Chapitre 49 : Tempête avant le chaos (1/2)

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NAFDA


L’environnement s’était obscurci. Tout s’était accumulé en un temps réduit.

Là où dominait l’ocre s’intensifiait le grondement. Le tourbillon de sables se situait probablement à des kilomètres de leur position. Tant les épais nuages tamisant la brillance du soleil que l’étendue de la tempête suffisaient à effrayer quiconque s’aventurait à proximité.

Témoins du déchaînement, elles frissonnaient. Au-delà d’une arcade rocheuse rutilante, en-deçà d’une série de cactus sur laquelle l’adolescente avait failli trébucher, le sommet des dunes leur prodiguait une vue dégagée. L’éveil s’était propagé à l’ouest, grandissant de minutes en minutes. Déjà une meute de chacals avait été emporté tandis qu’une horde de condors y avait échappé de justesse. Ces rapaces imposent leur présence plus que de la coutume. Dois-je en tirer une quelconque signification ?

Dénou s’agrippa à la manche de Nafda, paupières closes, geignant sans cesse.

— Partons, vite ! recommanda-t-elle.

— Pourquoi donc ? fit l’assassin. N’as-tu jamais vu un tel phénomène ?

— Bien sûr que non ! J’ai grandi dans la région de Gisde, je te rappelle ! Même s’il fait chaud, ce n’est pas le désert !

— Je t’ai volé des vêtements pour résister à la chaleur. De quoi tu te plains ?

— Je suis résistante aux hautes températures, pas aux forces de la nature !

Ses doigts se crispèrent à mesure que le tourbillon s’amplifiait. Malgré la capuche rabattue sur sa tête, Nafda pouvait l’observer selon chaque angle, d’une hauteur apte à atténuer la prépondérance.

Peuh ! J’ai connu pire. En témoignent mes brûlures qui n’ont pas encore cicatrisées. Affronter ce type d’épreuves forge un caractère. Dénou devrait le réaliser.

Mais les lamentations de la jeune fille réduisaient ce souhait à néant. Tant que gronderait cette menace, fût-elle hors d’atteinte, elle ne s’arrêterait guère. Ce pourquoi Nafda se détacha de son contact, quitte à susciter des râles.

— Tu es folle ! s’écria-t-elle. Tu te rapproches de la tempête !

— J’ai fait deux pas, répliqua Nafda en haussant des épaules.

— C’est déjà de trop ! Que va-t-il m’arriver si je n’ai pas ta protection ! Je vais mourir, voilà ! Dans le désert, mon espérance de vie est minime ! Des charognards se délecteront de ma chair, et peut-être que d’ici quelques siècles, des archéologues retrouveront mon squelette.

Ignorant Dénou, Nafda dégaina ses dagues qu’elle empoigna avec une délicatesse doublée de fermeté.

— Hé ! interpella l’adolescente. Tes dagues sont efficaces contre les mages, rien à redire là-dessus ! Mais sur ça ? Aucune chance ! Reculons tant qu’il en est encore temps !

Nafda avait mieux à faire que de l’écouter.

Une respiration après l’autre, cadencée par ses propres battements. Pour sûr, ne ressentir aucune vibration de ses lames distinguait cette expérience de la plupart de ses précédents affrontements. Quelque chose la perturbait néanmoins. L’incitait à dévaler la déclive, quand bien même elle se rapprocherait de la zone d’influence de la tempête.

Malgré tout, elle restait immobile. Des rafales balayaient sa capuche comme la poussière se ramassait sur ses vêtements. Au-dessus arrivèrent les condors dont les cris vrillèrent ses tympans, bien que seule Dénou s’en plaignît.

Trop d’intrusions tentent de me distraire. Je dois y résister. C’est ainsi que j’ai été formée. Me focaliser sur l’essentiel.

