XI

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Il y a un sujet dont je voudrais vous parler, parce qu’il m’importe, me réjouit en général et m’inquiète parfois : la manière de se vêtir de Jackie.

Lors de notre premier contact, à la fenêtre de son ex-boucherie, je l’avais surprise non apprêtée et l’avais trouvée plutôt quelconque de ce point de vue. Dès le soir et encore davantage le lendemain matin, je devais réviser mon jugement, vous le savez.

J’ai appris depuis que, hormis ses talents culinaires, Jackie est aussi une couturière expérimentée. En effet, toute jeune mariée, à 19 ans, elle a pris des cours de coupe et de couture par correspondance auprès d’une école parisienne et obtenu sans coup férir son Certificat d’Aptitude Professionnelle, après deux ans d’étude.

C’était là l’explication de la présence dans son intérieur d’une machine à coudre Singer, logée dans un ingénieux petit meuble plaqué d’acajou, d’où l’engin surgissait et disparaissait à volonté. Je pensais qu’il s’agissait d’un héritage. J’ignorais qu’elle avait cousu tous les habits de ses enfants ou presque durant les années de vaches maigres de l’après-guerre. Je comprenais mieux aussi les piles de Modes et Travaux entassées au grenier.

Elle a gardé quelques costumes à culottes courtes confectionnés pour ses deux fils, qui n’auraient dépareillé dans aucune vitrine ni aucune revue de l’époque, et lors de mon dernier séjour chez elle, j’ai même retrouvé un diplôme fantaisie du Premier Prix d’un concours de coupe pour une robe de printemps fleurie.

Eh bien, quarante-cinq ans plus tard, elle a gardé le coup d’œil et la main sûre ! Elle a retaillé en un rien de temps des chemises et des pantalons devenus trop grands après mon hospitalisation.

Mais parfois ses initiatives sont plus surprenantes. Jackie n’a pas vraiment conscience qu’elle sera bientôt septuagénaire et continue de s’habiller comme une jeunette de quarante-cinq ans ! Trop court, trop moulant, trop décolleté, trop voyant, voilà les reproches qu’on pourrait lui adresser (ce dont on ne se prive sans doute pas derrière son dos et le mien). De la minijupe au crop-top (il paraît que c’est comme ça qu’on dit), elle ne se refuse rien ; du jaune canari au vert pétant, elle ose tout.

Je ne dis rien de ses décolletés, ils me plaisent trop, mais pour le reste, j’ai tenté de lui faire comprendre que ses couleurs jurent trop avec les miennes, assez passe-muraille il est vrai, et qu’il conviendrait que nous nous harmonisions davantage.

C’était une phrase de trop ! Elle l’a comprise de travers.

Elle a aussitôt entrepris de revisiter les tons de ma garde-robe et, si je n’y prenais garde, je pourrais aujourd’hui défiler pour la Gay Pride. Des pantalons pastel, bleu, jaune, vert, rose même, des pulls assortis, des vestes à rayures, à carreaux. Adieu, mes costumes pied-de-poule et mes Prince de Galles !

J’ai dû y mettre le holà ; ce n’était plus possible !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE , 1er avril 2020, 16e jour du confinement.

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