Nouvelles recrues IV

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Yolen redescendit de l’autel, la coupe en main. À sa façon de la porter, elle évoquait à Lathelennil l’une de ces prêtresses antiques, qui procédaient aux libations dans les temples enfouis de la lointaine Mésopotamie. Une époque bénie, où les ædhil et les humains vivaient en harmonie.

La Sœur Sanglante s’approcha de l’ældien prostré. Ses yeux – deux saphirs éteints – regardaient dans le vide. Son panache pelé s’était recroquevillé autour de son ventre de façon pathétique, cachant sa poche pénienne blessée par le cathéter. Le dos rond, les jambes ouvertes, sa terne crinière trempée et emmêlée, d’où émergeait une triste paire d’oreilles basses, il ressemblait à une vieille peluche de lion fatiguée.

— Tenez, murmura Yolen, buvez ça.

Lathelennil la regarda opérer. Il y avait une chance pour que l’ældien réagisse violemment. Mais il était dans un tel état qu’il se laissa faire, lorsque la nonne poussa la coupe contre ses lèvres asséchées.

Pitoyable, grogna Lathelennil entre ses dents.

Aussi le mouvement suivant du mâle surprit-il le dorśari. Après avoir lapé la coupe d’un air absent, le mâle se réveilla. Les deux saphirs s’allumèrent soudainement et braquèrent une lueur haineuse sur Yolen. La malheureuse fut saisie par le jeune ædhel, qui planta ses crocs dans sa gorge.

— Halte là ! bondit Lathelennil. C’est mon esclave que tu es en train de saigner !

D’une bourrade brutale, le dorśari repoussa le mâle agressif. Ce dernier, épuisé, n’opposa aucune résistance. Il heurta les bancs en simili-bois, provoquant un écho qui se répercuta jusqu’au plafond de la nef, puis se ramassa à quatre pattes parmi les consoles religieuses et les câbles permettant de se connecter au livre sacré.

Tout en gardant un œil prudent sur lui, Lathelennil referma un bras protecteur sur la nonne choquée. Le cœur de cette dernière battait à tout rompre.

— Ça va aller, je suis là, lui murmura-t-il. Je ne laisserai personne te toucher.

Sœur Yolen se blottit contre lui, comme si son ravisseur était son chevalier servant. Pour la première fois, Lathelennil eut l’impression de comprendre la colère de Silivren, lorsque, en pleine crise de jalousie, il avait attaqué Rika.

— On t’a tiré de ta cuve, l’ami, rappela Lathelennil en ældarin. Je t’ai offert un peu du sang de mon esclave personnelle pour te requinquer, parce que tu n’avais vraiment pas bonne mine. Mais ça ne veut pas dire que tu peux te servir à ta convenance ! Si tu veux une esclave, va t’en trouver une. Ou sers-toi sur ta femelle humaine, tiens !

Cette proposition fut accueillie par un nouveau regard furieux du mâle. Ce dernier se releva péniblement, mais Lathelennil nota tout de suite la dose d’arrogance dans son maintien.

— Comment tu t’appelles ? s’enquit-il, sa curiosité pleinement éveillée.

— Ce n’est pas ma… femelle, Niśven ! répliqua l’autre d’un ton aussi rauque que vindicatif.

Il avait une voix de basse profonde, avec un soupçon d’accent de Haute Cour lumineuse. Le coin de la bouche de Lathelennil se releva imperceptiblement.

— Oui, je m’appelle bien Niśven… Lathelennil Niśven, prince de Sorśa. Et toi ?

L’autre s’était totalement redressé.

Sorśa ! cracha-t-il. Dorśa, plutôt ! Si vous voulez savoir mon nom… C’est Erendil Ard-an-Uryen, fils du Prince Śaimesh de la Troisième Haute Cour de Lumière !

Lathelennil haussa un sourcil. Śaimesh Ard-an-Uryen, commandant en chef des princes-dragons… Intéressant.

— Erendil… Eh bien, Prince, on dirait bien que le sang de mon esclave t’as fait du bien ! Et qui est cette humaine ?

Erendil jeta un regard aussi rapide que dédaigneux à la femme prostrée sur son banc.

— Qu’en sais-je ? C’est une femelle faux-singe a qui on a odieusement injecté mon principe mâle afin de faire perdurer sa portée bâtarde. Cela devait encore être une de vos captives, à vous autres, dorśari ! Il n’y a que vous pour commettre de tels accouplements contre nature.

Son « principe mâle ». Lathelennil s’amusa de la formule, avant de comprendre la vérité.

— Tu veux dire que cette femelle était déjà pleine avant qu’on ne la remplisse avec ton sperme ? s’étonna Lathelennil.

