Rencontre avec les O'maks

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L'ascenseur, ce grand défi. J'aurais dû prendre les escaliers, vraiment. Mais j'habite au sixième étage. Alors comme d'habitude, je n'ai pas eu le courage de monter les escaliers... pour le regretter à peine quelques minutes plus tard... En général juste avant que la porte se ferme. J'ai le chic. A tous les coups, quelqu'un bloque la porte pour entrer. Ou pire, il y a les vicieux. Ceux qui arrivent dans ton dos silencieusement. Et qui se glissent sans mot dire avec toi dans l'ascenseur. Sans rire, j'ai failli avoir plusieurs crises cardiaques à cause de ce genre d'imbécile! Heureusement il n'y en a pas eu, aujourd'hui. Pour l'instant, je suis seul. Cette agoraphobie commence à devenir sérieusement gênante. On a tous une phobie, parait-il. Mais pourquoi ai-je celle-ci? Tant qu'à avoir une peur, pourquoi ne pas en avoir une autre, moins handicapante dans la vie de tous les jours? Je sais pas, moi... Tiens, la peur des étoiles. C'est cool, ça. J'ai lu ça quelque part, un jour. L'astrophobie, ça s'appelle. Je crois. C'est simple, il suffit de ne plus sortir la nuit. Ou de ne pas regarder en l'air. Pas trop compliqué, non? Alors que moi, j'ai juste peur de sortir de chez moi. Tout le temps. Le jour. La nuit. Vraiment tout le temps.

L'ascenseur s'arrête au premier étage. Zut! Flute! Une jeune femme monte. Je la connais, c'est Agathe, ma voisine. J'essaye de me faire tout petit. C'est compliqué, je suis le seul dans cette petite pièce. Alors à défaut, je fais la statue. Peut-être que si je fais semblant de ne pas la voir...

  • Bonjour Mickaël.

He mince. Il fallait s'y attendre, en même temps. Elle n'est pas non plus aveugle.

  • Bonjour.

Ma réponse parait sèche, même à mes oreilles. Je me sens un peu coupable de ce que le malaise me fait faire. La pauvre rougit jusqu'aux oreilles. Nous fixons à présent tous deux le même point au sol. Le silence grimpe, se fait gênant. Nous arrivons enfin au sixième étage. Je la laisse passer galamment, me retenant à toute force de courir vers ma porte. En revanche, mes mains sont déjà parties à la recherche des clés. Mes yeux, eux, ne peuvent pas quitter la jeune femme. Elle est habillée en robe aujourd'hui. Elle est belle, avec ses cheveux blonds flottant dans le dos. Un jour, peut-être aurais-je le courage de lui parler un peu plus longuement?

J'ouvre la porte de mon appartement. Comme d'habitude, une bouffée de panique accélère mon coeur, me donne un gros coup de chaud... J'évite de la regarder ouvrir sa porte, à coté. Ce serait pire. Le stress est tel que les clés m'échappent presque des mains. La porte s'ouvre enfin et je m'engouffre à l'intérieur, à court de souffle, la sueur coulant le long de mes tempes...

Après avoir repris mes esprits, Je prépare vite fait mon repas, que je mange devant Star Wars, mon film préféré, et je repense à l'astrophobie. Là, tout de suite, je préfère encore mon agoraphobie. Au moins, je peux regarder mes films tranquillement. Une fois le film terminé, je file me coucher, tout en espérant ne pas faire de cauchemars, comme j'en fais de plus en plus souvent. Je rêve de foules compactes et puantes, se massant autour de moi... Alors j'étouffe et je me noie... Et je me réveille en sueur, si ce n'est, à ma grande honte, le lit mouillé... Noué d'appréhension, je remonte la couverture sous mon menton. J'ai une pensée fugace pour Agathe. J'aimerais tellement, un jour, avoir le courage de lui parler, de l'inviter, voire même... allez... un peu d'ambition... de flirter avec elle... Sur ces images, mes yeux se ferment et mon esprit s'envole dans un sommeil agité...

