Gerald Zrivian : III

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Dans mon rêve, Ren me disait au revoir. La longue tresse blanche qui retenait sa chevelure restait hors d’atteinte de mes doigts, posée comme un trophée sur son épaule noire. Il faisait nuit, sur Pangu ou ailleurs. Dorśa, peut-être. Tout était sombre. Une forêt épaisse de feuillus persistants s’étendait derrière lui, leur faite pointu faiblement éclairé par la lune. De Ren, je ne pouvais voir que le bas du visage. Le reste se dérobait à ma vue. Il me parlait, pourtant. Ses lèvres remuaient. Que disait-il ? Était-ce une mise en garde ? Ou un adieu ?

Il s’éloignait. Puis il disparut tout à fait. Je me retrouvais seule dans cette forêt sinistre, éclairée par une lune blanchâtre.

*

— Réveillez-vous.

La voix sombre de l’Inquisiteur couvrit à peine l’alarme qui me vrillait les tympans. J’avais froid, j’avais mal à la tête, et surtout, je ne savais plus où j’étais.

— Qu’est-ce que vous avez fait ? grommelai-je d’une voix pâteuse. Vous m’avez endormie !

— C’est la procédure.

D’une poigne de fer – c’était le cas de le dire, avec ses bras cybernétiques – Zrivian me tira de la couchette dans laquelle il m’avait enfermée. C’était un vieux sarcophage de voyage cryogénique, une relique datant d’une époque antérieure à la découverte de la Luge et de la Trame.

— Où sommes-nous ?

Je jetai un regard circulaire. Les instruments clignotaient de façon peu engageante, et la baie virtuelle était occultée.

— Il y a un problème, commença Zrivian en me tournant le dos.

— Ça, pas besoin de me le dire…

Le regard jaunâtre qu’il me jeta par-dessus son épaule m’empêcha de pousser le sarcasme plus loin.

— Si c’est une avanie technique, je peux éventuellement vous aider ? proposai-je en désespoir de cause. J’ai une formation de mécanicienne, et je suis une naute patentée…

Zrivian ne me laissa pas finir.

— Il s’agit d’une affaire militaire. La station ne répond plus. Visiblement, elle a subi une attaque.

— Une attaque ?

— Des ældiens, précisa-t-il avec un petit regard.

Merci, Anwë, soupirai-je intérieurement.

— Les Sombres, continua Zrivian à mon grand désespoir. Mais il n’y a pas que ça. Il y a quelques heures, le monastère orbital a été déclaré zone rouge par les forces de surveillance du Réseau. C’est ce qui a permis au spécimen d'unseelie qu'ils possédaient de s’échapper. La garnison sur place a été évacuée. Je suis en train d’essayer de les contacter, mais nous ne pourrons vraisemblablement pas accoster.

J’eus du mal à réprimer un tremblement. Une zone rouge…

— Je croyais que le SVGARD était spécifiquement chargé du colmatage de ces zones ?

— En théorie, oui. Nous gardons les environs de celles qui sont déjà ouvertes. Mais la garnison de Corot était majoritairement composée de personnel scientifique : elle comptait peu de militaires. Il nous faut des agents spéciaux pour colmater une brèche.

— Des agents comme vous ? tentai-je.

J’espérai qu’il nous laisserait partir pour aller accomplir sa mission. Avec un peu de chance, elle serait classée « prioritaire ».

Mais Zrivian anéantit mes espoirs en secouant la tête.

— Non. Je ne suis qu’un enquêteur. Au SVGARD, les tâches sont clairement réparties.

Je poussai un soupir de déception.

— Et le spécimen sur place ? L’ældien ?

Zrivian ne répondit pas. Une voix claire le fit à sa place :

— D’après l’analyse thermique, il a pris des otages, et délivré un autre spécimen. Ils sont quatre, là-dedans, réfugiés dans l’Église. L’un d’eux répond au code d’identification d’une sœur aspirante, l’agent Yolen Radescu. Les deux autres sont exogènes. Mais il y a également un civil non identifié, Gerald. Et ce civil porte un fœtus.

Un petit garçon pâle se tenait devant nous, droit comme un i. Il portait la même combinaison d’intervention hazmat que l’Inquisiteur, et, visiblement, tout autant de modifications cybernétiques.

Zrivian fronça les sourcils.

— On a plus le choix. Il faut intervenir. J’imagine que la sœur est prête au martyre, mais si la vie de deux citoyens civils sont en jeu…

Je les regardai tous deux, stupéfaite.

— Mais qui êtes-vous ? Zrivian, vous ne m’aviez pas dit que vous aviez un fils !

