30 avril

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Purge, purge, m’as-tu dit. Crache tout, la bile, la joie, le bien et le mal. Qu’importe, tant que tu craches. Alors je crache, au ciel et sur mon tapis, partout où je peux je me répands comme une flaque d’huile. Je tâche tout ce que je touche. Je ne touche pourtant personne. Une lune rousse guide mon pas, et je la suis bêtement, comme un pantin qui ne sait se servir de ses articulations que dans un seul sens. Parfois je me prends à rêver que ma rotule se déboite et fonctionne à l’envers. Alors tout le corps se disloque pour la suivre et enfin je marche à contresens. Je ne crache plus sur mes pieds mais sur le trottoir derrière moi, j’innonde la rue Fontaine, quel heureux hasard. En plus il s’appelle Pierre Fontaine paraît-il, rien ne va plus. C’est le tourbillon des coïncidences et des mots croisés. Je marche, je marche. Je pourrais prendre un vélo, mais chaque chose en son temps. Après tout si je courre suffisamment vite, je peux aussi m’envoler. Icare n’aura jamais de cesse d’aller se cramer un bon coup, comme Sisyphe de remonter son caillou. Quand on est cons, on est cons disait l’autre. Et bien je le suis. Un con qui s’ignore est-il pire qu’un con qui se sait ? Sûrement pas. Je suis la pire catégorie : les cons qui pointent la connerie des autres pour se soulager le temps d’une demi-seconde. Éjaculation de fiel dans votre face. Que j’ai honte. Le comprenez-vous, mes amis ? Le comprends-tu, toi qui lis, Caroline ? Le crachat est mon bouclier, le parangon qui me protège du miroir. Je m’en suis fait un mur. Les jointures y sont en mépris tandis que le corps y est en refus. Derrière il y a tout, mais je ne peux pas le voir. Je ne suis pas encore assez bon en escalade. Tout est trop bien construit, trop hermétique, pas le moindre petit trou. Une bulle d’air ne passerait pas. Alors un homme… Au-dessus de la muraille le jaune et le noir se réunissent. Un maelstrom se forme, comme dans les dessins animés de mon enfance, où des super-héros aux mains brûlantes envoyaient des rayons laser contre celui de l’autre. La bataille durait des minutes entières et je restais là, subjugué par cette guerre immobile entre un faisceau bleu et un faisceau rouge. Là, dans la vraie vie, personne ne me dit qui doit gagner. Qui est le bon qui le mauvais. Est-ce donc ça le libre arbitre ? Un vent chaud ou froid qui ferait vaincre l’une des couleurs ? Et quelles influences pour repousser la nuit ou le jour ? Dans quel sens me pousse la société ? Je ne peux pas le savoir puisque je suis un idiot. Depuis toujours elle me pousse du même bord. La révolte gronde pourtant en moi, baïonnette au canon et fleur au bout des reins. Je suis un mélange de tout, dans des proportions que je n’aime plus. Ce combat est vain. Plus grandit le jour, plus proche est la nuit. Plus jaillit le bonheur, plus se meurt l’espoir. La frontière sera toujours poreuse, quoi qu’en dise Marine. Le mur n’ira jamais jusqu’au ciel et personne ne m’empêchera de lever les yeux et d’y voir un rai de lumière. Et puis un jour, enfin, je doterai de la vue un de mes crachats. J’enverrai un glaire si loin, si haut, si fort qu’il passera le mur, et à travers ses yeux je verrai l’autre côté. La plaine qui m’attend. Là-bas, ça ne peut être que plat. Lisse. Tendre sûrement. J’enroulerai mes doigts dans les brins d’herbe et ferais des nœuds entre elle. Les végétaux aussi s’enlaceront. Je m’allongerai alors, nu, dépecé, regardant le soleil rouge qui s’éloigne. La lune est belle et bien morte. Les chenilles ramperont, me croyant mort, et mangeront mon sexe, mon dernier lambeau de chair intacte. Les lumières de la ville s’échapperont à jamais, faute de générateur. Tout est éteint, pourtant tout brille. Venez, chenilles. Mangez tout, ne laissez rien. Pondez vos œufs dans mes intestins, ils ne m’ont que trop fait souffrir. Je les veux théâtre de la renaissance du monde. Après moi, il n’y aura plus rien. C’est vrai pour tous. L’homme est seul, la mort n’est rien. Alors ouvrons les fenêtres, et sautons : laissons le hasard décider du tapis de mousse ou du béton. L’important c’est de se jeter. Pour de vrai. Pour toujours.

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