Plus elle étudiait cette structure mobile et plus des frémissements la parcouraient. L’envie ne lui manquait pas de tournoyer ses dagues, comme s’il s’agissait d’une confrontation. Tout se jouait néanmoins au regard. Des yeux transperçant l’opacité ocre, à même de détailler la bourrasque, prompts à identifier son éloignement.

Beaucoup résistent mieux que moi. Quand le tourbillon s’élève, qu’il balaie tout sur son passage, personne n’est en mesure de l’arrêter. L’on évoque des légendes sur des mages capables de les dompter, mais je n’y prête aucune crédibilité. Les plus compétents, et donc dangereux, savent en revanche déployer les leurs. Ils s’inspirent de ce à quoi ils assistent pour le modeler eux-mêmes.

C’est fascinant, en quelque sorte… Mais ces gens-là ne méritent pas de tels compliments. À quoi bon maîtriser la tempête lorsque nos capacités se situent au-delà ?

— À ce rythme, désespéra Dénou, je vais devoir te tirer par les pieds ! Qu’est-ce que tu espères ? Dévier le sable de la pointe de tes dagues ?

— Là n’est pas l’objectif, rétorqua Nafda avec un ton placide. Mes compétences sont variées, et je suis en mesure d’endurer de nombreux supplices avant de rencontrer mes limites.

— J’ai toujours respecté tes talents. Tu as risqué ta vie pour me secourir, après tout ! Je ne veux juste pas qu’ils t’aveuglent ! Je te l’ai déjà dit, Nafda, depuis que nous sommes sortis de cette grotte, tu es devenue bizarre. Je pensais que cela s’arrangerait avec le temps… De toute évidence, après ces nombreux kilomètres parcourus, j’ai bien peur que non.

Nafda garda ses dagues en mains nonobstant la moiteur de ses paumes. De tels propos pouvaient briser sa concentration, quoiqu’elle parvînt à prêter l’oreille tout en surveillant la progression de la tempête.

Je serai le corps que rien n’ébranle. Peu importe ce qui a été insinué dans mon esprit.

— Soit j’ai été changée à jamais, songea-t-elle. Soit je suis redevenue moi-même. Ces deux perspectives sont effrayantes.

— Je ne capte rien à ton charabia !

— Admire cette tempête, Dénou. Que vois-tu ?

L’adolescente s’exécuta. À peine appréhendait-elle le tourbillon, se frottant les yeux de temps à autre, qu’elle se mit à graillonner.

— La destruction, dit-elle en déglutissant.

— C’est bref, jugea Nafda. En partie vrai, je te l’accorde. Mais une tempête de sables s’affirme au-delà de cette définition. Elle est l’expression de la nature. Elle nous apprend beaucoup sur le fonctionnement du monde.

— Tu t’y connais en cataclysmes ?

— J’ai une idée des forces qui régissent ce monde, et elles ont font partie. J’étais convaincue que la magie était le parfait opposé de la nature. À présent, je doute.

— À cause de ce que Niel et Leid t’ont fait ?

— Probablement. Et s’il s’agissait d’une forme de complémentarité ? Dans mes rêves, j’aperçois souvent Horis Saiden. Au milieu du désert, à proximité des tempêtes. Auréolé d’une couronne de condors, comme ceux que nous venons d’apercevoir.

— Je crains que ce maudit mage t’obsède. Là où il est, il ne doit même pas penser autant à toi !

— Je pense que si. Comment réagira-t-il quand il saura que j’ai blessé son amie ? Tôt ou tard, nous nous reverrons. Il s’agit de notre destinée.

— Cette destinée sera bien courte si nous ne fuyons pas cette tempête au plus vite !

— Du calme, petite. Elle va dans une autre direction. Nous avons tout le temps de nous diriger vers le sud-est.

Nafda rengaina ses dagues et fit volte-face. Avisée de l’acquiescement de l’adolescente, elle lui fit signe et mena de nouveau la marche. Toute hésitation se tarit quand se répéta le grondement. Elles descendirent la dune trop lentement à son goût, toutefois ne s’exprima-t-elle guère au-delà d’un soupir agacé.

