Chapitre 21 : Chasseuse de séditieux (2/2)

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Au sein du camp ennemi, Nafda investiguait les activités de ces personnes pour qui la fatigue tardait à poindre. Les uns décochaient des flèches sur des cibles à peine maintenues, sensibles aux rafales nocturnes. Les autres lançaient des dés sur des tonneaux, quelques fois munis d’une chope à la main. Au moins les mages ont la décence de se méfier. Ceux-là ne soupçonnent même pas ma présence. Pour l’instant : ma discrétion a ses limites.

Nafda se dissimula dans un autre buisson. Un homme et une femme de teint ébène, cimeterre accroché à leur ceinture, observaient les contours du campement d’un regard d’une triste vacuité. Cette dernière sifflota afin de combler leur mutisme.

— Arrête, ordonna son confrère.

— Il faut bien s’occuper, se justifia-t-elle.

— Tes sifflements sont pires que ceux de ma femme. Et c’est pas peu dire.

— Tu connais le dicton : qui est malheureux chez soi est heureux à la guerre !

— C’est pour ça que tu es célibataire ?

La soldate plissa les yeux, tentée de juger son collègue, quoiqu’elle n’en fît rien. Tapotant son cimeterre du doigt, elle se contenta d’un soupir.

— Je m’ennuie, quand même ! se plaignit-elle.

— Moi aussi, commenta l’autre militaire. Est-ce qu’on le supporte mieux quand on le partage ?

— Je dirais que c’est le contraire. Surtout avec toi.

— Très agréable de rabaisser les autres, n’est-ce pas ? On combattra bientôt. En attendant, on fait ce que nous a ordonnés Phedeas.

— Poireauter comme des demeurés ?

— Non, idiote ! Tu te rends compte du statut de notre prisonnière ?

— La petite fouineuse qui pleurniche car ses gardes ont été tués ? Je sais pas moi, ça concerne que Phedeas.

— C’est sa petite sœur ! Et accessoirement la nièce de l’impératrice. Tu nous a rejoints pour une raison, non ?

— Tu sais, la politique, ça me dépasse !

— Pas que ça, visiblement.

— Hé ! Il y a déjà un garde campé devant sa tente, de toute manière !

— Insuffisant vu la valeur de l’otage, bon sang !

Nafda étouffa un ricanement dans sa cachette. Mes soupçons se confirment, elle est bien leur prisonnière. Imprudente, heureusement que je suis là pour te délivrer ! Si elle est juste derrière, ces deux-là constituent un obstacle que je ne peux contourner.

À sa surprise, comme celle de l’autre soldat, la femme commença à s’éloigner de son poste.

— Où vas-tu ? interpella-t-il.

— À ton avis ? répliqua sa consœur sur un ton acerbe.

— Non, je ne vois pas.

— Et c’est moi qui ne suis pas futée ? J’ai une envie pressante !

— Enfin un peu de paix, alors !

Le sourire de Nafda s’élargit tandis que la soldate s’en allait à prompte allure. Parfait. Penaud, proche de bailler, son confrère se raidit afin de ne pas s’endormir. Lui-même se mit à siffloter, ce qui couvrit le claquement des chaussures de Nafda au contact du sol.

Elle parvint à s’infiltrer derrière lui. Se releva aussitôt. Craqua sa nuque. Tué en une seconde, le soldat s’effondra lourdement, jonchant au milieu de ses camarades dispersés dans la zone. Nafda ne put s’empêcher de nourrir une pensée à l’intention de sa collègue. C’est ton jour de chance. Ta vessie t’a sauvé la vie.

Mais sa victime portait une torche, laquelle reposait désormais au sol. Quiconque rôdait en contiguïté risquait dès lors de la détecter.

Le plus proche était le grand garde par-devers la tente où était Dénou était retenue captive.

Il m’a vue. Il va sonner l’alarme.

Sauf si je l’égorge avant.

Nafda dévisagea son opposant. Paupières closes moins d’une seconde, genoux ployés, elle sprinta à célérité inégalée. Son adversaire n’eut ni le temps de dégainer, ni de signaler sa présence. L’assassin plongea sur lui et tous deux se retrouvèrent à l’intérieur de la tente.

Une faible lueur baignait dans la pièce. Si bien que les deux lames contrastèrent par leur propre éclat. Quand elles cisaillèrent le cou du soldat, d’où jaillit une gerbe de fluide vermeil, ses yeux s’étaient grand ouverts à la vue de l’assassin triomphante.

Une fois ses dagues rengainées, Nafda se remit debout tout en humant le remugle. Alors son sang se glaça, prêt à monter à son visage. Dénou était attachée à une paire de rondins croisés, tant aux poignets qu’aux chevilles, comme un bâillon réduisait drastiquement la portée de ses quérimonies. Si les cordes paraissaient vétustes, elles étaient si serrées que l’adolescente était paralysée. Seulement en se rapprochant d’elle Nafda avisa les contusions sur ses bras.

Phedeas, tu devrais avoir honte. Nafda délivra Dénou de son bâillon.

— Ils ne savent pas encore que je suis là, chuchota-t-elle. Nous devons agir vite.

— Nafda ! se réjouit Dénou. Ma tante t’a envoyée ?

— Elle s’est méfiée de Phedeas dès le début. Son intuition avait vu juste.

— Moi aussi… J’ai été stupide. Je croyais être protégée par mes gardes du corps. Ils sont morts par la faute.

— Je les ai vus au bord de la rivière. Je n’ai pas pu les enterrer comme de coutume, car ma priorité était de te mettre en sécurité.

