Cerin : La Dame Blanche

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Lorsqu'elle se remémorait cette nuit désastreuse, Cerin avait du mal à se retenir de gémir. Finalement, elle n'avait rien pu faire. Elle avait encouru la damnation pour rien. Asdruvaal était mort, certes, mais pas Ialiel. Ialiel... La jeune perædhelleth chassa vite ce nom de sa tête.

Tout était allé tellement vite ! Et en même temps, lorsqu'elle y repensait, Cerin voyait les évènements se dérouler au ralenti, comme ces films humains que regardaient sans cesse ses parents. Asdruvaal, saisi dans sa gueule par Caël, changé pour toujours en dragon blanc. La mort de Keita. Celle de Naradryan. La jeune psionique qu'aimait tant son frère, Omen... Elle était morte elle aussi, la première probablement. Les dorśari attaquent toujours ainsi, en circonvolutions. Ils isolent leurs victimes, éliminent les brebis galeuses – et les lanceurs d'alerte – puis fondent tout d'un coup sur le troupeau, une fois la pression bien montée dans les tours. C'est parce qu'ils ont besoin de sentir la peur de leurs proies : ils s'en nourrissent, presque autant que de leur chair et de leur sang. Ialiel et Asdruvaal n'avaient fait que répéter un plan de bataille longuement éprouvé, par des millénaires de tueries et d'orgies d'hémoglobine. Ils l'avaient fait naturellement, sans doute sans avoir besoin de se concerter.

On les connaît, pourtant, se morigéna Cerin. On sait comment ils agissent. Et on savait qu'ils nous avaient pris en chasse.

Elle, elle savait. C'était comme si elle avait pu sentir l'odeur de Ialiel, dans le noir, cette odeur suave et musquée de mâle, mêlée à ce je ne sais quoi de ferrugineux que dégageaient les dorśari.

Mais cela avait été fondé sur une simple intuition. Et une fois de plus, si elle lui en avait parlé, son frère aurait interprété cela comme un traumatisme, un stigmate de ce que lui avait subir Ialiel. Cerin ne voulait pas qu'il la considère ainsi, comme une elleth faible. Elle ne voulait pas qu'il sache.

Des préoccupations bien inutiles, désormais. Caël ne s'inquièterait plus jamais de rien. C'était devenu un être féral, une force primaire, à qui seule importait l'heure de la prochaine chasse. Un wyrm.

Cerin soupira. Et leur frère perdu et retrouvé, Ciann... Dans le chaos ambiant, il n'avait rien trouvé de mieux à faire que d'imiter son frère et de gaspiller sa configuration ultime pour se changer en une créature terrifiante, tout droit sortie des cauchemars d'un dorśari sous ayesh. Ailes noires, cheveux noirs. Les yeux brûlant dans la nuit, d'un rouge sans profondeur, comme du gwidth. À ce moment-là, elle avait compris à quel point leur frère était Niśven. Là où Caëlurín avait choisi un superbe dragon blanc aux cornes dorées, roi des cieux et des nuages immaculés, Ciann avait pour sa part décidé d'invoquer un tyran diabolique, aigle monstrueux aux immenses et chitineuses ailes noires, aux serres cruelles et aux yeux rouges comme le sang. Ni tout à fait un wyrm, ni tout à fait un aigle, ni tout à fait un ædhel, et tout cela à la fois. Puis il avait attrapé les rares survivants sans réfléchir et s'était envolé à la suite de son frère, privant Cerin de sa vengeance et de son prix. Niśven de griffes en cape, des promesses vaines de cheveux lustrés de nuit jusqu'à l'amère, terrifiante déception finale.

Ciann avait échoué à retrouver Caël : monté trop haut, ses ailes n'avaient pas tardé à geler, et il était tombé en chandelle au-dessus d'un massif aux pics vertigineux et enneigés, l'humaine robe de nuit dans les bras. Il avait sûrement amorti sa chute, ou bien elle était morte. Toujours est-il qu'il avait lâché Anguel et Cerin, et que sans la science des invocations transmise par Maître Arahael de cette dernière, ils seraient morts tous les deux... Heureusement, l'Oiseau Bleu, fidèle comparse de Narda, les avait pris sur son dos et déposés dans la plaine, en dehors de ce massif terrifiant, avant de se volatiliser et de retourner sur le plan des sældar.

