IX

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La blonde du notaire, en mini-robe fuchsia, trente ans de moins que lui au bas mot, accrochée à son bras, perchée sur des talons de douze centimètres, se dirigeait vers la salle à manger en roulant des fesses, Jackie et moi derrière, le pharmacien et son épouse fermant la marche. J'avais bien remarqué, durant l'apéritif, que son allure, ses attitudes et ses remarques ne plaisaient pas du tout à Jackie, mais si je m'attendais à ce qui se produisit alors...

Nous tournions le coin du couloir aux dalles de granit inégales pour pénétrer dans la salle à manger, où quelques convives avaient déjà pris place, lorsque soudain Jackie allongea la jambe droite, et la compagne du notaire alla s'étaler de tout son long, les bras en avant, sur le parquet ciré. Cela fit du bruit et ceux qui ne voyaient pas se retournèrent. Le maître d'hôtel se précipita pour la relever, mais elle le repoussa furieuse et, rouge de rage, se redressa à quatre pattes pour s'écrier en pointant un doigt accusateur sur Jackie :

— C'est elle ! Elle m'a fait un croche-pied, cette vieille peau !

Je tentai bien de raisonner Jackie d'un geste, mais peine perdue, elle avait déjà lancé sa réplique :

— Dites donc, je ne vous permets pas ! Quand on ne sait pas marcher avec des talons aiguille, on n'en porte pas !

Et là, soudain, la situation dégénéra.

La blonde, qui s'appelait Charlène, s'empara sur une petite table roulante de la soupière en argent prévue pour le service du consommé de girolles aux truffes et voulait la vider sur Jackie. Le maître d'hôtel s'interposa, tentant de reprendre son bien, que chacun tirait par une anse.

Je m'étais placé devant Jackie, mais je ne tenais pas à être ébouillanté par du potage. Nous reculâmes d'instinct. La lutte était indécise, il était petit et gros, elle était grande et mince. La situation s'avérait risible, mais un peu dangereuse quand même. Une moitié du contenu de la soupière gisait déjà sur le sol et le rendait glissant. Divers convives s'étaient levés et tentaient de retenir les "belligérants". L'un deux glissa et se retrouva sur les fesses en plein potage.

Curieusement, cette nouvelle chute fit cesser le combat tout comme la première l'avait provoqué !

Chacun retrouva la dignité perdue. Le maître d'hôtel reposa le récipient du litige et fit venir le petit personnel pour nettoyer le sol. Charlène s'ébroua et regagna sa chambre pour se changer. Celui qui avait chu en fit autant.

Jackie et moi gagnâmes une table pour deux restée libre. Plus question de partager le dîner avec quiconque. Tous ceux qui s'étaient levés allèrent se rasseoir, mais un chuchotis et des regards insistants dans notre direction me donnèrent à penser que je n'étais pas le seul à avoir perçu le croc-en-jambe envers Charlène.

Jackie arborait un sourire béat, j'étais contrarié (le mot est faible). Incapables d'apprécier le menu plaisir choisi (Saint-Jacques grillées, volaille de cent jours truffée, soufflé au citron), nous avons dîné sans un mot et dormi ensuite à l'hôtel du cul tourné.

On a déjà vu mieux comme dîner d'anniversaire !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 28 mars 2020, 12e jour du confinement.

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