***

Dans le flou de mon rêve, mes pieds crissent sur l'herbe tendre. Non loin de là, apparaît un village. A bien y regarder, les couleurs sont étranges. L'herbe est pourpre, le ciel a une teinte verdâtre, et les murs du village se parent d'un flamboyant turquoise. De longues formes fantomatiques semblent hanter les rues, ainsi que de rares formes, un peu plus humaines. Je me retourne, peu rassuré. Je sais que ce n'est qu'un songe, mais tout de même... Rien d'autre, autour de moi, que des prairies à perte de vue... Je me dirige donc vers les maisons à l'architecture étrange. Cinq ou six murs selon les bâtiments, aucune fenêtre en vue. Mais des portes en veux-tu, en voilà. Je cherche un commerce, quelqu'un pour me renseigner. Une forme fantomatique se dresse bientôt devant moi. Je devrais avoir peur, non? Alors pourquoi n'est-ce pas le cas? Je m'arrête, elle s'avance vers moi. J'ai envie de lui faire une révérence, elle a l'air si majestueuse. Mais je me retiens, ce serait ridicule...

  • Bonne nuit Mickaël, ta quête t'attends.

Ma quête? Oui, bien sûr. Je hoche la tête, sans même me poser de question sur cette voix qui raisonne tout autour de moi, semblant sortir de nulle part. Je sais qui me parle et pourquoi. Au fond de moi, je sais pourquoi je suis là. Même si j'ignore comment je sais cela.

  • Qu'est-ce que je dois faire?

L'ombre semble respirer tout autour de moi.

  • Tu vois ces maisons?
  • Oui...
  • D'autres O'maks y habitent.

Je regarde ces maisons. Si elle le dit, je la crois sur parole. Mais je ne vois pas en quoi ça me concerne. Alors j'attends la suite.

  • Il faut que tu ailles les voir. Et que tu leur parles.

Ces paroles, que je redoutais, me glacent le sang.

  • Qu'est-ce que je dois leur dire?
  • Tu dois te lier suffisamment avec eux pour connaître leurs secrets.
  • Leurs... hé! Attends!

Trop tard, elle était déjà partie, laissant une trainée de fumée derrière elle. Je reste ainsi un moment, les bras ballants, ne sachant par où commencer. Je regarde à gauche. Une maison turquoise, au moins trois portes visibles, toutes de tailles différentes... Elle ne m'inspire pas. Je regarde à droite. La maison a une forme très irrégulière. On dirait qu'elle a un peu moins de portes, je n'en vois que deux. Je décide alors d'en faire le tour, calmement. Oui, bon, d'accord, c'est pour gagner du temps. Mais repérer les lieux me permet de me familiariser avec eux. De me rassurer. Finalement, je compte tout de même 5 portes, toutes de la même teinte bleue foncée. Je passe ma main sur l'une d'elles. On dirait de la mousse, un peu spongieuse, un peu tiède. Je touche le mur à côté. A l'oeil, il parait lisse, mais au toucher, il fait plutôt penser à du velours. La porte s'ouvre soudain et mon coeur manque un battement. Je suis absolument sûr que je viens de frôler la crise cardiaque! On peut mourir dans un rêve, vous croyez? Une O'mak deux fois plus petite que moi me fait ce qui semble être un grand sourire. J'essaye de lui rendre son sourire, mais je ne sais pas si j'y arrive vraiment. En fait, elle me fait un peu flipper, je regrette de ne pas avoir choisi la maison à côté... Mais... c'est trop tard pour changer d'avis, je crois... non?

  • Bonne nuit Mickaël, entre mon garçon

Je jette un regard à l'intérieur. Ca a l'air cosy. Mais comment fait-elle pour manger sur cette table qui doit bien faire deux mètres de haut? A moins que ce soit une cabane?

  • Bonj... Bonne nuit. Comment allez-vous?

Dans le doute, toujours commencer par des banalités. De toute façon, que pourrais-je faire d'autre? Hey, dis-moi, quel est ton secret? Non, peu de chance que ça marche...