— Mais où ? Les troupes de Phedeas sont si nombreuses ! Fichtre, dans quel pétrin je me suis mise…

— Fais-moi confiance. T’ont-ils fait du mal ?

Dénou pointa une lacération à l’avant-bras à l’aide de son nez.

— Un des soldats, révéla-t-elle.

— T’ont-ils…, enchaîna Nafda.

— Violée ? Non, Phedeas disait que je n’en valais pas la peine.

— Je vais t’épargner d’autres horreurs. Partons, maintenant. Reste près de moi, et pas un bruit.

Nafda trancha les liens de Dénou avant de la porter avec délicatesse. Voix distordues et lourds pas résonnèrent soudain à l’extérieur. Nous devons nous dépêcher ! Elles enjambèrent le cadavre et quittèrent la tente, hâtives mais discrètes.

Il était déjà trop tard. Phedeas se dressait devant elles, accompagnés d’une vingtaine de soldats. Bras croisés, renâclant, il jugeait tant l’assassin que l’otage, aussi Nafda ne se gêna pas de lui rendre la pareille.

— La tyrane a envoyé son esclave personnelle, persiffla-t-il. Pourquoi ne suis-je pas étonné ? J’aurais dû prendre davantage de précautions.

— Derrière de beaux discours se cache souvent la fourberie, commenta Nafda. Tu oses enfermer et blesser ta propre cadette. Ta dignité est morte. Si elle existait avant.

— Toi, tu me fais la morale, assassin de l’impératrice ? Tu n’es bonne qu’à ramper auprès de ta maîtresse adorée, et de tuer aveuglément. Ton excès d’orgueil t’a fait croire que tu pouvais t’infiltrer ici, buter deux des miens, et t’enfuir avec ma dégénérée de sœur ? Tu vas le regretter.

— Tu ne m’effraies nullement. Auparavant, je chassais uniquement les mages. Mes victimes se sont étendues aux ennemis de l’empire. Neveu de Bennenike ou pas, tu en es un.

— Ton impavidité est injustifiée. Seule contre nous, qu’espères-tu accomplir ? Tu es une assassin, pas une guerrière. Tu n’es capable d’éliminer tes cibles que si elles ne te voient pas. Elles sont isolées, tu es lâche.

— Laisse-moi démolir tes idées reçues.

— Ce serait tellement satisfaisant d’exposer ton cadavre lors de notre campagne. Mais on te veut vivante. Compagnons, arrêtez-la !

J’ai appris à me défendre. Nafda dévisagea ses adversaires, Phedeas le premier. Par cette impératrice que tu cherches à renverser. Elle saisit un flacon dont elle déglutit prestement. Sitôt ses dagues défouraillées qu’elle les fit tournoyer autour d’elle avec fluidité. Approchez donc.

— Planque-toi dans la tente, murmura-t-elle à Dénou. N’en sors que si tu n’entends plus de bruit.

L’adolescente déglutit mais s’exécuta. Ainsi Nafda était esseulée dans les ténèbres.

Mais pas vulnérable.

Une épée s’abattit sur elle. Lames croisées, elle para dans une nuée d’étincelles, ployant les genoux. Même si elle se crispa, muscles bandés, elle sentit les autres armes s’approcher dangereusement. Elle résista à la pression, pénétra dans la défense adverse, trancha le buste.

Ce fut comme si elle avait regagné en vigueur. Sens aiguisés, vitesse accrue, elle s’était retrouvée. Malgré la proximité du métal étincelant, elle exécuta une prompte roulade, distança ses ennemis. Une lance jaillit, mais elle la désaxa, transperça la poitrine de l’attaquant. Ses lames semblaient d’autant plus vives qu’elles ne vibraient pas. À l’affût de chaque estocade, elle esquivait, bondissait, reculait, pivotait.

Prudence, Nafda ! Si tu trébuches, tu es finie ! Elle allia rapidité avec attention. Pas une pierre ne le ferait buter. Pas une arme aux tintements incessants ne l’endiguerait. Pas un adversaire, nonobstant leurs invectives et rugissements, ne réussirait à traverser ses défenses. Les éraflures se multipliaient, mais elle ne flanchait pas.

Un autre ennemi mordit la poussière, alors Nafda choisit cet instant comme répit. Elle sonda son environnement. Derrière illuminait une torche dont elle se saisit et qu’elle projeta sur ses opposants. Elle savait qu’aucun ne serait consumé. Mais ils étaient désorientés. Une brèche s’était ouverte.

Au milieu de ses ennemis émergeait l’impitoyable assassin, un sourire narquois pendue à ses lèvres. Une nuée de coups s’enchaîna sur elle, mais elle tournoyait déjà. Plusieurs ennemis tombèrent, et en quelques secondes, leur agonie se traduisit en borborygmes. Ils jonchèrent l’herbe du campement d’une mare de sang, des soubresauts les animant avant leur trépas.

Ne sors pas encore, Dénou, tu risques d’être choquée. Ou bien satisfait de voir nos ennemis victimes de leurs complots sans sens.

Nafda ne cessa de toiser ses adversaires. Il en restait tant, pourtant, malgré sa respiration saccadée, elle était prête à les affronter.

Elle relâcha toutefois sa vigilance un instant de trop. Elle n’aperçut pas Phedeas surgir de biais, abattre son cimeterre sur sa jambe. Rejetée à genoux, sa vision perdait en netteté, puis un coup sec l’impacta à l’arrière du crâne.

Puis elle sombra dans l’inconscience.

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