— Probablement. En tout cas, même soumis aux fièvres, j’ai refusé de la toucher. Les faux-singes me dégoûtent ! Quand ils ont vu que leurs infâmes tentatives pour m’accoupler avec cette femelle guenon ne donnaient rien, ils m’ont bourré de drogue et enfermé dans cette affreuse cuve, après avoir mutilé mon membre viril !

Lathelennil se garda de rire, même s’il en éprouvait désormais une folle envie. Le prince Erendil le regardait d’une telle manière qu’il se serait probablement jeté sur lui, s’il l’avait fait.

— Tu me vois navré de te savoir victime de toutes ces humiliations, Prince, railla le dorśari. J’ai moi-même été retenu prisonnier par ces faux-singes. Oh, pas bien longtemps, je l’avoue. Vois-tu, nous autres, en plus des accouplements contre-nature, sommes des spécialistes de la guerre. Il m’a été fort facile de m’évader.

Erendil ne goûta guère la boutade.

— Si vous me ramenez à mon père, Seigneur Lathelennil, vous serez récompensé, murmura-t-il. Et une trêve momentanée sera observée entre Sorśa et Dorśa. Lorsque l’ennemi n’est pas du Peuple, les vieilles querelles n’ont plus cours !

— Je sais. En outre, je suis en assez bons termes avec Edegil. Mais nous avons un problème. Pour l’instant, nous sommes coincés ici. Les faux-singes ont déserté la place, certes… Mais aucun vaisseau n’est utilisable. Pour revoir ton père et le Ráith Mebd, tu devras attendre que j’ai fini de réparer mon cair.

Erendil poussa un soupir à la fois douloureux et résigné. Il se rassit sur le banc, découragé.

— On ne tiendra pas, murmura-t-il. Ces inquisiteurs du SVGARD sont des fanatiques, plus obstinés que des cohortes de fourmis. On en écrase dix, il en revient cent. Ils réapparaitront en force, après avoir convoqué la Légion et les meilleurs phalanges de l’Exterminatio, et vous aussi, vous finirez comme moi, à leur servir de cobaye !

Lathelennil se permit un petit sourire torve.

— Cela m’étonnerait, grinça-t-il en tapotant ses canines renforcées d’iridium de sa griffe acérée. J’ai un plan. En outre, mon ost est déjà sur le chemin. Par les passages du Dédale de l’Autremer, ils seront là avant eux.

— Combien d’aios compte votre flotte ?

— Aucun. Et nous n’avons qu’un seul cair : le mien. Mais je n’échangerai l’un de mes chasseurs pour rien au monde. Ils sont tous très intelligents et hautement spécialisés. Par-dessus tout, ils sont extrêmement dangereux.

— Qu’importe, maugréa Erendil. Cela ne change rien. Sans flotte de renfort, nous sommes perdus.

Lathelennil ouvrit les bras dans une parodie de supplication tragique.

— Où est passée la morgue légendaire des princes-dragons d’Avandor ? s’exclama-t-il. T’ont-ils ôté les couilles en prime, lorsqu’ils ont pompé ton membre de son suc ?

Pour toute réponse, le jeune prince lui jeta un regard peu amène, mais cela ne stoppa pas Lathelennil.

— Je suppose que tu as reçu une formation militaire, continua-t-il en dardant sur Erendil un regard sans pitié. Ton père est un sidhe célèbre : il a dû t’apprendre quelque chose ! Tu m’aideras à organiser la défense de la station.

Le jeune prince acquiesça, vaincu. Lathelennil le regarda un moment, puis il alla se planter devant la femme humaine.

Au milieu de toute cette agitation, elle avait repris quelques couleurs. Elle leva les yeux sur le dorśari, et son regard croisa le sien.

— Et toi, ma mignonne, lui demanda Lathelennil en Commun après un silence. Abandonnée de tous, même de ton prétendant malgré lui… Qui est le père originel de ta portée ? Un humain ?

La jeune femme ne détourna pas le regard. Elle continua à fixer Lathelennil, farouche.

— Un ædhel, coassa-t-elle enfin. Le père est un ædhel.

— Un lumineux, comme celui-là ?

La femme jeta un œil vindicatif au jeune mâle.

— Non. C’était un chasseur unseelie. Féroce, létal. Pas un geignard prétentieux comme celui-là.

— Tu connais son nom ?

— Son nom… Oui. Il s’appelait Aodhann Uathna.

Lathelennil marqua un petit silence. Les Uathna de Tará étaient peut être de sombre clarté, mais ils étaient loin d’être des amis de la Cité Noire.

— Aodhann Uathna, répéta-t-il. Et toi ? As-tu un nom ?

— Je me nomme Indis Reiss. J’étais navigatrice sur un navire de commerce, avant d’être arrêtée par l’Inquisition.

— Un navire de commerce ? Lequel ?

— L’Ama-no-kawa, sous les ordre du capitaine Kael Srsen.

Les yeux de Lathelennil s’agrandirent. Mais, une fois de plus, il sut cacher sa surprise.

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