  • Oh bah la routine, Mon arthrose me fait un peu souffrir, mais on fait aller.
  • Vous pouvez avoir de l'arthrose? Sérieux?
  • He bien oui, on vieillit, comme tout le monde! Que croyais-tu?

J'en reste bouche bée. Ce détail ne fait pas partie de ce que je sais d'instinct. Elle m'offre le thé et j'accepte. Nous discutons un bon moment. Au fur et à mesure de la discussion, je me détends. Elle ne me fait plus aussi peur que tout à l'heure. Nous sympathisons, nous plaisantons. Au bout d'un moment, elle me jette un regard taquin.

  • Je vois que tu t'es déjà détendu, du coup, c'est plus la peine que je t'en propose, hein?
  • De... comment ça?

Elle grandit alors d'un coup, devient aussi grande que sa table, et se saisit d'un objet. Il s'agit d'une petite boite rose, en herbes tressées. Elle l'ouvre et à l'intérieur il y a... de l'herbe. La même qui se trouve dehors, celle dans laquelle la boite est tressée.

  • Ca ne te dérange pas si je m'en fume un peu? Ca détend et ça soulage les douleurs, tu vois. Mais chut, ne dit rien. Même ici, ce n'est pas tout à fait permis.

J'en reste bouche bée. De la drogue? Elle fume de la drogue? C'est ça son secret? Je ne me retiens plus et j'éclate de rire. Ce doit être contagieux, car nous rions de concert. Nous discutons encore un peu, puis le lui donne congé. Ma tâche est accomplie, et j'ai l'impression de m'être fait une nouvelle amie. En passant la porte, j'ai une pensée pour elle. La reverrais-je un jour, cette O'mak si sympathique? Et d'ailleurs, suis-je déjà venu ici?

Une chanson monte à mes oreilles. Je la connais. Je l'entends souvent. En général, c'est Agathe qui la chante. C'est sa chanson préférée, je crois. Alors je cherche l'origine de cette mélodie. L'herbe pourpre se plie sous mes pieds. Ne connaissent-ils pas les chemins en pierre, ici? Au coin d'une rue, j'aperçois effectivement Agathe. Alors je me plaque à la maison, pour ne pas qu'elle me voie. Elle murmure et chantonne tout en allumant toutes les torches fixées à chaque maison. C'est sûrement sa quête. En tous cas, elle a l'air d'y prendre grand plaisir, à voir le sourire qui illumine son visage. Elle est si belle.

  • Il y a quelqu'un?

Mince, j'ai dû faire du bruit... Je pars en courant, je trébuche à moitié. Je n'ai pas le courage de l'affronter... Pas encore... J'ai tellement peur que j'ouvre la première porte que je trouve. Heureusement, il y a le choix! Celle que j'ouvre est minuscule, et je dois me plier pour entrer, mais encore une fois, cela me donne une impression de sécurité. Je la referme vite derrière moi. Ma respiration est haletante. Je reste sans bouger, les yeux fermés, le temps que mon coeur s'apaise. Lorsque j'ouvre enfin les yeux, je retiens de peu un cri. Deux crises cardiaques en une nuit, c'est possible?

Juste devant moi, à quelques centimètres à peine, un visage à demi transparent me fixe. Mon premier reflex aurait bien été de reculer, mais je suis déjà dos au mur. Comme il continue à me fixer d'un air innocent, je réalise qu'il s'agit sans doute d'un jeune.

  • Euh.. Bonne nuit?
  • T'es qui toi?
  • Euh... tu ne le sais pas?
  • Non, c'est que les grands qui savent. Y a qu'eux qui ont le droit de donner des quêtes...

Tiens, je pensais que tous les O'maks participaient à ces quêtes... De fil en aiguille, je commence à me poser des questions sur eux. Quelle est leur vie en dehors des rêves? Si tant est qu'ils existent en dehors de mon imagination, mais là, c'est une autre question.