Mais ils avaient atterri dans un monde inconnu. Sans le savoir, dans sa folle envolée, Ciann avait franchi un portail. Ils n'étaient plus sur Æriban. Du moins, pas sur l'Æriban qu'ils connaissaient, planète de l'Initiation et de la guerre. Là où ils se trouvaient désormais, il y avait des humains. Des humains organisés, en plusieurs microsociétés qui rappelaient un très lointain passé terrien ou celles des hommes importés par leur peuple sur Faërung il y a bien longtemps.

Cerin avait eu besoin d'aide pour sauver Anguel, qui se vidait de son sang. Le jeune soldat était déjà livide, son teint presque plus blafard que celui d'un dorśari affamé. Alors, elle était allée quérir l'aide des humains. Son apparence surnaturelle avait suscité l'admiration et la dévotion des membres de la colonie qu'elle avait découverte – un petit village à flanc de coteau, juste avant l'énorme massif enneigé où était tombé Ciann. Mais sa nature de perædhelleth avait suffisamment dissimulé les traits purement ældiens dans son physique pour qu'on ne la prenne pas pour autre chose qu'une très belle jeune fille de grande taille, qui irradiait une lumière d'un autre monde. Une déesse vivante, un avatar de la Dame Blanche. Voilà ce que ces gens-là avaient cru. Cerin ne leur avait pas opposé de démenti : elle était une apprentie hiérarque, une servante de Narda, destinée à devenir l'avatar de la sældar. Une déesse vivante, en somme, selon les critères humains.

Du plat de sa longue main blanche, Cerin lissa le tissu délicat de sa robe. Ces humains l'avaient vêtue de ce qu'il y avait de mieux. Ils l'avaient accueilli dans leur temple, le temple de la déesse, et lui apportaient leurs meilleures nourritures et boissons. En revanche, ils avaient interdit à Anguel de loger avec elle. C'était un humain, et un mâle, de surcroit. Or, la déesse était censée être vierge. Bien sûr, ils n'osaient pas interdire à Cerin de venir le visiter, de lui parler, ou même de quitter le village avec lui. Mais le légionnaire s'éloignait de plus en plus rarement : on avait utilisé ses compétences pour le village, et il était devenu forgeron. Un forgeron qui connaissait le métal mieux que quiconque, puisque son bras droit était fait de cette matière.

Cerin se souvenait de la stupéfaction des villageois lorsqu'elle avait opéré cette configuration. Elle n'était pas Maître Arahael – lui, il aurait pu soigner Anguel, et d'ailleurs, n'importe quel syntoniseur médical de leur monde aurait pu en faire autant – mais elle avait été capable de lui fabriquer un bras exactement identique au précédent, fait d'acier pur, dans lequel elle avait injecté quelques grammes de mithrine extraits de sa bague qu'elle avait fait fondre. Elle avait voulu y ajouter sa chaîne de nombril, également, mais Anguel avait fermement refusé. Il disait qu'elle pouvait encore en avoir besoin.

On est au milieu de nulle part, ici. Qui sait ? Tu auras peut-être besoin de troquer ce mithrine, cet iridium et ces rubis contre quelque chose qui pourra sauver ta vie, un jour.

Elle l'avait écouté. Et encore aujourd'hui, elle portait la chaîne que Ialiel avait attachée autour de son ventre.

Autrefois, il y a très longtemps, les concubines de la Cité Noire portaient de telles chaînes. Bien sûr, je n'ai pas la prétention de penser que tu me seras fidèle. Nous sommes au-dessus de telles préciosités, n'est-ce pas ? Mais dès qu'un autre mâle posera ses mains sur tes hanches, il sentira le poids de cette chaîne. Il saura que c'est Ialiel Niśven de Dorśa qui t'a initiée. Dès qu'il posera ses yeux sur ton ventre, il y pensera. Et toi aussi, peut-être.

Bien sûr. Cerin y pensait tout le temps, chaîne ou pas. Comment oublier ?

— Déesse, l'interpella une voix. Un visiteur venu de loin demande une audience.

La voix de sa suivante, Natu, lui parvint de derrière le panneau de fourrure blanche qui fermait sa chambre. Cerin se leva, lissa à nouveau sa robe et se redressa. Elle prenait son rôle très à coeur.

