreilles, Yamfa ne savait comment. Et, en lui ouvrant la bouche, elle constata qu’il s’était également arraché les canines.

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