  • Tu as des parents, p'tit? Ils sont où?
  • J'suis pas un p'tit! J'suis un GRAND! Et même que bientôt, c'est moi qui donnerai les quêtes! Mon papa, il est allé voir un monsieur pour chasser les crastouilles. Et maman, elle est avec ma p'tite soeur, dans la cuisine.
  • Les crastouilles?
  • Oui.. tu veux que je te montre? J'en ai un, mais chuuut, faut pas le dire! Tu le diras pas, hein?
  • Oui... euh... non! Enfin... Oui, je veux bien, je ne sais pas ce que c'est.

Le jeune O'mak jette un coup d'oeil furtif par-dessus son épaule, puis, d'un geste, il m'intime de le suivre. Intrigué, je le suis sur la pointe des pieds. Il me fait monter des escaliers étroits et sombres. Je dois lever haut les genoux pour chaque marche que je monte. J'aperçois en bas une ombre fredonner et bercer un bébé O'mak. Mon coeur s'attendrit un instant, avant de reprendre l'escalade. De l'extérieur, la maison ne paraissait pas si haute. Le jeune continue à monter les marches, inlassablement. À chaque fois que je ralentis, il se retourne et m'encourage à continuer, d'un regard où brillent des étincelles de complicité. Un... deux... On doit être au moins au troisième étage, et les escaliers n'en finissent pas. La sueur commence à dégouliner sous mon dos. J'aurais dû enlever mon pull... Quatrième étage... J'espère que nous arrivons bientôt... Où est-il? Il a disparu... Ah, il est là. Sa petite tête émerge d'un grand trou. D'un côté, je suis rassuré de ne pas avoir plus de marches à monter. D'un autre, je suis un peu inquiet... Lui, il rentre, mais... Et moi?

  • Tu viens?
  • Euh... ouais... Mais t'es sûr que je passe?
  • Mais oui! T'en fais pas!

OK... Bon... allons-y. Je passe la tête avec prudence. Jusque là, tout va bien. J'y enfile l'épaule. OK. L'autre? He bien, on dirait que c'est effectivement assez grand pour moi! Sans lumière, je n'y vois goutte. Je tâtonne. Dans un geste gauche, ma main passe au travers de lui. C'est chaud, c'est humide. Lui ai-je fait mal?

  • Oh, pardon...
  • T'en fais pas, on y est!

Je penche la tête sur le côté et me relève un peu. Un rayon de lumière passe à travers le mur fissuré. Je n'avais vraiment pas remarqué ces défauts avant d'entrer. Vraiment, je n'ai pas dû être très attentif. Peut-être un peu trop occupé à fuir Agathe? Un petit tas de cette herbe pourpre qui semble omniprésente ici est éclairé par ce rayon. Le petit O'mak semble assis devant, mais c'est dur à dire avec ses formes floues. Ce qui est bien plus facile à dire, par contre, c'est qu'il a l'air vraiment fier de lui. Je m'approche encore un peu. A bien y regarder, ça bouge là dessous. Mon compagnon du moment plonge sa main dans le tas et la ressort avec une petite chose bouclée là dessous.

  • Tiens, c'est un bébé!

Sans prévenir, il me fourre la chose dans la main. C'est glacé. Je pensais que la fourrure bouclée serait soyeuse, mais au contraire, les "poils" semblent se rétracter à mon contact. Je sens les pattes s'accrocher à ma peau, je sens la bestiole s'agripper.

  • Une crastouille, c'est ça? Ca mord pas, au moins?
  • Non t'en fais pas! Enfin... Sauf si on le gratte. Il déteste qu'on le décoiffe.
  • Et... pourquoi tu me le montres.. à moi?
  • He bien...

Il reprend son animal de compagnie et le cajolle un instant. Puis il le remet dans son nid.

  • En fait, je sais que si un jour tu dois revenir, tu t'en souviendras pas...

Je hoche la tête. Oui, logique. Si je suis dans un rêve... J'oublierai tout à mon réveil...