— Dis-lui que je le recevrai, dit-elle en se levant. Tout de suite. Fais-le patienter dans le patio pendant que je revêts ma coiffe.

— Oui, Déesse, lui répondit la jeune fille.

Lorsqu'elle sortit de la chambre, Cerin portait tous les regalia de la déesse : coiffe et visage en partie caché, à l'exception des yeux. Mais cela n'empêcha pas son visiteur, un homme d'âge et de physique indistinct, battu par le sable de la route, de s'attarder longuement sur ses seins, qui pointaient sous le voile transparent de sa robe. Cerin resta impassible.

— Prosterne-toi devant la déesse ! lui ordonna le vieillard qui gardait le temple, et qui servait de prêtre avant son arrivée.

Mais l'homme, tout en se courbant à contrecoeur, lui jeta un regard fielleux.

— Je viens voir de mes propres yeux si ce qu'on raconte dans la région est vrai, croassa-t-il, le sourire oblique et la voix rauque.

Encore une fois, Cerin ne prit pas la peine de répondre. Une déesse n'explique pas ni ne demande rien.

— Précise ta question, le tança le vieux prêtre, poussant légèrement l'homme de son bâton. L'Immaculée n'a pas de temps à perdre !

L'homme jeta un regard venimeux au vieillard, puis il reporta son attention sur Cerin. Il la voyait elle, et elle seule.

— C'est bien vrai, alors... La plus belle femme qui existe ici-bas. Les cheveux blancs comme la neige des montagnes inaccessibles, là-haut... La Dame Blanche...

Cerin garda son regard de glace sur lui, impitoyable.

— Ta requête ? dit-elle enfin, pressée d'en finir.

— Ma requête... (L'homme sourit, d'un sourire torve et déplaisant). Oh déesse, je n'en ai qu'une seule, mais elle est tellement folle... Je voudrais voir, rien qu'une fois, ton beau visage. Enlève ce voile et montre-le-moi.

— Sacrilège ! hurla le prêtre. Cela ne se peut pas ! Comment oses-tu demander une telle chose ?

Le vieillard était pourpre d'indignation. Voyant qu'il commençait à tousser et à s'étouffer, Cerin leva une main apaisante vers lui.

— Je ne peux accéder à ta requête. Retourne-t'en vers ton pays, et va en paix.

Puis elle lui tourna le dos.

Derrière elle, Cerin put entendre l'homme pester et maugréer, mais elle savait également qu'il observait ses fesses, dont la forme parfaite apparaissait derrière les plis légers de la robe. Heureusement, grâce à Ialiel, elle n'avait plus sa queue. Nul doute que de déesse, elle serait passée à démone, alors.

*

Cerin disparut dans ses appartements, au fond du temple, puis passa sur sa grande terrasse en attendant qu'on sorte ce malotru du sanctuaire. Ses suivantes purifieraient ensuite l'endroit en faisant brûler des herbes ramassées dans le désert de pierres qui entourait le village : c'était la règle. Elle semblait particulièrement bienvenue à Cerin, dans ce cas précis.

Les hommes sont dégoûtants, pensa-t-elle. Non, pas tous. Certains...

Ses beaux yeux transparents se posèrent sur les cimes immaculées, au loin. La glace – son élément héraldique – brillait de mille feux sous les rayons impitoyables du soleil. Du pur mithrine. C'était ce qu'elle aspirait à faire de son cœur. Devenir aussi pure, lumineuse, impitoyable que le mithrine, la matière la plus noble de l'univers.

— Cerin.

La voix virile du vétéran la fit baisser les yeux. En silence, et lentement, comme elle faisait toujours.

Il se tenait là-dessous, sous la terrasse de bois sculpté de têtes de wyrms, de carcadann et autres animaux fantastiques. Il portait encore son tablier de travail, mais elle vit qu'il avait revêtu une fourrure de wurg neuve sur ses épaules, et s'était lavé les mains et le visage. Il venait toujours la retrouver ici.

— Un problème ? s'enquit-il, concerné.

Cerin ne prit même pas la peine de secouer la tête.

— Rien du tout. Un fidèle trop empressé.

Elle le vit sourire. Sa large bouche prit un pli qu'elle aimait bien, au milieu du duvet dur et sombre.