Le jeune se tourna vers moi, comme s’il me voyait pour la première fois.

— Je me présente : agent spécial Niko. Je ne suis pas son fils. Les membres du SVGARD n’ont pas le droit de se reproduire.

— Et ils recrutent des enfants, maintenant ?

Ils en étaient bien capables. Ainsi, les rumeurs racontant que le SVGARD enlevait des mineurs pour des expériences pédosataniques étaient vraies !

Zrivian rompit le trio en roulant des épaules.

— Niko est un agent patenté. Tout comme moi. Je vous déconseille de le traiter autrement : il est capable d’oblitérer un char de guerre à mains nues, s’il le faut.

Incrédule, je scrutai le gamin. Il était plus petit que moi.

— J’ai été recruté à la suite d’un accident nécessitant la reconstruction de mon corps à plus de 98 %, m’informa le petit de sa voix impubère. Mes parents n’avaient pas les moyens de payer l’opération. Les citoyens peuvent choisir de léguer leur corps à la Légion dans les cas extrêmes, et j’ai eu la chance qu’un agent des forces spéciales passe par là.

Il désigna Zrivian, discrètement.

Je me tournai vers le susnommé.

— C’est donc vous qui avez menacé les parents de ce pauvre gamin pour qu’il devienne une machine insensible et fanatique ? aboyai-je, choquée.

— Non. Je ne suis pas recruteur. On m’a adjoint Niko beaucoup plus tard.

— Je me sens extrêmement honoré de travailler avec l’agent spécial Zrivian, pérora le môme avec un sourire sur ses lèvres bleues. C’est une légende au Bureau, vous savez !

Une toux raide de la « légende » mit fin aux indiscrétions de l’agent Niko. Visiblement, Zrivian n’avait pas envie qu’on ouvre son petit placard personnel.

— Il va falloir se préparer à l’infiltration sans attendre les renforts mandés par la garnison. Vous êtes une civile, vous resterez donc à bord sous la garde de Niko, avec la prisonnière, jusqu’à votre transfert vers un nouveau monastère (Il se tourna vers son adjoint) Statut ?

— Tout est sous contrôle, confirma Niko.

Il parlait vraisemblablement d’Elbereth.

Je n’avais aucune envie de rester à attendre le SVGARD sur ce vaisseau. Et avec Elbereth « sous contrôle » quelque part (vraisemblablement dans un caisson cryo), les ældiens à bord de la station orbitale de Corot-7b représentaient ma seule chance de leur échapper.

— Emmenez-moi sur la station, proposai-je en m’avançant vers Zrivian. Vous aurez besoin de moi pour communiquer avec les ældiens : je parle l’ældarin.

Le regard du jeune Niko me quitta pour interroger son binôme, mais ce dernier, qui était déjà en train de boucler son armure de sortie extravéhiculaire, se contenta d’un sourire amusé.

— Moi aussi, asséna-t-il. Et je le parle mieux que vous.

Son ton péremptoire, et pourtant d’un naturel déconcertant me piqua au vif. Il avait dit cela comme si c’était évident. Pour qui se prenait-il ?

— Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela ?

— Le sang ældien qui coule dans mes veines, associé à une connaissance éprouvée du terrain de déploiement de ces créatures.

— Que… quoi ?

— Je suis perædhel. Vous savez ce que ça veut dire, j'imagine.

La révélation me fit l’effet d’une gifle. Et pourtant, une fois qu’il l’eut dit, cela me parut évident. Les yeux jaunes à la pupille elliptique, la longue chevelure blanche, les traits à la fois forts et aigus… tout criait à l’ældien chez ce type.

— Perædhel ? Mais alors…

— Alors, je parle mieux l’ældarin que vous. Retournez à vos quartiers, maintenant. On vous appellera quand on aura besoin de vos services.

— Mais… vous n’avez pas peur que je vous dénonce ? Nous sommes en plein bastion du SVGARD, ici.

Je jetai un coup d’œil à Niko. Ce dernier n’eut pas l’air de réagir. Son visage restait aussi expressif qu’un masque de théâtre ancien japonais.

— Ils le savent déjà. Tout le monde le sait. Légende du Bureau, vous vous rappelez ? Allez, repartez vous mettre à l’abri.

L’abri, c’est-à-dire loin du théâtre des opérations.

Le visage spectral de Niko vint occulter la vision de Zrivian en plein harnachement.

— Suivez-moi, fit Niko en posant sa main sur mon avant-bras. Je vais vous conduire jusqu’à la zone sécurisée.

C’était un ordre, pas une proposition. Le gamin avait des bras plus fins que les miens, mais il avait une poigne de fer.

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