Nous restons un moment ainsi, à jouer avec l'animal, son maitre me faisant la démonstration de tous les tours qu'il lui a appris. C'est qu'il est doué le gamin! A moins qu'ils soient tous comme ça? Puis un bruit au rez de chaussée nous fait sursauter. Un échange de regard complice, et nous sortons tous les deux à vive allure. Je suis le premier à sortir. Mince, ça fait beaucoup de marches à descendre. Mon nouvel ami n'est pas de cet avis, il enjambe la rampe et part en glissade contrôlée jusqu'en bas. Je suis le même chemin après une brève hésitation. Très brève. J'arrive en bas tout décoiffé. C'était assez amusant! Mais j'ai dû être trop lent, il n'y a plus personne. Plus de trace non plus de la mère et de son bambin.

Je retourne prudemment dans la rue. A présent, j'espère presque recroiser Agathe. Je regarde à gauche et à droite. Toutes les torches sont allumées, mais aucune trace d'elle. PAr contre, au loin, j'aperçois un homme avec une épuisette. On dirait qu'il essaye d'attraper de grosses craspouilles. Il n'a pas l'air d'avoir beaucoup de succès. Je m'approche un peu. Hé, mais on dirait mon patron! Je ferais mieux de ne pas m'attarder ici, je ne voudrais pas qu'il me voie..

Le soleil se couche-t-il ici? Je me promène un peu dans les rues. Que dois-je faire à présent? Vais-je être renvoyé chez moi ou faut-il que j'attende de me réveiller? Dans le doute, je prends mon courage à deux mains, je choisis une porte et je l'ouvre. C'est plus facile qu'en arrivant ici. Il faut dire que les habitants de ce village semblent accorder leur confiance assez rapidement.

  • Il y a quelqu'un?
  • Dégage.

Ah. Bon... OK, peut-être pas tous. Pourquoi celui-là est-il si agressif? Peut-être aurais-je du frapper avant d'entrer? C'est trop tard pour recommencer? J'hésite. Et puis finalement non, je reste, j'assume.

  • J'ai une quête. Je dois parler avec vous.
  • Avec moi précisément, hein? Ou avec mes.. voisins!

Pourquoi ai-je l'impression qu'il s'agit d'une question piège? Comment esquiver?

  • He bien... C'est votre porte que j'ai ouverte, donc je suppose que c'est avec vous que je dois parler, et avec personne d'autre...

Grosse étincelle de doute dans les yeux de l'O'mak. Il semble réfléchir. Je croise discrètement mes doigts dans la poche. Oh... Il me fusille du regard, là... Pas bon... Sa bouche tremblote... Je devrais peut-être sortir avant qu'il me hurle dessus, non?

  • Ahahahah

J'en reste pantois. Je ne m'attendais pas à ça. Son rire est tonitruant. Il sort une bouteille accompagnée de deux verres, qu'il remplit dans la foulée. Sa table à lui est à ma taille, au moins. Il m'indique une chaise et commence à me parler "du bon vieux temps". Ils ne sont vraiment pas longs à apprivoiser, ces O'maks. Ses histoires sont tordantes, nous finissons bientôt saouls tous les deux. Je ne me souviens pas de la dernière fois où ça m'est arrivé... En partant du principe que ça me soit déjà arrivé. J'ai toujours souffert d'agoraphobie, d'aussi loin que je me souvienne. Les soirées entre pote, pas pour moi, merci. Mais là, toute de suite, je me sens à l'aise. Je repense à la quête qui m'a amené à ouvrir cette porte, dans cette maison miteuse mais à l'ambiance si chaleureuse. Oserais-je aborder le sujet?

  • Hum... Tu parlais de tes voisins tout à l'heure. Il y a des mésententes parmi les O'maks?

L'autre se renfrogne immédiatement. Zut... un sujet sensible. Mais en même temps, c'est ma quête, non? Je reste silencieux, le questionnant du regard. Après tout, je suis aussi curieux, je dois l'avouer. En retour, j'ai l'impression qu'il sonde mon âme, comme s'il cherchait où était le piège.

  • Je ne dirais rien à personne, tu sais...
  • Oui.. je sais bien...

Je lui fait mon plus beau regard innocent. Puis je nous ressers tous les deux. Je sens qu'on va en avoir besoin.