Certaines situations sont sous mon contrôle. Nous sommes chanceux, d’une certaine manière. Pas toutes les bourrasques nous offrent l’occasion de les affronter et de les éviter. C’était le moment de marquer un répit avant de faire face à des forces plus humaines.

Là où Nafda et Dénou cheminaient, l’éclaircie les accompagnait. Du moins fût-ce le cas durant l’heure subséquente, car à mesure qu’elles s’enfonçaient dans cette direction, des nuages grisâtres se profilaient. Elles se braquèrent alors à cette contemplation, ralentirent la cadence comme ils s’approchaient d’elles.

Cinquante jours de pluie par an dans le désert, en moyenne. Elle n’était pas tombée une seule fois depuis que nous le parcourons. Sans doute car ce n’est pas la saison… Mais c’est plus que bienvenue !

Quand chutèrent les premières gouttes, Dénou se mit à courir gaiement. Des fredonnements ponctuèrent sa hâte sous la précipitation. Tant pis si l’eau n’était pas de première saveur, elle s’en abreuvait, bouche grande ouverte. De quoi esquisser un sourire à sa protectrice, laquelle l’observa d’en arrière. Bientôt l’averse les mouillèrent toute entière et leurs chaussures commençaient à légèrement s’enfoncer dans le sable humide.

— Fantastique ! s’ébaudit Dénou. Ça m’avait manqué !

— Nous avons aussi eu des pluies à Gisde et Ordubie, contrasta Nafda.

— Oui, mais c’était il y a longtemps !

— Des semaines, des mois, quelle importance ?

— Lors de la traversée d’un désert, ce temps paraît interminable !

— Excuse-moi de ne pas avoir eu assez d’argent pour acheter des chevaux.

Mais Dénou ne l’écoutait plus. Au lieu de quoi elle ouvrait les mains, désireuse de recevoir cette pluie par chaque moyen. Frôlait l’envie d’une autre contestation, mais Nafda se limita à un soupir. Elle croisa les bras sans juger l’adolescente outre mesure.

Je l’admets, nous avons mérité cette pause. Puisque Dénou a râlé à la simple idée d’examiner une bourrasque, je me montre meilleur qu’elle, et je la laisse profiter de l’averse. Même si l’impact de ces phénomènes est différent.

L’assassin se lassa rapidement de l’énergie accrue de Dénou. S’orientant vers le sud, elle aperçut que de la fumée s’échappait au-dessus d’une série d’habitations. Un incendie ? La pluie l’éteindra peut-être. À moins que… Ni une, ni deux, elle agrippa la jeune fille par le poignet, qui gémit en réaction.

— Quoi encore ? s’irrita-t-elle. Nous quittons une tempête en marchant mais nous devons détaler face à une inoffensive pluie ?

— Écoute-moi d’abord ! somma Nafda. Il y a eu un incendie dans ce village. Mais je soupçonne quelque chose de plus grave…

À l’acquiescement de Dénou s’accéléra leur rythme. Aussi contournèrent-elles prestement un champ de maïs qu’une oasis permettait d’irriguer. Basique, mais ingénieux : ils ne dépendent pas des pluies. Elles sprintèrent sur une route dallée, creusée dans le sable, au-delà de laquelle se déployaient le village. Des maisons en plâtre, peintes en azur et smaragdin, couronnées d’un toit en forme de dôme, s’alignaient sous leurs yeux ébaubis.

Il y respirerait une atmosphère chatoyante et agréable dans d’autres circonstances.

Mais seule la pluie couvrait un tant fût peu la suie. Façades morcelées, murs fissurés et pans effondrés s’inscrivaient en dommages minimes en comparaison des dégâts humains. Ce fut avec dégoût que Nafda et Dénou fendirent cette rue principale où se répandaient des dizaines de cadavres.

Lacération, mutilations, décapitations, brûlures… Rien ne leur a été épargné. Même les vieillards. Même les enfants. Le responsable est tout trouvé.

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