III

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En effet, la situation, de ce côté, est bloquée et Jackie en souffre beaucoup. Un peu par sa faute, je dois le dire. Auparavant, elle effectuait périodiquement de petits séjours chez ses enfants : une semaine chez l'un, puis une autre chez l'autre, au gré des occasions qui se présentaient, fête, anniversaire, week-end prolongé, etc. Elle ne veut plus, tant qu'ils refuseront de m'accueillir. Mais hélas, ils sont loin d'être prêts à nous permettre chambre commune comme nous le voulons ! Je trouve Jackie un peu excessive et je l'encourage à plus de souplesse, en vain. Elle doit avoir du sang breton dans les veines, car elle est bien têtue, sur certains sujets.

Bon, elle continue de recevoir ses petits-enfants à chaque période de vacances scolaires, et, par chance, eux n'ont pas les mêmes réticences que leurs parents à mon égard. Comme ils n'ont pas connu leur grand-père paternel, au bout de quelques mois en demi-teinte, ils ont accepté que je joue ce rôle de substitution. À part l'aîné, qui m'appelle "Pierre", mais sans acrimonie aucune, pour les trois autres, je suis devenu "Papi Pierrot" et j'en suis super-fier, vous vous en doutez, moi qui n'ai jamais eu de petit-fils ou fille à moi ! Le seul ennui, c'est qu'ils ne sont pas autorisés à venir en Bretagne. L'air de la mer leur ferait pourtant le plus grand bien à ces petits Parigots et je pourrais les aider à découvrir tant de choses... Je souffle à Jackie de dire à ses fils qu'ils privent leurs enfants de bien des découvertes, l'estran, la pêche à pied, la voile, le sentier des douaniers, Les Rosaires, Binic, Étables s/Mer, Saint-Quay-Portrieux, Paimpol, Bréhat... Jusqu'à présent, rien n'y a fait. Ils préfèrent payer pour les envoyer en colonie. Officiellement, c'est pour ne pas me fatiguer (manière de me rappeler mon grand âge), mais nous ne sommes pas dupes.

Alors, à chaque fois qu'ils vont chez Mamie, deux par deux (plus c'est trop), j'y vais aussi, et c'est un grand bonheur.

Laissez-moi vous les présenter. Chez Philippe, le fils aîné de Jackie, il y a Julien, son grand de quatorze ans, et son frère Romain, qui a quatre ans de moins. Chez Éric, de trois ans le cadet de Philippe, nous avons Laura, la plus grande des filles, huit ans cette année, et Marine, sept. Ils sont très différents. Chez Philippe et Catherine, tous deux fonctionnaires de police, l'éducation est stricte et les enfants obéissent au doigt et à l'œil. Chez Éric et Sylvie - lui est kiné et elle infirmière - ce serait plutôt le contraire ; les deux filles sont remuantes et ont la bride sur le cou.

Julien est un garçon très introverti, mais curieux et travailleur, qui s'intéresse à plein de choses. Nous avons de grandes conversations, lorsqu'il daigne sortir de sa chambre et ôter son baladeur de ses oreilles. Romain, pour sa part, est encore un enfant, qui joue avec sa collection de dinosaures en plastique, sur lesquels il est incollable. Il m'a appris une foule de choses sur les ornithischiens et les saurischiens, des mots dont j'ignorais même l'existence ! Laura, elle, est très influencée par la chanson, la mode et les personnalités dites "people". Elle promet d'être "pin-up", comme on disait de mon temps, et assez chipie. Sa petite sœur, qui ne lui cède qu'un an, est tout son contraire, garçon manqué, intrépide, indifférente à la mode et ses oukases et d'un caractère assez égal.

Jackie les gâte comme ce n'est pas permis. J'ai entrepris de mettre un peu d'ordre là-dedans, mais je dois y aller comme sur des œufs, car je me suis fait renvoyer dans mes cordes plusieurs fois déjà. Peut-être même cela a-t-il été la cause d'une de nos premières disputes sérieuses :

— Chérie, tu ne devrais pas leur donner autant de bonbons, en tout cas, pas après le repas du soir, tu vas leur carier les dents !

— Julien et son frère en sont privés à la maison. Il faut bien qu'ils trouvent quelque avantage à venir chez Mamie !

— S'ils ne viennent te voir que pour des motifs de cet ordre, je te plains.

— Dis donc, si tu t'occupais un peu de tes affaires, au lieu de te mêler des miennes... Tu m'énerves, à la fin !

Bref, parfois le ton monte, comme vous pouvez le constater, sur ces sujets d'éducation. C'est vrai que je manque d'expérience en la matière et que je suis plutôt partisan de principes bien établis.

Fort heureusement, jusqu'ici, nos brouilles ne durent pas bien longtemps. Sur l'oreiller, tout s'arrange.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 21 mars 2020, 5e jour du confinement.

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