  • En fait, non... On est censés tous s'entendre... Tu sais, on est à moitié télépathe, alors.. quand on s'entend pas, c'est pas facile...

Il boit d'un trait le verre que je viens de lui servir.

  • Il y a quelques années, j'étais en train de donner une quête cruciale à l'un de vous. Mais la voisine d'en face, elle s'était pas assez éloignée pour donner la sienne, tu vois. Alors nos discours se sont entrecroisés. Sauf que si pour son protégé, c'était anodin, hé bien. pas pour le mien. En se réveillant, il y a laissé la vie...

Je pose alors la question qui me brûle les lèvres depuis le départ.

  • Mais.. on est bien dans mon rêve, là, non? On peut pas mourir dans un rêve.
  • Oh... Oublie...

Je lui ressers un verre. Pas question que j'oublie! Mais il dévie invariablement du sujet, sans jamais répondre à ma question. Et il est doué, le bougre! Ses histoires sont si intéressantes qu'il est difficile de se concentrer sur ma question. Et puis, verre après verre, l'alcool aidant, j'avoue que ma mémoire finit par flancher. Je perds la mémoire... les mots... l'équilibre... Je finis même par tomber de ma chaise. Je me suis fait mal à la tête, je crois.. Je me relève difficilement. Et je retombe. Je me suis pris les pieds quand quelque chose.. Qu'est-ce que c'est? Ma couette?

Je regarde autour de moi, un peu désorienté. Je suis dans ma chambre. Comment suis-je arrivé là? J'ai les yeux collés... A cause de l'alcool... ou du sommeil? Je ne sais plus... Tout s'estompe déjà... Je regarde l'heure. Mince, je suis en retard! Je m'habille en quatrième vitesse, attrapant un peu ce qui me tombe sous la main. Je le renifle vite fait. OK, ça ne sent pas mauvais, ça doit être à peu près propre.

Je ferme mon appartement. J'ai presque rattrapé mon retard! D'habitude, je descends les escaliers pour éviter de croiser du monde à cette heure-ci du matin. Mais aujourd'hui, non merci, j'ai eu ma dose! Agathe attend déjà l'ascenseur. J'hésite une fraction de seconde, puis j'y vais. Elle me regarde approcher et rougit. Je trouve ça charmant. Je devrais dire quelque chose, non? Comment l'aborder?

  • Bonjour Mickaël... Dis... Tu voudras venir chez moi, ce soir? Mon ordinateur ne marche plus... Et... tu es informaticien, non?

J'esquisse un sourire et nous montons dans l'ascenseur. Ca alors, je ne m'y attendais pas! Bien sûr, ça a l'air d'un prétexte pour me voir, non? Qu'à cela ne tienne, je prends la perche tendue.

  • Oui bien sûr. Tu veux que j'amène quelque chose à manger pour faire passer le temps pendant que l'ordinateur défragmente?

Elle me répond d'un sourire tandis que l'ascenseur s'ouvre sur l'un de mes collègues qui habite lui aussi l'immeuble. On se décale pour lui laisser un peu de place. C'est moi ou ils ont agrandit la cabine pendant la nuit?

  • Hey, Mickaël, c'est la première fois que j'te vois dans l'ascenseur de si bon matin! T'es pas au courant d'la nouvelle?
  • Salut Fred. Non, de quelle nouvelle parles-tu?
  • Bah l'patron... Il est dans l'coma. On a une réunion ce matin avec son fils, c'est lui qui r'prend la boite.
  • Dans le coma?
  • Oui, le cancer a repris le dessus cette nuit, le pauvre...

Oui, le pauvre... Bon sang, je savais même pas qu'il avait un cancer... Je regarde Agathe, nos mains se frôlent discrètement. Elle a allumé des torches cette nuit... Des torches... Allumer la flamme... Et mon patron, il devait attraper des craspouilles, et il n'y arrivait manifestement pas... Des crapouilles... des crabes? Un cancer? Et moi alors? J'avais cette histoire de secrets... Alors je regarde autour de moi, dans cet ascenseur naguère si étroit... oh...

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