Anguel portait constamment une barbe de trois jours. Cela fascinait Cerin, même si elle trouvait que cette barbe rendait certains hommages malvenus. Elle ne put s'empêcher de sourire elle aussi, et une douce chaleur commença à irradier ses reins.

— Viens. Monte.

Anguel leva un sourcil.

— La déesse ne doit-elle pas prendre son repas, bientôt ?

— Je leur demanderai de nous déposer ce qu'il faut à la porte.

— Quelques noix, un petit lézard des sables grillé et un peu de leur excellent hydromel suffiront pour moi, répondit Anguel en sautant d'un geste leste sur la rambarde.

Cerin l'accueillit en se coulant contre lui. Elle chercha sa bouche, se laissa posséder par elle. Mais Anguel la poussa gentiment à l'intérieur.

— On pourrait nous voir. Que diront-ils en découvrant que leur déesse n'est plus vierge ?

— Cela fait longtemps que je ne le suis plus, murmura-t-elle, le feu dans la voix. J'ai connu un ædhel avant toi.

Anguel hocha la tête.

— Je sais. Je sais aussi que je ne pourrais jamais concurrencer un tel amant !

Cerin le poussa sur la couche de fourrures.

— Tais-toi. Et retire ce tablier.

Allongé sur le dos, le vétéran s'exécuta avec nonchalance. Il déboucla ensuite sa grosse ceinture, ni trop lentement ni trop vite. Cerin était une jeune femme – perædhelleth, pardon – passionnée et sensuelle. Elle savait ce qu'elle voulait.

D'ailleurs, elle s'assit sur lui immédiatement, le prenant tout entier entre ses jambes. Il la vit fermer les yeux brièvement et exhaler un soupir silencieux, ce qui le ravit : Cerin était peu expressive, et c'était une semi-ældienne... L'échelle de comparaison était haute. Anguel était le premier à savoir ce qu'était un mâle ældien.

Sauf qu'il n'y en avait pas dans les environs, présentement. Et Anguel était le seul à faire sa taille, et à pouvoir tenir ses seins dans sa paume.

Cerin le chevaucha avec contrôle et vigueur. Elle ne s'abandonnait jamais. Concentrée sur son seul plaisir, elle allait et venait à son rythme, les yeux à demi-fermés. Pour une ældienne, elle était étroite : c'était une perædhelleth, après tout. Elle était très différente de Lumiel.

Mais tout aussi magique et sensuelle, songea-t-il en observant Cerin, les paupières mi-closes.

Anguel savait que cela ne servait à rien de vouloir faire la compétition avec les ældiens. Le phallus des mâles était monstrueux, une arme redoutable qui brûlait les humaines et rendait folles leurs femelles, combiné à la sombre magie de leur luith et à leur savoir-faire diabolique. Mais certaines ældiennes, plus qu'on ne le croyait d'ailleurs, appréciaient également les mâles humains. Plus particulièrement, elles aimaient leurs poils et leur barbe, si exotiques à leurs yeux. En tout cas, c'était ce qu'avait l'air de penser Cerin.

Anguel ne pensait pas souvent à la chance inouïe qu'il avait de pouvoir aimer Cerin : cela lui évoquait trop de souvenirs douloureux. Lumiel, d'abord. Son petit si mignon. Puis Keita. Avec le temps, il en était venu à considérer le jeune colon comme son meilleur ami, avec Kael. Se lier ainsi à des gens, des non-militaires de surcroit... C'était nouveau pour lui. Depuis son enfance, Anguel avait connu bien des déboires, et bien des aléas. Il ne se liait pas facilement.

Mais Keita, Lumiel et son petit perædhel étaient tous morts. Quant à Kael, il avait disparu dans les cieux, inaccessible. Comme d'habitude, avec la lucidité et le pragmatisme qui lui étaient coutumiers, Anguel s'était fait une raison. Il était passé à autre chose. Et il avait gagné Cerin, en échange.

Cerin. La froide, énigmatique, inaccessible Cerin.

Par certains points, elle lui ressemblait. Cerin ne cherchait pas plus que lui à retrouver ses frères. Elle savait que c'était vain.

