29 mars

Une minute de lecture

De l'espoir et du doute. Je crois que ce soir j'ai été heureux. D'une page écrite, tous les mots en "-iste" que je croyais me définir s'étaient envolés dans l'air doux de la nuit parisienne.


Du bout de mon stylo s'expurgeait toute la bile noire stockée dans des vésicules trop longtemps bouchées. J'ai finalement jeté cette page vomie. À quoi bon la garder si elle avait permis de tout laver ? C'eût été comme laisser flotter ses excréments sans tirer la chasse d'eau. Quand on purge, il faut aller jusqu'au bout. La merde, une fois dehors, doit disparaître au plus vite sinon les miasmes viennent tout contaminer. C'est pire qu'un pollen dans le groin. Mais au moins pour ce soir, je suis sain, propre, rincé d'eau légère, enfin, vidé du mercure qui s'agrégeait comme un cancer pesant sur mes organes.


Je me laisse aller à des pensées rieuses où le monde ne serait plus qu'un immense voyage : irrégulier et sans fin. Les avions y voleraient sans s'arrêter : ils ont au bout des ailes des doigts blancs qui attrapent et reposent des voyageurs sur un duvet bleu délicat. Je flotte béatement dans cette mer de coton ; la plénitude fait de moi un être sans gravité, simple particule soumise aux vents chauds des vies heureuses. S'il est bien une preuve que le bonheur m'étreint ce soir, c'est que j'écris mal. Il n'y a pas meilleur signe de bonne santé mentale.


Dans ce cas pourquoi n'ai-je pas réussi à répondre "Oui" quand Caroline m'a demandé si j'étais heureux ? Caroline, tendre névrosée, au moment où tu m'as posé cette question, je te jure que je l'étais. Que ne l'avoué-je ? Soudain je redresse la tête et comprends : j'ai honte. Honte de cette tendresse narcotique qui éteint mes alarmes si patiemment construites. Honte de cette imbécillité béate, de cette passivité assumée. Honte de m'en satisfaire aussi, de m'y complaire même. Me revoilà de nouveau au préambule de la réflexion, je ne peux m'empêcher de me psychanalyser tout le temps... La réflexion, mot de tous les maux. Ne pense plus, ne réfléchis à rien, Pierre.


Finalement, je préfère aller me coucher : gageons que la nuit sera choloroforme.

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