Ce sont des wyrms, désormais, lui avait-elle expliqué. Ils sont devenus autre chose. Ils ont perdu pour toujours leur humanité : cela, parmi tout le reste, est irréversible. Et je ne sais pas ce qu'il reste d'ædhel en eux. La férocité et la soif de sang, peut-être.

Ce n'était guère encourageant. Cerin pensait que Yamfa était morte, qu'elle avait dû être dévorée par Ciann – en admettant qu'il eut survécu aux montagnes et à sa chute dans l'abîme glacé – dès les premiers signes de famine.

Après avoir joui en silence, Cerin resta un moment prostrée contre Anguel, ses longs cheveux étalés sur lui comme une rivière d'argent. Puis elle se redressa et se détacha de lui, repue, avant de se laisser rouler sur le côté. Immobile, les yeux rivés sur les poutres croisées du haut plafond du temple, Anguel caressait doucement sa compagne.

— Les dorśari disent que les femelles de lumière sont frigides, résonna soudain la voix de Cerin, froide comme un courant de montagne. Qu'elles s'empêchent d'éprouver du plaisir.

— Oublie les dorśari. Ils ne nous embêteront plus, maintenant.

Cerin garda le silence. Non. Ils seraient toujours là, dans l'ombre, à guetter le moindre instant de faiblesse.

*

Cerin s'éveilla dans la nuit. Elle avait encore rêvé de Ialiel. De son épée de chair en elle, de ses dents féroces sur sa gorge. Par réflexe, elle posa la main sur le côté. Évidemment, elle était seule. Même Anguel était reparti. Ils ne restaient jamais.

Sauf que lui a une bonne raison de le faire, songea-t-elle en roulant sur le côté, la main sous sa joue pâle. Personne ne doit le trouver au temple.

Soudain, Cerin réalisa qu'il y avait quelqu'un dans la pièce. Et ce n'était pas Anguel. Alors, en silence et sans bouger, elle releva les yeux et son regard nyctalope perça les ténèbres. L'homme de la veille. Il était là, debout, à l'observer.

Cerin dormait nue. Même seule, sans mâle dans son lit, elle avait toujours dormi nue. Elle se savait ainsi exposée au regard concupiscent de cet humain affreux, mais, si l'idée la dérangeait, elle ne l'effrayait pas plus que ça.

— Belle déesse, souffla l'homme.

Sous ses paupières mi-closes, Cerin darda son regard ancien sur lui. Il était nu, lui aussi, ses frusques dégoûtantes jetées à terre, pêle-mêle. De sa main sale, il avait saisi son membre pathétique, et le frottait d'avant en arrière en la regardant.

Anguel revint à ce moment-là, torse nu, vêtu de sa seule culotte de peau. Il était sorti dans la nuit fraîche pour uriner. Aussitôt qu'il eut aperçu l'intrus, il marcha vers lui, masse de muscles puissants et de métal brillant. D'une seule main, il souleva l'homme et le secoua comme un prunier. De l'autre – celle en mithrine – il lui asséna une claque, puis deux, puis trois.

— Immonde pourceau !

Après l'avoir bien secoué, il le sortit sur la terrasse et le jeta dehors.

— Si je te revois ici, je te tue ! menaça-t-il.

L'homme s'enfuit dans la plaine déserte en clopinant, apeuré.

Cerin avait assisté à tout ce spectacle avec nonchalance. Anguel la regarda.

— Ça va ?

Pour toute réponse, elle lui sourit. Il n'était pas parti. Mais l'aube allait bientôt poindre.

— On ne pourra pas rester ici, dit calmement Cerin.

Anguel acquiesça pensivement.

— En effet.

— L'homme va le dire à tout le monde. La rumeur va enfler. Quoi qu'il advienne par la suite, ce sera funeste.

— Je le pense aussi.

— Partons. Essayons de revenir sur Æriban, proposa Cerin.

Elle ne pouvait pas se cacher éternellement. Elle s'était suffisamment reposée du choc dû aux retrouvailles avec Ialiel. Cela, elle l'avait compris en s'éveillant, seule dans le lit. Tôt ou tard, il lui faudrait affronter ses démons.

— Æriban.

Cerin hocha la tête.

— Æriban, oui. Et retrouver Caël et Ciann. Les sauver de leur condition. Quelque chose doit pouvoir être fait.

Désormais, elle se sentait plus forte.

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